A-t-il été si dur de se taire, pendant des années ? Plusieurs plumes ou conseillers de Nicolas Sarkozy à l'Elysée ont donné, après coup, leur version du quotidien survolté dans le palais présidentiel. Si Marie de Gandt en a fait le compte-rendu le plus vif, Henri Guaino le plus grandiloquent et Camille Pascal le plus ampoulé, Maxime Tandonnet tresse le récit le plus modeste, le plus tourmenté et peut-être le plus malheureux.
Car c'est à lui que fut imputée la rédaction du polémique discours de Grenoble, prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010. L'ex-chef d'Etat proposait - entre autres- la déchéance de nationalité pour des naturalisés de moins de dix ans, pour certains crimes et délits.
Maxime Tandonnet l'affirme : sa version avait été corrigée et amendée, avec des ajouts ultra-répressifs et vraisemblablement anti-constitutionnels, qu'il a dénoncés. N'ayant pas, dit-il, été soutenu, il a quitté la réunion en fureur. Il n'a pas démissionné, même s'il y a songé. Mais lui qui se dit gaulliste a souffert de se voir dépeint en quasi-idéologue d'extrême-droite, sur de nombreux sites internet se copiant les uns les autres.
Son livre, passionnant pour qui veut autopsier l'exercice du pouvoir, en donne aussi les limites. En matière d'immigration, chaque décision de Nicolas Sarkozy était soupesée et examinée, en réunion, au regard d'une éventuelle annulation par le Conseil constitutionnel (ou la Cour européenne des droits de l'homme).
Le chroniqueur insiste sur la difficulté à agir, même pour un Sarkozy qui s'en était fait une profession de foi. .Ces mêmes institutions non élues, notons-le au passage, retoquent aujourd'hui la baisse dégressive des cotisations des salariés les plus mal payés voulue par le gouvernement de François Hollande, ou telle décision sociétale sur la GPA (gestation pour autrui). Est-il illégitime de s'interroger sur les marges de plus en plus étroites entre lesquelles naviguent les élus issus du suffrage universel ?
Les leçons de com' de Nicolas Sarkozy
Que retenir encore ? Sarkozy surfant sur toutes les vagues médiatiques. "Le président nous a parlé ce matin de l'effet Obama (…) Il insiste sur la nécessité absolue de promouvoir des Noirs ». Le même expliquant au garde des Sceaux Michel Mercier : "Là tu vois Michel, (...) je t'entends parler de circulaire, je coupe tout de suite la radio. Quand tu commences à dire "j'ai signé trois circulaires, tu as déjà perdu la bataille de la communication. Tu est catalogué : « rond-de-cuir ! Dis des choses simples ! Compréhensibles ! Les responsables seront sanctionnés ! ».
Enfin, un président sachant donner des conseils d'amis aux médias : "Vous vous intéressez à ma vie privée ? Un jour on s'intéressera à la vôtre". "J'ai dit un jour à "Y" (une femme journaliste) : On connaîtra tout de votre vie privée. On saura que vous avez vécu avec une femme. Bien sûr, ce n'est pas un problème. Mais quand on apprendra que cette femme était un ministre ?".Maxime Tandonnet raconte enfin- la plaie semble toujours à vif- comment il est "viré" de l'Elysée en mal de recentrage et de rajeunissement, en 2011. Il paie, pense-t-il, le fait d'avoir été épinglé comme "facho" par la presse après le discours de Grenoble.
Ces "Carnets" se lisent aussi comme la descente aux enfers d'un énarque pris dans la bataille du pouvoir. Il doit renoncer à son ego, ne décide de rien, quête une reconnaissance qui vient rarement. Il décrit "le vide intérieur, vaguement angoissant, la place laissée vacante après le stress élyséen". Pendant quatre ans, il avait pourtant maudit l'urgence, les appels à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, l'absence de vacances.
Et de noter n'avoir reçu que six cartes de vœux en janvier 2012, contre plus de trois cents, l'année précédente, comme conseiller à l'Elysée. Désabusé de cette "comédie humaine", l'auteur avoue avoir "cessé de croire en la politique au sens noble du terme".