Une fois n'est pas coutume, je ne parlerai pas de police, aujourd'hui.
Ce 27 novembre 2015 est un jour de recueillement, d'hommage, pour toutes celles et ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont été touché dans ces attentats. Tout d'abord, les 130 victimes directes, puis ceux qui sont blessés, parfois gravement ; certains étant encore hospitalisés. Mais aussi, tous ceux qui sont sortis indemnes de ces tueries. Indemnes, tout au moins physiquement. Et puis, il y a toutes les personnes qui leurs sont proches qui vivent ces moments difficiles.
Enfin, il y a tous ceux qui, au sein de la nation française, se sentent touchés au travers ce qui est arrivé. Touchés au travers de ce qui a été touché, et que la France représente. La liberté. Celle de se retrouver dans un bar, et refaire le monde; celle d'aller à un concert, et s'égosiller à n'en plus pouvoir parler...
Au delà de toutes nos divisions, nos avis respectifs, sur tout, et parfois n'importe quoi, c'est bien de cela, dont il s'agit. La LIBERTE.
Au delà des appels gouvernementaux, au recueillement, de telle ou telle manière, chacun pensera, à sa manière, à ceux qui nous ont quitté. Parce que chacun de nous aurait pu être assis à l'une ou l'autre de ces terrasses, ou dans cette salle de concert.
A cet instant, je repense à ces histoires, individuelles. Fortes. Celles dont on prend encore plus conscience lorsque l'on recueille ces témoignages. L'on voit alors ceux qui étaient présents et qui, en fait, n'auraient pas dû l'être. Et ceux qui, inversement, avaient prévu d'y être, et qui, pour une raison dûe au hasard de la vie, n'auront pas pu y aller. C'est probablement cela, que l'on appelle le destin. Parfois tragique, parfois chanceux.
Je la revoie. Qui, lorsque rentrant dans mon bureau, me donne l'impression qu'elle va me parler d'un vol de bonbon. Aussi détachée, parfois le sourire aux lèvres.... oui, je le sais, je le comprends. Passé le drame, survient cet instant où l'on est rassuré. Où l'on se dit... ou ELLE s'est dit « je suis en vie ». Je me doute bien qu'elle aura des lendemains difficiles, c'est évident. Elle me parle... normalement, en fait! Parfois l'on s'attend à voir, dans son bureau, des torrents de larmes. Ce que l'on pourrait largement comprendre en telle situation. Il n'en sera rien. Digne tout du long, s’inquiétant pour ses amis. A ma première question "comment allez-vous", elle me répond "ça va", très sobrement. Certes, la question n'est probablement pas la meilleure que l'on puisse poser en telle circonstance. Mais en fait, y en a-t-il seulement une de bonne? Quelle manière efficace de s'adresser à quelqu'un qui sort de "ça" ? Elle me raconte alors son souvenir... ce n'était, après tout, qu'il y a cinq ou six heures... j'imagine à peine l’indicible de ce qu'elle a dû vivre, voir, entendre... mais elle parle; normalement.
Mon travail se termine; je lui ai quelque peu expliqué ce qui allait advenir d'un point de vue pénal. Je lui ai surtout conseillé de parler. A qui elle voulait; un proche, un psychologue... mais, à tous prix parler. Je la raccompagne au pied du service, où elle est attendue. Je n'ai plus ma place dans son histoire. Et pourtant, j'aimerai pouvoir la suivre, pouvoir m'assurer que malgré tout, elle va pouvoir avancer le cours de sa vie. Mais, de ce suivi, il n'en sera probablement rien. Je crois que je penserai longtemps à elle.
Pour ce qui me concerne, aujourd'hui, point de selfie. Point de drapeau à la fenêtre. Mais, peut-être est-il temps, pour nous, citoyens de France, de retrouver un peu de liant, et ce malgré nos divergences. Se rappeler que, à chaque instant, nous sommes libres. Oh, rien est parfait. Et, je vais vous livrer un scoop, rien ne le sera jamais. Chacun à sa manière, de son coté, essaye d'améliorer les choses. Et c'est bien là l'essentiel.
Le râleur patenté que je suis reste fier de son pays. Fier du métier qu'il fait.
Et, comme tous mes collègues, même dans la difficulté... surtout, devrais-je dire... nous savons pourquoi nous faisons ce métier. Parce que, malgré ce que certains pourront dire, notre volonté, par le biais des missions qui nous sont dévolues, reste de protéger la société française. Que chacun puisse vivre en sécurité, ce qui pour moi, représente l'un des piliers de la liberté.
Demain, nos vies reprendront leur cours, c'est ainsi... il y aura, vraisemblablement, au moins pour une partie de nous-même, un avant et un après.
Vous vous appeliez Stéphane, Fréderic, Marion, Nohémi... ou tant d'autres... aujourd'hui, nous pensons à vous.