Qu'est-ce que donc que cet acronyme barbare? Pour les non initiés, il s'agit de la "Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires". En gros, un outil informatique qui permet aux Officiers de Police Judiciaire (police et gendarmerie), ainsi que les Officiers des Douanes Judiciaires, d'avoir recours aux données traitant de la "téléphonie", au sens large. Une application logicielle, donc, sur un réseau sécurisé, qui automatise toutes ces demandes qui vont chez les opérateurs, et nous reviennent donc, pour analyse.
Un peu d'histoire
Evidemment, la téléphonie est utilisée par les enquêteurs de police depuis que le téléphone existe, ou presque. Lorsque j'ai commencé en investigation, au début des années 2000, les téléphones portables commençaient à fleurir. Souvenez-vous du téléphone à clapet, ,avec un forfait 2h, et ces touches sur lesquelles on appuyait trois fois pour écrire un seul caractère!
Bref, avec un peu de retard, et c'est normal, les policiers ont donc commencé à utiliser les données que cela pouvait représenter. Il faut différencier deux notions distinctes.
- les données téléphoniques brutes (des tableaux, pour faire court), qui contiennent des dates, heures, et numéros de téléphones (entre autre)
Les OPJ faisaient leurs demandes auprès de chaque opérateur. Et chacun envoyait son petit format, bien particulier, à sa sauce. Et tout ça était représenté sous forme de tableaux... parfois du fichier excel, parfois du pdf... un gros bouzingue, comme dirait l'autre. Le tout envoyé par fax. Bien sur.
Et les OPJ travaillaient avec des stabylo de plusieurs couleurs, pour faire leurs analyses. Je ne vous raconte pas le temps qu'on passait dessus,et le papier que cela représentait dans une procédure... mais ça faisait de jolis dessins et des pavés pour équilibrer les bureaux. Et puis, des gens un peu plus intelligents que la moyenne se sont dit que, ma foi, l'informatique étant là, il était temps de passer à des solutions qui automatisent un peu plus ces analyses. Sont alors arrivés les premiers logiciels qui traitaient les données, et ce fut une première révolution. On est dans les années 2003/2006.
- les interceptions judiciaires, autrement dit, les écoutes.
Cela a commencé par des cassettes à bande (les moins de 30 ans, vous ne pouvez pas comprendre), puis ce sont devenues des centrales avec de petits disques durs. L'on est est désormais à des serveurs. Cela illustre à la fois, l'évolution technologique, mais aussi la densité des demandes. Sauf que, pour ce faire, il faut faire appel à la fois aux opérateurs téléphoniques, mais aussi, à l'époque, à des sociétés privées qui installent du matériel d'écoute dans les services. Elles étaient quelques unes, (Elektron, Midi-Système, Foretec), toutes en concurrence. Chacune avait son petit réseau d'OPJ, et ses câbles et serveurs dans certains services qui traitaient des écoutes.
En terme de coût, il faut bien comprendre qu'on est passé de 89 millions d'euro en 2005, à 122 millions d'euro en 2015. Et, cumulé, sur dix ans, on en serait à un milliard. Alors certes, le chiffre parait pharaonique, difficile de juger s'il est ou non satisfaisant. Ce que je sais, en tant que praticien, c'est que les données recueillies sont devenues essentielles en terme d'enquête. Mais, difficile de ne pas se dire que tout le monde mange assez bien sur ce petit gâteau, qu'il s'agisse des opérateurs téléphoniques, ou des opérateurs privés. A la condition qu'ils soient payés.
En 2005, la Cour des Comptes avait publié un premier rapport, par lequel il était conseillé de créer une structure et un système centralisé, permettant, à la fois de sécuriser les données, mais aussi de faire des économies importantes en la matière. Finies, donc, PME privées qui développaient les systèmes. C'est donc cette année-là qu'est arrivée, pour la première fois, l'idée même de la PNIJ, dont la mise en chantier a finalement été octroyée au groupe Thalès. Nous sommes en 2016, et le système est désormais lancé depuis quelques mois. Lancé, oui...
Arrive donc, aujourd'hui, ce rapport de la Cour des Comptes; et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'épargne pas l'outil. Sans rentrer dans le détail, il tape dur, c'est le moins que l'on puisse dire. Sommairement, sont pointés, à la fois l'organisation des services, les retards (difficultés techniques, freins extérieurs) et un pilotage insatisfaisant et, bien évidemment, les économies promises qui ne sont pas encore là.
Il faut dire que, selon le rapport, l'exploitation même de ce "champ d'action", dépend de nombreux services, noyés dans des administrations, aux budgets de sources diverses... une mère n'y retrouverait pas ses petits. Il est question de la DIJ (Délégation aux Interceptions Judiciaires), qui dépend du Ministère de la Justice, du CCED (Commissariat aux Communications Électroniques de Défense), qui dépend de Bercy. Et aucun service pour coordonner le tout. Etant précisé que, bien sur, chaque service est sous-dimensionné pour le travail qu'il a à accomplir.
Les enquêteurs, dans tout ça
Il faut dire ce qui est. Nombre d'entre nous ne peuvent que constater une révolution en terme de données brutes. Certes, la mise en route n'a pas été des plus simple, s'agissant d'une évolution majeure de fonctionnement (à la fois en terme de technologie, d'organisation du travail, etc). Là où il fallait parfois attendre plusieurs semaines pour avoir une réponse, elle arrive désormais (dans 98% des cas), la plupart du temps en moins d'une heure, voir en quelques secondes; en tout état de cause, en moins de 48h. C'est donc un grand confort, en terme d'enquête, lorsque l'on sait la complexité d'investiguer dans ce domaine, et la logique qu'il faut, à chaque fois, retrouver, lorsque la réponse vous arrive après la bataille!
Pourtant, le système est largement perfectible, dans la mesure où, en terme d'écoute, selon les différents articles de presse parus (l'Obs, Médiapart, Libération), c'est précisément là que le bas blesse. Nombre de services se passeraient d'ailleurs des services de la PNIJ en terme d'écoute, pour des questions, à la fois d'ergonomie, mais aussi de certaines possibilités techniques à ce jour inexistantes avec ce service.
Ainsi donc, deux systèmes perdurent. A la fois, des sociétés privées, qui, pour autant, ne travaillent plus à l'amélioration du système (et on les comprend), et la PNIJ qui est censée tous les remplacer. Là où l'on devait donc faire des économies, il semblerait qu'on en arrive à dépasser les prévisions. Pourtant, je dois dire que, si l'on excepte le coté financier, tout ça est assez confortable pour l'enquêteur que je suis, dans la mesure où il a à choisir le meilleur moyen d'enquête dont il dispose. Même si l'on peut regretter, encore une fois, à ce jour, l'absence d'avancées techniques.
Avec ce rapport, la Cour des Comptes formule donc sept recommandations. A la fois en relation avec l'organisation des services, la rationalisation des dépenses, et l'anticipation sur l'avenir.
A titre personnel, j’espère surtout que les enquêteurs seront consultés (voir même les magistrats, puisque nous agissons sous leur contrôle) quand à ces évolutions. Il me semble que c'est une option qui n'avait pas été choisie au début de la conception de la PNIJ, et cela s'est fait ressentir lors de la mise en production. La vapeur s'est inversée, puisque désormais, policiers, gendarmes et douaniers font partie de commissions de suivies, lesquelles participent activement à l'amélioration de l'outil, aux cotés des développeurs de la société Thalès.
Pourvu que ça dure. Et tout cela n'en sera alors que meilleur. A la fois pour les enquêteurs, mais aussi pour les finances publiques.