l'Etat d'urgence: une mesure liberticide?

Cela fait désormais 21 jours que le Président de la République, Francois Hollande a décrété l'Etat d'Urgence en France. Il s'agit bien d'un régime juridique restrictif de certaines libertés, puisqu'il permet aux autorités de nombreuses mesures, comme:

  • l'Instauration du couvre-feu dans des lieux qui pourraient être exposés de manière importante à des troubles publics
  • la Restriction la circulation des personnes ou des véhicules dans des lieux et des horaires déterminés
  • l'Institution de zones où le séjour des personnes est réglementé
  • Interdiction d'accès à un département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics
  • l'assignation à résidence de toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public
  • la réquisition des personnes ou des biens si le maintien de l'ordre le nécessite
  • la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature
  • l'Interdiction des réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre
  • l'Obligation, pour les propriétaires d'armes à les remettre aux autorités
  • l'Autorisation des perquisitions à domicile de jour et de nuit
  • la prise de mesures pour assurer le contrôle de la presse et des médias

Quelles mesures effectivement mises en place?

Il me parait nécessaire de rappeler que peu de ces mesures sont effectivement utilisées. Ce qui peut être une façon, aussi, de se dire que l'on n'est pas non plus en présence d'un pouvoir liberticide, comme on peut l'entendre, qui empiéterait sur la vie de tous, à chaque instant, bref un "Etat Policier" ! Ceci ajouté au fait que ceux qui le dénoncent ne trouvent rien, non plus, à proposer. Mais, c'est connu; il est toujours plus aisé que de juger ce que font ou non les autres, que de proposer soi-même.

Trois de ces mesures sont au cœur de l'actualité.

L'interdiction de certaines manifestations. Bien évidemment, qu'il s'agit d'une restriction de libertés; il me semble que la France a toujours autorisé les manifestations, tant qu'elles ne sont pas à l'origine de débordements. En 2010, on dénombrait tout de même un peu plus de trois mille manifestations s'étant déroulées en France! Mais il me semble que celles qui sont interdites ces jours derniers (notamment la grande marche en parallèle de la COP21) sont tout à fait justifiées. Il ne s'agit pas moins d'une problématique liée au motif de la manifestation en lui-même, que d'éviter de gros rassemblements susceptibles de donner une occasion à des terroristes de faire un nouveau carnage. Et, au delà de cela, il me paraissait compliqué, pour les forces de l'ordre, de pouvoir observer un contrôle sur les quelques 400.000 manifestants attendus et donc, d'assurer leur sécurité. Pour autant, certains n'ont pu résister, et ont manifesté, jusqu'aux débordements que l'on connait. Ceci fut bien dommageable, d'autant que le message passé plus tôt dans la journée, était plutôt positif. Au lieu de cela, ce que l'on aura retenu de cette journée, ce sont les affrontements avec les forces de l'ordre, de quelques dizaines d'excités, qui n'ont rien à voir avec la cause qu'ils prétendent défendre.

etat d'urgence 2

Concernant les autres mesures, les statistiques sont accessibles sur le site de l'Assemblée Nationale.

les perquisitions administratives: 2335 recensées à ce jour.

Elles ne concernent pas les dossiers déjà "judiciarisés";  et pour cause, soit l'enquête judiciaire est "mure", et les opérations d'interpellations et perquisitions seront lancées sous le contrôle du magistrat, soit le dossier n'est pas prêt, et il n'est alors pas question de le "péter" en administratif, ce qui n'aurait aucun sens. Et cela vaut tout aussi bien dans des affaires d'arme, que de terrorisme. Les services anti-terroristes n'ont pas non-plus lancé de vagues d'interpellations ou de perquisitions sur leurs dossiers "en cours", pour la simple raison que l'Etat d'urgence était décrété, et qu'ils auraient eu la possibilité d'agir en "administratif ! . Il parait donc un peu démagogique que de s'étonner que ces perquisitions n'aient donné lieu à aucun nouveau dossier de terrorisme!

Qui est précisément visé par les perquisitions administratives? Les ciblages sont multiples; mais le plus souvent, des endroits ou lieux désignés comme pouvant cacher des armes ou documents liés à l’extrémisme islamiste, des personnes ou lieux désignés par des "sources" à un moment "T"... Des cibles qui n'ont pu faire l'objet d'enquêtes judiciaires, puisque pas assez étayées, ou qui n'ont rien données, malgré des indices rapportés aux autorités. Il ne faut pas non plus croire que les autorités ont demandé à tous, de tous les services, d'aller faire des perquisitions administratives, dans quelque lieu qu'il soit, pour le simple plaisir de perquisitionner.

Quoi qu'il en soit, plus le temps passe, et moins l'effet de surprise prévaut. Les conséquences sont très claires: ceux qui sont susceptibles de cacher quelque chose ont, pour le plus grand nombre, compris qu'il fallait "faire le ménage". Forcément, l'on assiste à moins de saisies, moins d’interpellations et donc moins d'affaires judiciarisées.

Le temps passant, certaines images ou situations fleurissent, notamment sur les réseaux sociaux, mettant en avant de possibles dérapages. Je n'irai bien évidemment pas dire qu'il n'y a eu aucun abus; pour la simple et bonne raison que je n'étais présent et n'ai pu assister à aucune de ces perquisitions administratives! Toujours est-il que le Ministre de l’Intérieur, dans une note, a rappelé le nécessaire discernement des policiers, eu égard, à la fois aux personnes visées par les perquisitions administratives, mais aussi dans la manière de les conduire.

Pour autant, deux remarques: même sur des photographies sur lesquelles semble apparaître un grand chaos, on ne sait pas ce qui a motivé la perquisition; ajouté au simple fait que certains redoublent d'imagination quant à cacher certaines choses, ce qui peut nécessiter des fouilles "approfondies". Enfin, il m'a été donné de voir certaines photos publiées sur internet, et justement, même si je n'étais pas présent, de connaitre certaines policiers ayant participé à la perquisition. Et, si une partie du désordre ne peut être contestée, il fait peu de doute que les photos aient été manipulées; l'on devine assez facilement la raison. Enfin, rappelons-nous qu'à chaque fois qu'une situation est médiatisée, l'on ne connait toujours la version que d'une seule des parties. Donc, méfiance.

les assignations à résidence: 340 à ce jour

39 d'entre elles ont fait l'objet de recours; soit un référé liberté, soit un recours pour excès de pouvoir. Aucune annulation n'a été prononcée par le juge administratif à ce jour. Ces mesures apparaissent effectivement contraignantes pour ceux qui en font l'objet, puisqu'ils se doivent de "pointer" auprès du commissariat ou de la gendarmerie locale, trois fois par jour. Il est difficile de connaitre l'efficacité exacte de ces mesures, et surtout ce qu'il adviendra de ces assignations une fois qu'il sera mis fin à l'Etat d'Urgence.

Que l'Etat d'Urgence soit restrictif de libertés, oui. Mais encore faut-il voir dans quelle mesure, et comment cela se traduit au quotidien. Evidemment, il fallait le faire. Pour autant, plus le temps passera, et moins il sera concrètement utilisé. En le prolongeant, l'Etat souhaite simplement, me semble-t-il, se donner la possibilité d'agir rapidement, d'être réactif. Mais il va évidemment falloir réfléchir sur le long terme, puisqu'il ne peut s'agir d'une mesure "à durée indéterminée". Il ne peut, à lui seul, sur le long terme, se substituer au système judiciaire dans sa globalité

Et après?

Il est un fait, une petite lueur dans tout ce désordre: comme au mois de janvier, après les attentats "Charlie Hebdo", la délinquance dite "de voie publique" est en baisse. Moins de cambriolages, moins d'agressions... et pour cause, il y a plus de policiers "dehors". De cela, peut-être faudra-t-il aussi tirer quelques enseignements.

A coté de cela, il est probable que de nouveaux textes feront leur apparition au cours du premier trimestre 2016. Il s'agira alors de pouvoir lutter plus efficacement encore contre les réseaux terroristes, mais plus largement d'aider les policiers dans leurs possibilités d'investigations. Pour autant, n'oublions pas que, même si ces moyens d'enquête sont nécessaires, ils ne pourront, à eux-seuls, être efficaces. 4000 postes de policiers et gendarmes ont été annoncés. Espérons qu'il s'agisse d'emplois autres que de simples adjoints de sécurité. Non pas qu'ils ne soient pas utiles, ils le sont, mais ils ne peuvent remplacer des policiers plus largement et longuement formés. L'inconvénient étant dès lors que ces policiers ne seront pas prêts avant deux ans. Si tant est que l'on ai résolu une problématique liée aux écoles de police, dont le nombre a diminué ces dernières années, préemptant de fait le nombre de policiers pouvant être formé simultanément. Quoi qu'il en soit, d'ores et déjà, il semblerait que la formation des gardiens de la paix ait été revue. A la fois écourtée (dix mois, dont les deux derniers dans le service, en pré-affectation), mais aussi tournée vers plus de pratique.

Il faut agir ainsi sur plusieurs fronts. Les moyens, matériels et humains, mais aussi juridiques. A coté de cela, la justice a bien évidemment, elle aussi, un rôle clé dans tout cela. Elle aura besoin d'énormément de moyens. Mais il va également falloir réfléchir à ce que propose notre société, qui fasse que l'on retrouve des nationaux qui vont combattre la France, soit sur un terrain d'affrontement étranger, soit sur son propre sol. Et ça, c'est à la fois complexe à analyser, mais d'autant plus long avant que des décisions soient prises, et que le changement ne se fasse sentir. En attendant, il va falloir continuer à vivre, aussi normalement que possible.