Janvier 2015: Quelques heures après les attentats, les policiers étaient destinataires des premières informations relatives à l'identification des frères Kouachi. Moins de dix minutes plus tard, je constatais personnellement l'apparition des fiches de recherches de la fratrie sur les réseaux sociaux.
Bruxelles. Tout juste quelques heures après les attentats survenus à l'aéroport de Zaventem, des images de la vidéosurveillance de l'aérogare tournent en boucle sur les chaines d'info en continu. L'on y voit les trois terroristes présumés pousser leur chariot à bagages.
Doit-on voir ce genre de diffusion d'un bon œil? Etant d'ores et déjà précisé que juridiquement, c'est l'article 11 du Code Pénal, qui permet, en France, l'éventuelle entorse qui serait permise à la règle que constitue le secret de l'enquête.
Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.
La diffusion média: Les risques pour l'enquête
Qu'il s'agisse d'attentats ou non, j'ai à peu près toujours cette même réaction, lorsqu'un élément important d'enquête est diffusé rapidement. A la fois surpris, puis passablement énervé.
Il faut bien alors imaginer que les enquêteurs disposent, à cet instant, des données qui fourmillent sur les écrans télé. Ils sont, forcément, directement la source de l'information, sans pouvoir pour autant en gérer la diffusion. De fait, ils sont les premiers à alors entamer une espèce de course contre la montre pour, à la fois identifier et interpeller les individus. Peut-être même sont-ils déjà identifiés alors que les images tournent encore. Mais le fait que les photos soient révélées, complique la donne. Il faut bien être conscient que les malfaiteurs ont, eux aussi accès aux médias. Se sachant physiquement recherchés, ils pourraient opter pour des solutions donnant bien plus de fil à retordre aux enquêteurs.
Alors, évidemment, la première chose que l'on se dit, c'est que, si les médias disposent de l'information, c'est que quelqu'un la leur a donnée. Qui? On pense, dès le début, aux policiers. C'est loin d'être aussi simple à dire, et surtout conclure. Il faut bien comprendre que, lors de telles interventions, toute la chaîne hiérarchique administrative est informée en quasi temps réel de ce qu'il se passe. A la fois au sein de la Police, mais aussi au sein des cabinets ministériels, voir du Préfet. Ça fait donc énormément de monde informé, et autant de possibilités. Je ne parle pas des attachés de presse qui pourraient parfois se sentir utiles à communiquer, et finalement, de n'importe qui ayant un contact presse.
Précision étant faite que JAMAIS l'enquêteur n'est sollicité sur le fait de savoir si la médiatisation serait susceptible de le gêner. C'est au bon vouloir, à la fois de celui qui communique, officiellement ou officieusement, et de l'organe de presse. L'on a parfois envie de se dire que le bon sens devrait l'emporter à chaque fois. Mais non, bien souvent l'on assiste à une course à l’échalote. Bien loin des intérêts même de l'enquête en cours.
Autre élément à prendre en compte: il arrive que des informations arrivent aux oreilles des policiers via des "sources" humaines. Qu'il s'agisse d'informateurs classiques ou de citoyens désireux d'apporter leur concours. Mais ces informations sont de toutes sortes, et pas forcément toujours crédibles. Aux enquêteurs de faire rapidement le tri entre ce qui est crédible, et ce qui ne l'est pas. Et plus les détails seront diffusés par les organes de presse (télé, écrite, internet), plus il sera difficile, pour l'enquêteur, de faire la distinction entre ce que la "source" aura vue/lue dans les médias, et ce qu'elle sait réellement.
Mais parfois aussi, une aide précieuse
On ne peut le nier, il arrive que cette fuite s'avère finalement une aide précieuse à l'enquête. L'exemple belge est très parlant; je ne sais si les enquêteurs avaient donné leur aval pour publier les photos de l'aérogare. Toujours est-il qu'un chauffeur de taxi, voyant les images des trois individus poussant leur chariot dans l'aérogare, a reconnu les individus qu'il avait pris en charge le matin-même, et a donc permis de remonter le fil du départ des terroristes vers l'aéroport. Leur permettant d'investir l'appartement conspiratif (droit d'auteur de l'expression... cf Mr Molins) Une avancée, donc, non négligeable.
Est-ce qu'il en aurait été de même sans ce chauffeur de taxi? On peut imaginer que les enquêteurs disposaient donc d'une vidéosurveillance de l'aéroport. Peut-être (c'est une hypothèse) qu'ils avaient des images de l’extérieur,et auraient donc remonté l'arrivée des terroristes. Pour ensuite travailler cette piste jusqu'à la compagnie de taxi... le tout est de savoir en combien de temps. Et, j'insiste, encore faut-il qu'il y ait à cet endroit, une caméra, qu'elle soit fixe, et que ces images soient de qualité suffisamment nette. Ce qui est loin d'être évident; même si je ne connais pas les infrastructures belges, en matière de vidéosurveillance.
Alors oui, les médias peuvent également être utiles. A la condition que la communication se fasse en bonne intelligence avec les personnes chargées de l'enquête. Qu'on ne perde pas le fil de l'utile. Mais, au préalable, avec un accord de l'autorité judiciaire, le parquet. Il est difficile de savoir, pour l'enquêteur, à partir de quel moment la médiatisation d'une recherche particulière pourrait s’avérer fructueuse. Faut-il le faire en dernier recours, lorsque l'on n'a plus rien? Ou au plus rapide? Avec les risques que cela comporte. C'est souvent une sorte de pari. Un risque, aussi. Il s'agit donc de trouver le bon moment, le juste milieu.
La gestion du plan média
D'une manière générale, le rapport avec les médias n'est absolument pas maîtrisé par les enquêteurs. Et en fait, il faut le reconnaître, ils ne veulent rien en savoir, érigeant une barrière quasi infranchissable. C'est presque un tabou.
La communication médiatique, dans la police, est construite sur deux ressorts totalement distincts: Tout d'abord par l'administration en elle-même, de manière très hiérarchisée, basée sur l'image globale de la profession. Mais en rien, ou presque, sur les affaires en cours. Mais, la nature ayant horreur du vide, l'espace est comblé.
Ce vide, ce sont les syndicats qui l'occupent. Combien de fois voit-on un syndicaliste, micro à la main, à proximité d'une scène de crime, en donnant les détails du mode opératoire, le nombre d'auteurs, etc... Détails dont la moitié, bien souvent, est bien loin de la réalité. Ce que j'ai moi-même pu constater à de nombreuses reprises.
Il me revient cette anecdote. Le groupe auquel j'appartenais était alors chargé d'une enquête qui faisait suite à un important braquage de bijouterie. Très sur de lui, un syndicaliste, planté devant la bijouterie, expliquait le mode opératoire, en donnant un signalement de l'auteur. Avec une particularité: il était porteur d'un chapeau de type Borsalino. Il se trouve que ce détail était totalement inexact. Sauf qu'une semaine plus tard, nouveau braquage d'une bijouterie. Le mode opératoire était le même, et l'auteur était décrit par les témoins comme porteur... d'un Borsalino. Interpellé quelques jours après les faits, l'auteur de ce second braquage, avait reconnu s'être inspiré de ce qu'il avait vu et entendu à la télévision, dans le but de faire en sorte que les enquêteurs rapprochent les deux faits.
Sans que cela ne soit exagéré, et de façon précautionneuse, il me semble que les services d'enquête auraient intérêt à ce que la communication soit plus décentralisée et, de ce fait, bien plus maîtrisée. Il ne s'agit pas de révéler quelque piste d'enquête en temps réel , mais d'en rester à des généralités factuelles. Et ce, bien sur, en accord avec l'autorité judiciaire, qu'il s'agisse du Procureur de la République ou d'un juge d'instruction. Ce qui aurait le mérite de remettre un peu chacun à sa place, de ne pas diffuser d'informations erronées, et surtout d'en maîtriser le tempo, fonction des choix d'enquête.
Pour autant, très clairement, des procès-verbaux d'enquête n'ont strictement rien à faire dans un journal. J'insiste. Et tout cela nécessite de revoir, par la même occasion, tout ce qui concerne la violation du secret d'enquête. Clairement et sans concession.