Les quatorze jours de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle ont sidéré plus d'un observateur. Car Nicolas Sarkozy n'a pas choisi de se recentrer et d'en appeler à l'unité des Français, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. Suivant, à l'inverse, les suggestions de son conseiller Patrick Buisson, il a poursuivi un virage très à droite pour conquérir les 17,9% de voix du premier tour qui s'étaient portées sur la candidate du Front national, Marine Le Pen.
Dans leur livre publié mercredi 17 octobre, Ça m'emmerde ce truc, 14 jours dans la vie de Nicolas Sarkozy, les journalistes de L'Express Eric Mandonnet et de Paris Match Ludovic Vigogne retracent ces deux semaines de campagne présidentielle, du 22 avril au 6 mai 2012.
Ils récapitulent une stratégie et une campagne ultra-droitière qui se sont soldées par une défaite, même si celle-ci fut moindre qu'attendue :
L'analyse : une France très à droite
Au lendemain du premier tour, que retiennent les stratèges du camp Sarkozy, selon les deux journalistes ? Le candidat note qu'avec 27,18% des suffrages, il n'a recueilli que 1,45 point de moins que son adversaire socialiste. Et remarque que Marine Le Pen est bien plus haut que prévu, quasiment à 18% des voix.
Pour Emmanuelle Mignon (en charge du projet), c'est clair : "les Français ne lui reprochent pas d'être trop à droite, mais de ne pas l'être assez". Pour Patrick Buisson, c'est lumineux : il faut fusionner les électorats FN et UMP. "C'est cela, la matrice de cette présidentielle", martèle-t-il.
La stratégie Buisson
La stratégie, c'est encore Patrick Buisson qui va la définir. L'ex-patron de l'hebdomadaire d'extrême-droite Minute, écrivent Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne, estime qu'"il faut réunir le bourgeois de Versailles et la technicienne de surface des supermarchés. Les ménages en difficulté dans les territoires rurbains et ruraux ont le sentiment d'être abandonnés...Ces classes moyennes ne sont plus définies par le revenu, mais par une appartenance ethnico-culturelle : c'est ce qu'on appelle le petit Blanc".
La cible si élégamment désignée, c'est la France périurbaine ou rurale décrite par le géographe Christope Guilluy dans Fractures Françaises. Une France qui a effectivement donné ses meilleurs scores au Front national.
Les attaques contre l'islam
Le chef de l'Etat va embrayer. Conforté par une succession d'enquêtes prouvant "le raidissement de l'opinion", le président de la République décide, selon les auteurs, d'user d'une "carte plus précise" que celle de l'immigration, déjà jouée en 2007. "Ce sera l'islam", d'autant que les réponses du candidat Sarkozy à la crise "peinent à convaincre".
Et puisque l'islam, estime-t-il, fait peur, il va chercher à "associer François Hollande à l'islam". Nicolas Sarkozy ose tout ou presque. Invité du 20 heures de TF1 le 25 avril, il lance : "Que dit François Hollande quand Tariq Ramadan ose appeler à voter pour lui ?" Malgré les démentis de Tariq Ramadan - qui finira par publier sur son blog un billet ironique appelant à voter...Sarkozy - le chef de l'Etat réitère ses attaques.
Puis, à partir d'un article publié sur Marianne 2, l'ancien maire de Neuilly invente purement et simplement "un appel de 700 mosquées à voter pour M.Hollande"
Dans tous ses meetings, désormais, il va mêler "dans de mêmes envolées la condamnation d'horaires réservés aux femmes dans les piscines, le refus de la viande halal dans les cantines et la dénonciation de l'excision".
La défaite
Après un débat le 2 mai qu'il ne sentait pas, contre François Hollande - "ça m'emmerde ce truc", a lâché le candidat de l'UMP à ses proches, les résultats du 6 mai consacrent la défaite, avec 48,38% des voix. Claude Guéant se réjouit car "ce que Nicolas Sarkozy n'aurait pas supporté, c'est de perdre largement".
Mais le journaliste Jean-François Kahn note la victoire d''"une droite brute de décoffrage -brute tout court ...La gauche a gagné légalement une élection qu'elle a perdue intellectuellement".
Le candidat Sarkozy de 2007 avait gagné en siphonnant largement les voix du FN. Celui de 2012 a perdu, moins que prévu, en insistant sans relâche sur les dangers supposés de l'immigration ou de l'islam.
Et la prochaine fois ? L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Camille Pascal a d'abord démenti, puis qualifié de "plaisanterie que l'on peut juger de bon ou de mauvais goût" l'idée que lui prêtent les auteurs. A savoir que Nicolas Sarkozy devait annoncer, s'il était réélu, qu'il nommerait Marine Le Pen à l'intérieur.
Cette campagne a néanmoins marqué une étape supplémentaire dans le rapprochement idéologique UMP-FN d'une droite radicalisée. Et il convient d'archiver le livre d'Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne, qui la décrivent minutieusement, pour en garder mémoire.
Ça m'emmerde ce truc - 14 jours dans la vie de Nicolas Sarkozy, Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne (Grasset, 12,90 euros)