Maintenant que j'ai pu vous expliquer les difficultés qui peuvent être liées à la légitime défense, l'on peut tenter de revenir au plus près de la décision rendue hier soir. Au terme d'un peu plus de six heures de délibérations, la Cour d'Assises de Bobigny a acquitté Damien S. qui comparaissait depuis lundi. Après avoir répondu par l'affirmative sur le fait que l'intervention de Damien était bien à l'origine du décès d'Amine Bentounsi, le jury populaire a répondu "oui" à la question de savoir si la légitime défense devait être retenue pour exclure la culpabilité du policier.
Comme on peut l'imaginer, cette décision a été conspuée par les parties civiles qui voient en cette décision un "permis de tuer" pour les policiers, et une justice qui protège tout cela.
Par ce billet, je souhaite tenter une analyse de cette décision. Une analyse qui omet, vu la surprise de nombre d'observateurs extérieurs, le fait que, oui, Damien S. aurait pu être en légitime défense, faisant face à une arme. Hypothèse par laquelle les différents "live-tweet" qui ont été faits durant les quatre jours d'assises n'auraient pas été des plus impartiaux qui puisse être. Et peut-être (je dis bien "peut-être) qu'ils n'ont pas relevé, consciemment ou non, les éléments à décharge. Peut-être des témoins pas aussi directs que ce qui a semblé être décrit. Je ne sais pas... je n'y étais pas, donc, je réfléchis...
En plus des parties civiles et proches de la victime, cette décision semble faire bondir plus d'un juriste, pour lequel la légitime défense ne pouvait être juridiquement retenue par le simple fait que la balle mortelle ait été tirée dans le dos. Ce verdict trouverait-il une explication ailleurs que dans le droit?
Une décision plus contextuelle que juridique?
Le contexte me parait indissociable de la décision. Je fais, bien évidemment, allusion aux attentats encore très récents dans la mémoire collective. Et, volontairement, je ne parle pas de l'Etat d'Urgence qui, à mon avis, ne fait que faire parler les juristes, ceux qui pourraient être concernés, et d'autres observateurs; mais, en fait, une minorité de personne (c'est un avis personnel).
La population française a besoin, en ce moment, de savoir qu'elle peut compter sur la police, un peu comme un dernier rempart contre le fanatisme et la folie meurtrière. Je rappelle, ce jour-là, le policier ne s'était pas levé avec une "envie de tuer", ou quoi que ce soit du genre. Ce drame est consécutif à une action de police, avec un contexte. Un braqueur, en situation d'évasion, armé, qui a jeté une grenade; peu importe qu'elle soit fictive. Je pense que les jurés ne se sont pas vus condamner ce policier, eu égard au contexte de l'intervention, ainsi que celui, plus général, que l'on connait. Entrer en voie de condamnation aurait pu être perçu (dans l'imagination des jurés, toujours) comme un mauvais signal envoyé à la police, en général, dans une période troublée.
Oui, mesdames et messieurs les juristes, tout ceci irait à l'encontre du droit, de grands principes, qui voudraient que l'on ait un jugement individuel, en droit, sur une situation propre. Sauf que...
Sauf que les faits ont été jugés par une Cour d'Assises. Autrement dit par un jury populaire. Le peuple. Reste à savoir, dans le secret de ce délibéré, quelle a pu être l'influence des magistrats professionnels à l'encontre des six jurés. Cela restera dans le secret des délibérations. Mais, ce jugement n'est pas encore définitif. Si le Parquet fait appel, une nouvelle cour aura à se prononcer sur les faits. Attendons de voir.
Je me permettrai un seul avis sur ce que j'ai pu lire ici et là. Je trouve certaines paroles bien dangereuses. Celles qui parlent d'un verdict qui ne peut satisfaire que "les policiers et Daesch". L'amalgame me parait dangereux! De la même manière, ceux qui répéteraient que " la police assassine et la justice acquitte" se trompent. L'Etat, par le biais de sa fonction publique, qu'il s'agisse du Parquet, de l'instruction, ou encore de l'Inspection Générale des Services" a fait son travail. En tous les cas, ce que l'on peut attendre de leur travail, quel que soit le regard que l'on porte sur l'affaire. L'IGS a placé le policier en garde à vue, l'a mis sur écoute. Il a ensuite été mis en examen par le Juge d'Instruction, et renvoyé devant la Cour d'Assises. Et le parquet a requis une condamnation. Et c'est là qu'intervient le jury populaire. Et, on le voit dans le cas d’espèce, la nuance est de taille. La justice a donc fait le job, quelle que soit la décision finale qui, en fait, ne lui appartient plus.
Oui, un policier a tué un homme. Le peuple a décidé que ce policier ne devait pas être condamné.