Il y a 160 ans, en 1855, Paris accueillait l'exposition universelle. Pour cette occasion, Napoléon III alors empereur, demanda à ses ministres concernés de contacter les Chambres de Commerce des régions candidates à l'exposition pour les inciter à y présenter leurs meilleurs produits en les classant.
Le président de la Chambre de Commerce de Bordeaux, à cette époque, était également négociant en vins. Il décida de répondre à cette demande en faisant établir un classement des vins du bordelais. Par un courrier du 6 avril 1855 il demanda à l'Union des Courtiers en vin de se charger de cette mission. En l'acceptant, ces derniers se réunirent et commencèrent par se poser la question suivante :
« Comment allons nous procéder ? »
Avant tout, un petit rappel de ce qu'est le métier de courtier en vin. Le courtier est l'intermédiaire entre un producteur, vendeur de son vin en vrac, et un négociant, acheteur de vin en vrac. Le courtier participe aux transactions et à la négociation sur les prix. Le producteur, et le négociant, peuvent faire appel à plusieurs courtiers. Les courtiers, à chaque campagne chaque année, ont l'habitude de noter sur un carnet toutes les transactions auxquelles ils participent et tous les prix auxquels les vins sont vendus.
Alors comment faire pour ce classement ? L'idée proposée par quelques uns va être suivie. Chaque courtier va sortir son carnet et communiquer à tous le prix des vins pour la vente desquels ils avaient été l'intermédiaire. Ils s'aperçurent ainsi que d'année en année la hiérarchie des prix des vins des différents domaines était toujours la même. C'est ainsi qu'ils décidèrent d'établir le classement en se basant sur les prix, les vins vendus les plus chers seront premiers et ainsi de suite.
Le classement sera publié le 18 avril 1855. Il concerne 60 vins rouges (59 dans le Médoc et 1 dans les Graves), et 27 vins blancs de Sauternes et Barsac.
Les vins rouges sont classés en 4 premiers crus, 15 deuxièmes crus, 14 troisièmes crus, 10 quatrièmes crus et 17 cinquièmes crus. Les vins blancs sont classés en un premier cru supérieur, 11 premiers crus et 15 deuxièmes crus.
Les 4 premiers crus en rouge sont : Château Haut-Brion (Graves à l'époque et Pessac Léognan aujourd'hui), Château Lafite-Rothschild (Pauillac), Château Latour (Pauillac) et Château Margaux (Margaux).
Le premier cru supérieur en blanc est Château Yquem (Sauternes).
Quel est le classement actuel ?
À ce jour, ce classement a subi deux changements : le premier, dès le 16 septembre 1855, il concerne le Château Cantemerle (Haut-Médoc) qui est admis en cinquième cru et le deuxième, en 1973, année au cours de laquelle le Baron Philippe de Rothschild, propriétaire du Château Mouton Rothschild, obtient le passage de son domaine de deuxième cru à premier cru. Satisfait, le Baron va s'exprimer en ces termes : « Premier je suis, second je fus, Mouton ne change ». Avec ces deux changements, le classement comporte donc depuis, 5 premiers crus, ainsi que 14 deuxièmes crus et 18 cinquièmes crus.
Venons en à la notion de cru ou de grand cru. Elle est bien antérieure au classement des vins de 1855. Elle est liée à la qualité d'un terroir duquel est issu le vin. Dès le milieu du 17ème siècle, Château Haut-Brion était très prisé à Londres et considéré comme un grand cru. Au début du 18ème siècle la France et l'Angleterre étaient en guerre sur l'océan par marines interposées. Lorsqu'un navire anglais arraisonnait un navire français, les anglais s'emparaient des marchandises transportées pour les rapporter à Londres où elles étaient, plus tard, vendues aux enchères.
Monsieur René Pijassou, aujourd'hui décédé, professeur de géographie à l'Université de Bordeaux III et spécialiste du Médoc a fait des recherches à Londres et a trouvé dans les archives des exemplaires des gazettes du début du 18ème siècle. Dans ces gazettes, il a trouvé des annonces de ventes aux enchères avec la liste des articles proposés à la vente. Dans certaines de ces listes figuraient des « crus » Château Lafite, Latour et Margaux.
Un classement critiqué
Ce classement de 1855 reste critiqué par certains, peut-être à cause de son caractère immuable ou parce que certains des domaines ont été, depuis, morcelés ou revendus. Il est vrai que moins de 5 % des propriétaires actuels sont des descendants de ceux de 1855. Mais d'un autre côté, et je suis de cet avis, établir un classement à partir du prix de vente pratiqué est tout de même la meilleure façon de procéder car le prix est celui que l'acheteur accepte de dépenser pour l'achat d'une bouteille et cela condamne le producteur à garder un niveau de qualité correspondant au prix.
Cela fait 160 ans que ce classement existe, la manière dont il a été établi ne doit donc pas être si mauvaise que cela. Par ailleurs, beaucoup plus récemment (voir dans mes textes précédents), le syndicat des vins de Saint-Emilion, avec l'appui de l'INAO (Institut National des Appellations d'Origine), a également établi un classement avec un cahier des charges très fourni dont une révision tous les dix ans et sur un contrôle strict du suivi de la qualité des vins. Tout ceci n'a pas empêché les critiques, bien au contraire, on assiste même régulièrement à des plaintes et à des recours en justice, ce qui n'a jamais été le cas pour le classement de 1855.
Dernier exemple montrant que ce n'est pas le classement qui fait le prix des vins, Château Pétrus (Pomerol) se vend aussi cher que les premiers crus classés de 1855 et il n'existe pas de classement des vins de Pomerol.