Et si la souffrance au travail n’était pas une fatalité ? Et si le fonctionnement pyramidal des entreprises avait atteint ses limites ? De nombreux experts dénoncent en effet le manque de flexibilité, d’innovation, l’absentéisme, et les problèmes psychosociaux induits par une hiérarchie stricte. Aujourd’hui, de plus en plus de sociétés cherchent des modèles alternatifs, plus souples, dans lequel les salariés seraient plus impliqués et plus autonomes. Loin d’être une utopie de hippies, ce concept a été théorisé sous le nom d’ « entreprise libérée ».
Par Nathalie Rossignol
Pour résumer le principe : liberté + responsabilité = bonheur + performance. À Erquy (22), l’entreprise Biogroupe, spécialisée dans la production de thé fermenté et de yaourts végétaux tente d’appliquer ces principes.
Biogroupe, c’est 7 millions de chiffre d’affaires en 2018, 40 % de croissance et une équipe qui s’étoffe petit à petit. 15 salariés il y a deux ans, 35 aujourd’hui et un pari : le bien-être pour tous !
Reportage : Nathalie Rossignol et Catherine Bazille.
Intervenants : Jonathan Lesueur (Technicien de maintenance), Alix Coulloume-Labarthe (Responsable communication Biogroupe), Maxime Le Naour (Responsable préparation commandes), Gilles Pallier (Maître fermenteur), Rozenn Guillaume (Commerciale), Laurent-Coulloumme-Labarthe (Cofondateur de Biogroupe)
Le quotidien d’une entreprise libérée
Une fois par semaine, aux beaux jours, la journée démarre sur la plage, de bonne heure, pour les plus courageux. Sous les conseils du coach Eric, pendant une heure, les exercices s’enchaînent, dans la bonne humeur. « Au départ, certains n’étaient pas motivés, puis ils se sont rendus compte du bénéfice de ces séances au niveau de leur énergie, mais aussi de la cohésion du groupe, et ils ont continué », précise ce professionnel de plus en plus sollicité pour intervenir au sein d’entreprises. Lucie Lebret, responsable administrative et financière, reconnaît que ce rendez-vous matinal l’oxygène, et la met en « super forme pour la journée ».
Dans les locaux de l’entreprise, chacun prend place à sa convenance sur les grandes tables des espaces ouverts. Ici pas de bureau attitré, mais seulement un casier où chacun récupère son ordinateur et ses dossiers. Et chaque jour, les salariés sont invités à changer de voisins. « Au début, cela n’a pas été facile pour tous. Il y a eu des résistances, mais finalement au bout de quelques mois, chacun a constaté l’intérêt de cette absence de routine. Personne ne reviendrait en arrière », confirme Laurent Coulloummes-Labarthe, cofondateur de Biogroupe. Jonathan Lesueur, technicien de maintenance, constate ainsi que cela l’a rapproché de ses collègues et qu’il prend davantage conscience de leur charge de travail et de leur univers.
L’autre objectif, c’est de ne pas dissocier les équipes de production et d’administration… Ainsi, lors d’un prochain salon professionnel, deux ouvriers de l’usine seront du voyage. « C’est eux qui parlent le mieux des produits qu’ils fabriquent et c’est valorisant pour eux de constater ce que pensent les consommateurs », précise Alix Coulloummes-Labarthe, responsable de la communication.
Encourager les initiatives
L’idée, c’est aussi de donner sa chance à chacun, de profiter des bonnes initiatives de tous. Maxime était un simple intérimaire il y a deux ans, il est aujourd’hui à la tête d’une équipe de préparateurs de commandes. Il avait soumis l’idée d’offrir aux chauffeurs de passage un café, servi dans un gobelet siglé au nom de l’entreprise. C’est lui qui a pu mener ce projet de A à Z. « C’est bonifiant, et puis il n’y a pas trop de pression, donc ça donne envie d’aller de l’avant et de proposer des nouvelles idées », confirme-t-il.
Une hiérarchie qui se veut plus horizontal avec une véritable vie extraprofessionnelle aussi. Outre les cours de gym, les salariés peuvent suivre des cours de yoga dans la yourte installée juste devant l’entreprise. Ils peuvent également pratiquer le beach-volley sur du « vrai » sable, emprunter les trottinettes électriques, aller cueillir dans la serre des légumes bio et partager des repas dans la grande cuisine à l’entrée du bâtiment. Une fois par mois, ce sont même les managers qui cuisinent pour tous, et chaque trimestre une grande fête réunit tous les salariés.
Bien se connaître pour bien travailler ensemble
Gilles Pallier, maître de fermentation, reconnaît son plaisir de venir travailler. « On est pleinement investi donc le produit s’en ressort amélioré ». Fabien Gicquel, directeur industriel, a connu plusieurs grandes sociétés agroalimentaires dans lesquelles il n’y avait aucune considération pour les salariés. « Ici, on a tous un prénom et on partage beaucoup de choses ensemble ».
Rozenn Guillaume, commerciale, a connu ce type de fonctionnement dans les entreprises anglo-saxonnes. « Ici, un niveau de confiance est donné d’emblée, après il faut en faire la preuve grâce à des résultats. Il y a une exigence importante, car on est dans une entreprise en pleine croissance, mais si cela se faisait dans une ambiance de stress, ce serait invivable, ce n’est pas le cas. Ici, tout le monde joue pour un succès collectif ».
S’il est difficile de mesurer objectivement un niveau de bien-être ou de bonheur au travail, il est en revanche un signe qui ne trompe pas… Dans cette entreprise, pas d’absentéisme à signaler…