Au lendemain de ce second tour des élections régionales, la vie politique va reprendre son cours, traitant de l'actualité qui lui sera soumise. Bien évidemment, les événements récents ont forcément pesé dans l'esprit des électeurs. Et nos élus vont probablement, dans un temps proche, proposer des mesures susceptibles d'aider les enquêteurs, et donc d'éviter, autant que faire se peut, de nouvelles tragédies telles que l'on a pu connaitre, en janvier et novembre 2015. On le sait, et c'est dans l'ordre des choses, les délinquants (à fortiori les terroristes et/ou les criminels) ont toujours un temps d'avance sur ceux chargés de les traquer, qui ne font toujours que s'adapter. L'idée est donc de ramener le niveau d'investigation, au moins dans une certaine mesure, au niveau, si je puis dire, "d'ingéniosité" de la criminalité. Soyons réalistes, nous ne sommes pas en position (question de volonté et/ou de possibilités technologiques) de pouvoir contrer, notamment, les nouveaux moyens de communications, chaque jour un peu plus chiffrés. En attendant, il s'agit de trouver d'autres solutions.
Le journal Le Monde s'est récemment fait l'écho d'un "inventaire" de mesures qu'auraient sollicitées les policiers. Décryptons ces mesures, certaines me semblant plus réalistes que d'autres.
D'ores et déjà, le gouvernement a déposé, au mois de novembre, un amendement permettant aux Officiers de Police Judiciaire (de la Gendarmerie ou de la Police Nationale) d'accèder dirctement au FICOBA, le FIchier des COmptes BAncaires.Jusqu'à présent, il était nécessaire de faire appel à un agent de l'administration fiscale, par voie de réquisition.Ce fichier recense les comptes bancaires ouverts par chacun. Il n'y a aucune donnée de ce que contiennent ces comptes. Pour cela, il faut directement voir avec l'établissement bancaire.
Pour autant, nous voilà en présence d'un petit "jeu" politique, qui j'avoue, a la don de m’exaspérer. S'agissant d'un amendement au Projet de loi de finances 2016, l'on peut convenir qu'il n'y a aucun lien le sujet initial et l'amendement. Ce que les techniciens de l'assemblée nationale appellent un "cavalier". Typiquement le genre de mesure qui est susceptible d'être rejetée lors du passage au Conseil Constitutionnel. Ce qui se fait systématiquement pour les "cavaliers".
Revenons-en à cet article du Monde; de quoi s'agit-il?
Le nerf de la guerre: les fichiers
Régulièrement, les revendications tournent autour des fichiers de police, déjà cibles de nombreuses critiques par les défenseurs des libertés publiques.Ainsi, l'une des demandes consisterait à améliorer les fichiers existants, dans le but de "fiabiliser et partager les informations". Il est un fait; nous avons, à ce jour, de nombreux fichiers à notre disposition (antécédents, permis de conduire, immatriculation des véhicules, contraventions électroniques...). De nombreuses informations y figurent, chacune faisant l'objet d'un accès contrôlé en relation avec les fonctions exercées. En pratique, pour les policiers, il s'agit d'entrer la recherche (souvent le nom, prénom et date de naissance) une fois par fichier distinct. Il peut donc paraître judicieux de pouvoir croiser les données, afin d'avoir, rapidement l'ensemble des données, mais aussi de ne rien omettre à cause d'une simple erreur d'orthographe ou dans la date de naissance. En complément, certaines demandes consisteraient en la création de nouveaux fichiers; tel que les "contrôles routiers, ferroviaires et fluviaux", ou encore des "hôteliers et loueurs" (immobilier et automobile). J'avoue que, si je vois bien l'intérêt que je pourrais en tirer en tant qu'enquêteur (il est réel), je suis sceptique quand au fait qu'ils voient un jour... le jour.
Autre mesure qui m’apparaît intéressante dans cette "liste de courses": l'abaissement du seuil des radars routiers sans émission de contravention, sur un temps et un lieu déterminé. Objectif: pouvoir localiser un véhicule (ciblé par les forces de l'ordre) en mouvement et pouvoir, fonction des nécessites, procéder à l'interpellation de ses occupants, ou juste à titre d'information, dans le cadre d'une affaire judiciaire en cours.
Tout cela sans compter qu'il faudra une amélioration significative des applications existantes, telles que le LRPPN (utilisée pour la rédaction des procédures), ou encore la PNIJ, utile à tout ce qui est relatif aux interceptions judiciaires, assez peu "pratiques" dans le cadre d'un usage intensif.
L'internement des personnes faisant l'objet de fiches S
Même s'il semble s'agir d'une mesure qui serait administrative, plutôt que judiciaire, il s'agit bel et bien de LA mesure mise en avant par un certain nombre de politiques, notamment de droite. Récemment, le Gouvernement a ainsi sollicité le Conseil d'Etat, afin de connaitre sa position quant à la mise en place d'une telle mesure. L'exécutif ayant très vite rappelé qu'il s'était engagé, devant le Parlement réuni en congrès, et "dans un esprit d'unité nationale", à consulter, y compris pour des mesures provenant de l'opposition. Avant tout, difficile de savoir combien de personnes sont concernées, dans la mesure où ce fichier recense bien plus de personnes que les seules 'radicalisées". Mais, admettons que l'on ne parle donc que de celles-ci; la question se pose bien évidemment de savoir si l'on peut "enfermer" quelqu'un pour ses idées. Ensuite, il convient aussi de se demander à quel moment l'Etat doit intervenir auprès de ces personnes? A partir de quand est-on "trop" radicalisé? Il semble difficile de pouvoir surveiller, en temps réel, toutes les personnes. Ceci ajouté au fait que la communication telle que nous la connaissons aujourd'hui, c'est à dire possiblement chiffrée pour ceux-ci, complexifie la tâche des enquêteurs. En admettant qu'ils surveillent une personne dite "radicalisée", ils pourraient ainsi ne pas avoir conscience qu'ils sont en présence d'une "association de malfaiteurs"; seule infraction (outre le passage à l'acte terroriste) ouvrant la possibilité à une interpellation et, éventuellement un placement en détention provisoire. Tout ceci sous le contrôle de juges judiciaires.
De fait, le législateur pourrait alors choisir de se tourner vers la rétention de sûreté des personnes radicalisées. A ce jour, cette mesure est utilisée afin de "permettre le placement dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, de prisonniers ayant exécuté leur peine mais présentant un risque très élevé de récidive parce qu’ils souffrent d’un trouble grave de la personnalité". On le voit, la mesure intervient après la peine pénale. Alors qu'en ce qui concerne les personnes radicalisées, elle interviendrait sans aucune intervention de la justice, et concernerait donc un danger "présumé".
En ce qui me concerne, je reste très "pratique" et concret sur la question posée: nous avons, sur le territoire, des personnes qui vouent un culte à des idées en totale contradiction avec les valeurs de nos pays dits "occidentaux", détestant de par la même notre fonctionnement. Celles-ci se nourrissent très clairement des idées nauséabondes des groupes terroristes.
En résumé, pour citer mon collègue Stéphane Liévin, la classe politique doit répondre à une seule question, et elle n'est pas simple:
"à quel niveau de danger notre société est-elle prête à s'exposer pour protéger sa liberté ou, au contraire, à quoi cette même société est-elle prête à renoncer en terme de liberté pour maintenir un niveau de sécurité acceptable"
De cela dépendront la nature des mesures qui seront prises dans les prochains mois. Nul doute qu'elles feront l'objet d’âpres discussions, de part et d'autre de l'échiquier politique.
Pour autant, il ne fait aucun doute que toutes le mesures qui seront prises, ne serviront que pour les problématiques actuelles. Il faudra, à un moment ou un autre, se demander comment l'on en est arrivé là, et agir préventivement pour que cela cesse.