Sous la plume malicieuse de Marie de Gandt, la fabrique du discours à l'Elysée

Après Henri Guaino et Camille Pascal, c'est au tour d'une autre plume de Nicolas Sarkozy, Marie de Gandt, de dévoiler dans un livre les dessous élyséens du précédent quinquennat.

Cette jolie blonde de 37 ans, vive et drôle, y ajoute la malice, les étonnements d'une transfuge venue de la gauche et un regard féminin sur un univers masculin "monochrome".

Avec ses titres attendus de normalienne et d'agrégée de lettres classiques, l'auteur n'est pas tout à fait un OVNI, mais une "décentrée" souvent railleuse, qui s'efforce de garder la tête froide dans un univers militant .

A l'Elysée, une affiche du SAC

Que révéle-t-elle dans Sous la plume, petite exploration du pouvoir politique ? Quelques curiosités, comme la salle d'art martial, et quelques anomalies. Elle explique ainsi rencontrer un interlocuteur dans des locaux de l'Elysée décorés d'une "affiche du SAC - Service d'action civique, de sinistre mémoire".

Pourquoi une affiche à la gloire de ce mouvement de barbouzes gaullistes dissous en 1981 après la tuerie d'Auriol (commune proche de Marseille où un responsable du SAC fut massacré avec sa famille) dans un palais républicain ? Le mystère reste entier, et le "second degré" une "hypothèse charitable".

La guerre des plumes

Cette spécialiste de littérature comparée évoque aussi les rivalités entre les différentes plumes présidentielles. A Henri Guaino le lyrisme et les grands discours. A la "troisième Plume"- on a cru deviner le conseiller de l'Elysée aux médias Camille Pascal- le "compassionnel".

Et Marie de Gandt de tacler, malgré ses "magnifiques envolées", cet homme de talent qui se laisse aller "sinon à être rédacteur de Détective, du moins à évoquer le petit matin blême où une mère retrouve le cadavre de sa fille déshonorée, le jour tragique où la policière décédée est partie joyeusement au travail sans savoir qu'il n'y aurait pas pour elle de lendemain..."

Le style, une affaire de morale

Car le style trahit la morale (ou son absence). "Loin des compromissions qu'on leur prête, les Plumes sont une espèce intègre", proclame haut et fort Marie De Gandt avant de livrer sa déontologie : "Un diplo raille un jour mon éloquence sèche. Je ne nie pas, me réjouis même d'avoir réussi cela. Pour moi, ne pas mentir, c'est ne pas faire de pathos."

Qu'on se le dise : si une "plume" n'a pas de visibilité, elle a un honneur professionnel, le choix des mots. L'écrivain raconte sa "honte" de n'avoir pas vu, dans le discours de Grenoble dont elle a reçu en copie les "versions successives", "l'expression "Français d'origine étrangère". "Je l'ai sous les yeux et ne la vois pas, ne l'entends pas. C'est sur ces mots que j'aurais pu agir, signaler que l'expression était doublement fautive..."

L'auteure décrit sa marge de de manoeuvre, réduite dans les discours diplomatiques où toute approximation peut provoquer un incident, plus vaste dans les discours de remises de médaille : "je me laisse aller, goûtant notamment la capacité de mon orateur (Nicolas Sarkozy) à s'approprier les souvenirs d'enfance que j'ose lui forger. Il les lit avec une conviction d'acteur qui rejoint en moi l'auteur, mais fait frémir le citoyen".

Femme dans un univers très masculin

Dans un univers viril aux blagues parfois douteuses, elle se dépeint enfin elle-même,  femme enceinte, femme qui allaite, mère de famille qui jongle entre vie privée, carrière universitaire et incessantes commandes de son employeur élyséen : discours à écrire à la dernière minute, puis à faire et refaire au gré des relectures successives.

Comment a-t-elle survécu à l'"Elysée blues", à la fin de cette vie trépidante ? "C'était vraiment de beaux esprits, dit-elle, en évoquant les jeunes conseillers qui l'entouraient. Je ne retrouverai jamais ça". Elle s'est vite remise, grâce à ce livre écrit en six mois qui lui vaut depuis un mois une célébrité obstinément ignorée par ses collègues universitaires. Le bébé à venir- elle est enceinte de son troisième enfant- et la fiction qu'elle compte écrire la projettent vers l'avenir. La nostalgie n'est pas son fort.

-> Sous la plume Petite exploration du pouvoir politique, Marie de Gandt (Robert Laffont, 19 euros)