Les semaines se suivent, et malheureusement,se ressemblent... trop! Après le carnage de Nice, le 14 Juillet dernier, nous vivons un nouvel épisode d'attentat. C'est, cette fois-ci, un symbole de plus, auquel se sont attaqués les fous. Après des dessinateurs, des policiers, des juifs, des jeunes à un concert, d'autres juste en terrasse... Ces fous s'attaquent une fois de plus à tous ceux qui ne sont ou pensent pas comme eux. Cette fois-ci, c'est l'église chrétienne qui était visé. Il s'agit, précisément, de la 223ème victime de terrorisme, en France, depuis 2015. Ce prêtre avait 83 ans. C'est, une fois de plus, lâche. Mais, on le sait, être terroriste, ce n'est pas faire preuve de courage, c'est une certitude. C'est plutôt s'en prendre à tout le monde, qu'importe, pourvu que ça soit différent. Jeunes, moins jeunes, enfants, personnes âgées, hommes, femmes, français ou étrangers, chrétiens, juifs ou même musulmans. Peu importe, pour eux, en fait!
Comme l'ont rappelé certains, ce matin, au détour de la presse ou des réseaux, c'est ni plus ni moins que l'idéologie fasciste que l'on a connue dans les années 30/40. Éliminer, faire peur à tout ce qui est différent de l'idée mise en avant.
Mais revenons-en aux faits.
A ce jour, un seul des deux terroristes est formellement identifié, il s'agit de Adel Kermiche, déjà connu des services anti-terroristes, puisqu'il a tenté, par deux fois, en 2015, de rallier la Syrie. Et, à chaque fois, il s'est fait prendre. Lors des derniers faits (qui n'étaient toujours pas jugés), il avait fait quelques mois de détention provisoire, avant de faire l'objet d'une mesure d'Assignation à Résidence sous Surveillance Électronique (ARSE). En quelque sorte, il a pu sortir, avec un bracelet électronique, et un contrôle judiciaire. Tout ça est assez flou, notamment pour les non-juristes. L'occasion, donc, d'en savoir un peu plus sur le sujet.
Et pour ce faire, quoi de mieux que de poser les bonnes questions, aux bonnes personnes; J'ai donc fait appel à Virginie Bianchi, avocate (spécialisée en droit pénitentiaire), qui a aussi l'avantage, dans son cursus, d'avoir été Directrice au sein de l'Administration Pénitentiaire. je vous invite à la 1ère interview qu'elle avait donnée sur le site du 15cpp.frl, par ici.
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Bonjour Virginie, et avant tout merci de m'apporter ton concours. Le droit pénitentiaire est quelque chose de très spécifique que nous, policiers, ne connaissons peu ou pas du tout. Et peut-être encore moins tous ceux qui ne sont pas dans la sphère judiciaire. C'est l'occasion d'en savoir un peu plus. Peux-tu m'expliquer ce qu'est cette mesure d'Assignation à Résidence sous Surveillance Électronique?
C'est une mesure qui a été créée par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. C'est une mesure contraignante de la même manière que la détention provisoire. On considère qu'un contrôle judiciaire classique (pointage périodique dans un commissariat, par exemple) ne suffit pas et qu'il faut quelque chose de plus contraignant. Pour autant, dans la gradation, cette mesure est moins contraignante que la détention en elle-même. Pour être validée par le magistrat, il faut que la peine encourue dans le cadre de l'enquête en cours, soit supérieure à 2 ans de prison. Comme la détention provisoire. Il existe deux types d'Assignation à Résidence sous Surveillance Électronique
- la mesure "classique", qui est statique, équivalente au bracelet électronique pour les condamnées; la personne concernée n'a pas le droit de sortir de l'endroit où elle est assignée (en général, son domicile) en dehors des horaires prescrits (bien souvent, les horaires de travail).
- la surveillance électronique mobile - on suit la personne "à la trace", avec un boitier équipé d'un système GPS. Mais là, cette mesure n'est possible que lorsque la peine encourue supérieure à 7 ans de prison; ou 5 ans pour des cas particuliers (violences intra-familiales avec une mesure d'éloignement de l'auteur, vis à vis des victimes)
Il s'agit donc d'une mesure intermédiaire, entre le contrôle judiciaire et la détention provisoire?
Oui, et on peut y ajouter des mesures de contrôle supplémentaires, comme pour le contrôle judiciaire. Comme par exemple l'Interdiction de rencontrer certaines personnes, une obligation de résidence à tel endroit, etc... cela, en plus d'avoir le bracelet électronique.
Quel est l'objectif d'une telle mesure?
Il s'agit de limiter les déplacements des gens. Lorsqu'une mesure de surveillance électronique est décidée après une condamnation, on vise la réinsertion (travail...) de l'individu. Sous ARSE, il s'agit de contraindre les mouvements, en laissant une plage horaire qui permette certaines choses, comme la visite chez un médecin, des courses.... C'est en fait, ce que j'appelle "la prison à la maison". Étant précisé que celui qui viole les horaires en question, déclenche une alarme au niveau du poste de contrôle pénitentiaire, qui peut alerter le parquet, lequel peut demander la révocation de la mesure.
Quelles dont donc les contraintes, pour celui qui en fait l'objet?
Dans cette "prison à la maison", on a privatisé la prison, au sens du domicile, et la personne est son propre surveillant.
J'imagine que c'est une mesure sollicitée par l'avocat, auprès du magistrat instructeur? Avec un argumentaire à l'appui? Quels sont les critères que prend en compte le magistrat qui décide de la mesure?
Les mêmes que lors d'un passage devant le Juge des Libertés ou de la Détention après la mise en examen lorsque le Juge d'Instruction est saisi d'une demande de placement en détention provisoire ; l'avocat essaye de convaincre le magistrat que son client a des garanties de représentation, il fait état de sa personnalité; bref, tous les arguments qui font que le magistrat puisse être convaincu que la mesure est suffisante pour garantir la représentation de la personne en justice. Pour l'affaire qui nous concerne, la décision ne parait pas hérétique en soit, dans la mesure où il semble que l'individu n'avait pas forcément un passé criminel fort. Et on ne sait pas non plus quelle était l'infraction visée. Logiquement, le magistrat place plus en détention provisoire quelqu'un qui risque une peine lourde, pour pallier le risque de fuite. Sur une peine légère, on aura plus tendance à apprécier les éléments de personnalité.
On parle donc d'un bracelet électronique couplé à un contrôle judiciaire. Qui est chargé du contrôle effectif de la mesure? Avec quels moyens?
C'est l'administration pénitentiaire, qui a un centre de contrôle de tout cela, situé à Fresnes (pour la région parisienne). Il y a des surveillants qui sont dédiés à cela. Lorsque le boitier prévient que la personne n'est pas rentrée, une procédure se met en place. Le surveillant appelle d'abord chez la personne, pour déjà vérifier s'il ne s'agit pas d'un problème technique.On peut aussi imaginer que la personne a un problème pour rentrer chez elle; le cas typique d'une panne du métro. Dans ces cas-là, celui qui fait l'objet de la mesure dispose d'un numéro qu'il peut appeler, pour expliquer son retard. Fonction des cas, l’administration pénitentiaire peut aussi décider d'un transport à domicile.
On a donc ce bracelet qui oblige donc l'individu à rester chez lui; quelles sont les autres mesures de contrainte qui sont décidées, à coté?
On est là, effectivement, sur l’obligation de résidence, qui va de soit avec le bracelet; mais il peut y avoir d'autres mesures, comme le pointage au commissariat..; on peut aussi envisager des obligations de nature médicale; par exemple dans les affaires liées aux stupéfiants ou à l'alcool.
Et là, qui contrôle?
il s'git exactement de la même procédure qu'un contrôle judiciaire.
on a donc cette mesure d'Assignation à Résidence sous Surveillance Électronique. Mais il n'y a pas d'autre contrôle?
Il faut bien comprendre que l'on est dans le cadre d'une enquête toujours en cours, en l’espèce, une instruction; avec, peut-être des Commissions Rogatoires ou d'autres actes d'investigations auxquels le juge procède. Il n'y a pas, à cet instant-là, de volet socio-éducatif ou quoi que ce soit du genre. On n'est pas dans le cadre d'un aménagement de peine, où l'on envisage la réinsertion.
Cela serait-il incohérent d'avoir ce genre de mesures de contrôle?
Ca voudrait dire qu'on entre dans une autre logique. On serait plus dans une mesure de sureté, que celle de contrôle. Une logique comparable à une injonction de soin. ça ne parait pas absurde, mais ça n'est pas l'objet. J'ajoute qu'ensuite, on sera vite confronté à un problème de moyens. Qui contrôlera ces mesures? Ça parait démentiel!
l'idée pourrait donc être de coupler une mesure de sureté, avec la contrainte?
Oui; ça serait envisageable, mais pas seulement pour la problématique djihadiste! Cela pourrait être valable pour toute problématique de récidive; on peut imaginer un type ultra-violent qui frappe régulièrement sa femme, alcoolisé... la question est "comment prend-on en charge le fait que ce type ne va pas continuer" C'est une des possibilité, y compris pour le Placement sous Surveillance Électronique Mobile.
Si j'ai bien tout suivi, tous les bracelet ne sont pas équipé de GPS?
non, uniquement pour les surveillances "mobiles"! Sur l'affaire qui nous occupe, je ne sais pas de quel bracelet il s'agissait! Lorsque ce bracelet, équipé de GPS a été crée, il s'agissait, à l'époque, d'empêcher les délinquants sexuels d'approcher de certains endroits. comme par exemple les écoles... Pour autant, le dispositif technique n'est pas fiable à 100%; il y a des endroits où le réseau ne passe pas, ou encore des déclenchements intempestifs. Dans un immeuble en béton, par exemple, il y a certains endroits qui peuvent poser des difficultés. J'ai le souvenir d'un Juge d'Application des Peines qui m'expliquait que son probationnaire avait un système qui ne passait pas aux toilettes; c'est embêtant!
et le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (SPIP) dans tout ça? a-t-il un rôle?
Il peut en avoir un, comme dans le cadre d'un contrôle judiciaire.
Il ne peut pas, par exemple, agir sur le contrôle d'un emploi effectif de celui qui bénéficie de la mesure?
Le Juge d'Instruction peut le demander, mais ça n'est pas d'office. Pour autant, même en aménagement de peine, ce contrôle n'existe pas; on se retrouve face à un problème de moyens où les SPIP priorisent les personnes dangereuses. Je prends l'exemple de l'affaire Tony Meilhon, qui était sous bracelet électronique (ca je suis pas sure ... Ptet juste en aménagement de peine), avec des obligations. Il n'était pas priorisé dans le contrôle parce que pas considéré comme dangereux, puisque condamné pour des faits ne laissant pas présager son potentiel. On sait ce qu'il a commis par la suite. Mais cela n'était absolument pas prévisible.
Quel retour a-t-on sur le fonctionnement, l'utilité et/ou l'efficacité de cette mesure?
Je ne sais même pas si quelque chose a déjà été publié à ce sujet! Il devrait y avoir des statistiques, mais ça n'est pas sur. La question qui se pose, aujourd'hui, c'est "est-ce que l'ARSE empiète sur le Contrôle Judiciaire ou sur la détention provisoire? s'agit-il d'une mesure supplémentaire du Contrôle Judiciaire ou une mesure moindre que la prison? C'est une question philosophique, mais importante. Si on place sous ARSE des gens qui sont de toute façon sous Contrôle Judiciaire, il s'agit d'une garantie supplémentaire vis à vis des gens en qui on a confiance. Si cela concerne ceux qui sont iraient en détention provisoire, les critères judiciaires sont moins faibles, mais on prend un risque autre, parce que prison surpeuplée par exemple ...
si l'ARSE n'avait pas existé, l'aurait-on placé sous Contrôle Judiciaire ou avait-il un profil pour être en Détention Provisoire? Il faut aussi préciser qu'un bracelet n'a de toute jamais empêché qui que ce soit de faire une bêtise. Comme le contrôle judiciaire. Si la personne veut partir, elle part. ça n'empêche rien, idem si elle veut commettre une infraction.
A l'époque de la création e la mesure du bracelet électronique, la question s'était posée. Les gens à qui ont le met sont-il des gens qu'on n'aurait pas relâché et dont on se serait dit qu'il vaut mieux qu'ils restent longtemps en prison, ou des gens qu'on aurait relâché en conditionnelle, avec moins de contrainte? Ça n'est pas le même public; le risque n'est pas le même.
et là, dans cette affaire?
Difficile d'avoir un raisonnement précis, sans avoir le dossier; mais avec les seuls éléments dont on dispose, via la presse, on a à faire à un jeune, qui est primaire. Sans la mesure d'ARSE, il est fort possible qu'il eut été placé sous Contrôle Judiciaire; se situant dans ce qu'on pourrait appeler "la fourchette basse du risque".
J'entends, dans les médias, certains qui demandent à changer la loi, expliquer qu'il faudrait supprimer de ce dispositif ceux soupçonnés d'infractions liées au terrorisme. J'entends, mais cela serait alors changer la nature de la loi, mais surtout sa philosophie.Au jour d'aujourd'hui, les critères auxquels le juge doit se conformer sont ceux de l'article 144 du Code de Procédure Pénale. La détention devant être l'exception, elle doit être "'l'unique moyen... d'atteindre un ou plusieurs objectifs qui ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'ARSE". Il est question de conservation des preuves, d'empêcher la concertation des personnes mises en examen, de garantir la présentation des personnes devant la justice, de mettre fin à l'infraction ou encore à l'ordre public. On prend donc en compte des éléments de l'enquête. Là, il s'agirait alors de changer de culture, et de prendre en compte, avant tout, la gravité des faits soupçonnés. Après, ce sont choix politiques.
Merci à Virginie Bianchi de m'avoir donné du temps, et à Françoise, qui a eu l'idée de ce billet explicatif.