Il est 21h20, ce vendredi soir. Tout juste rentré. Comme beaucoup, je suis en famille. Les enfants rient. Un match de foot. Bref, quelques ingrédients d'un week-end normal.
Et puis, ce premier message d'une amie: "il se passe quelque chose sur le 11ème"? Premières recherches... les réseaux sociaux. Et ça commence à s'emballer. Le 10ème, le 11ème... le Bataclan. C'est confus. Premiers messages, avec les collègues... tout le monde est attentif... Très. Le rappel est ordonné; tout le monde au service. On arrive... beaucoup de sentiments se mêlent, façon de se donner du courage, puisqu'on sait ce qui nous attend... Les premiers mots du chef de l'Etat, très éprouvé, cela ne fait pas de doute.
Et puis, les interventions s'organisent; minute après minute, l'organisation monte d'un cran. Un déplacement nocturne, dans Paris, en convoi. Les gyrophares et deux tons, sur de nombreux axes, qui se croisent. Plusieurs colonnes, dans tous les sens. Pompiers, Samu, Sécurité Civile, policiers. Partout. Une véritable nuit bleue. Des militaires. Des chicanes, faites de poubelles, prêtes à faire ralentir les véhicules. Derrière, des hommes en arme. C'est une image qui m'a... d'abord étonnée. Et puis qui est en fait à la hauteur de ce que nous vivons. Le mot "guerre" a été prononcé par nos autorités. La nuit passe. Chacun fait ce qu'il a à faire. Forcément, au contact, soit de l'horreur, soit de la douleur. Nous sommes formés, professionnels jusqu'au bout. Mais le bilan s'alourdit, d'heure en heure.
Le petit matin arrive. Entre temps, la BRI et le RAID seront intervenus au Bataclan. De notre coté, notre mission s'achève. Pour combien de temps? L'avenir nous le dira. Retour à la maison. On rassure les proches. Il faut aller se reposer. Oh, je n'en ai pas envie. Un peu comme tout le monde, j'essaye de suivre l'information. Peut-être va-t-il falloir y retourner, et être prêt, en forme. Pour autant, le sommeil n'est forcément pas le même. parsemé de réveils.
Et puis, finalement... on se lève. Petit contrôle sur le téléphone, histoire d'être certain que l'on n'a pas loupé l'appel. Non, rien.
On rallume la télévision. L'enquête a-t-elle progressé? Tout est calme? Le bilan s'est-il alourdi? Ce sont quelques unes des questions que l'on se pose. En tension, tout le temps. Même à domicile. Il y a ce sentiment qui prédomine d'être inutile, là, maintenant. C'est pourtant normal. Il faut faire tourner les effectifs, que chacun puisse être en forme, au moment où il sera rappelé, pour être efficace dans la mission confiée.
Mine de rien; je ne serais capable que de peu de choses, aujourd'hui. Les réseaux sociaux et l'information rythmeront la journée. Je noterais que les médias ont tiré des leçons dans leur manière de couvrir l’événement, depuis Charlie. Il y a un progrès.
Et maintenant?
Une fois les émotions passées, viendra le temps de l'après.... Il y a, bien sur, l'enquête qui va continuer, prendre du temps. La justice qui prendra les décisions qu'elle jugera nécessaires. Mais, lorsque l'on parle de terrorisme, et que l'on conjugue ce mot avec "justice", c'est que, quelque part, il est trop tard. Le drame, comme hier, comme en janvier, est survenu.
Mais d'autres questions se posent. L'on ne peut pas juste attendre qu'il arrive de nouveaux drames. Et c'est tout l'enjeu des futures discussions. Que peut-on faire? Sur le territoire national, mais aussi sur les terres syriennes ou irakiennes? Et avec qui? C'est là que les instances comme l'ONU ont toute leur place. Elles doivent reprendre le dessus. Nos divergences politiques doivent s'effacer devant le terrorisme.
Il est une chose certaine. La haine engendre la haine... Comment souvent, les extrêmes se montent, les unes regardant les autres.
Passons au dessus de tout cela. L'avenir de la société telle que nous la concevons, l'avenir de nos enfants... en dépend.
L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l’amour le peut.
Martin Luther King - Extrait du journal Wall Street Journal – 13 Novembre 1962