Le viticulteur est rassuré lorsque sa récolte est pleine et que ses raisins sont cueillis. En attendant pendant tout le cycle végétatif il s'inquiète des aléas climatiques qui peuvent venir diminuer, voire anéantir cette récolte. Le premier risque naturel qu'il craint est le gel de printemps.
Qu'en est-il des gels de printemps ?
Ce que l'on constate, au moins dans les régions septentrionales, c'est qu'il y a toujours une période de gels au printemps entre le 10 et le 25 avril, les gelées étant plus intenses en début de période qu'en fin de période.
Le débourrement des vignes, jusqu'à la fin des années 80, se situait entre le 12 et le 25 avril ce qui fait que les gels avaient peu de conséquences car le stade de développement de la vigne était peu avancé. De nos jours le débourrement est beaucoup plus précoce (du 16 mars au 10 avril), le stade de développement de la vigne est donc plus avancé au moment du gel, d'où des dégâts plus importants.
La période des gelées de printemps est donc normal, ce qui ne l'est pas c'est d'avoir des débourrements aussi précoces dus à des périodes à températures élevées qui débutent dès la fin février.
Les gels cette année
Le stade de développement de la vigne, cette année, a plus de 3 semaines d'avance. On constate lorsqu'on passe dans les vignes que les feuilles ont déjà bien poussées et que les raisins sont déjà formés. Par ailleurs les nuits des 19, 20 et 21 avril derniers ont été particulièrement froides provoquant des dégâts dans les vignes de nombreuses régions : Bordelais, Champagne, Bourgogne, Alsace, Val de Loire, Jura, Languedoc-Roussillon, le Vaucluse, le Var ont été touchés. Les températures sont descendues jusqu'à -6° C par endroits.
Dans le département de l'Hérault, par exemple, 20.000 hectares ont été endommagés, certaines parcelles ont été touchées à 100%. Le président de la cave coopérative de Montagnac dit « depuis plus de 40 ans, on n'avait pas vu ça ici ». Il pense avoir perdu 40% du volume de production de la cave. L'appellation Picpoul est particulièrement touchée, ce qui va provoquer une tension supplémentaire sur le marché car les stocks étaient déjà bas et la prochaine récolte ne va donc pas les reconstituer.
L'Alsace non plus n'avait pas connu des dégâts de cette ampleur depuis 1991. L'AVA (Association des Viticulteurs d'Alsace) parle d'environ 1.000 hectares touchés de 80 à 100% dans la plaine autour de Colmar et dans les bas de coteaux.
Comment lutter ?
Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour remonter la température du sol de 1 à 3 degrés, suffisant pour empêcher le gel. Parmi celles-ci il y a le choix entre les bougies de paraffine et les chaufferettes que l'on voit beaucoup en Champagne et à Chablis, l'aspersion d'eau et le brassage d'air (à l'aide de tours à hélice ou de l'hélicoptère). L'an dernier, dans un texte sur les Saints de glace, j'ai présenté les avantages et les inconvénients de ces différentes méthodes.
Prenons le cas particulier du Val de Loire cette année : les 34 vignerons de Montlouis ont choisi la solution de l'hélicoptère, 7 d'entre eux ont survolé le vignoble le 20 avril. Le 25 avril, 14 appareils étaient prêts à décoller pour survoler les vignes de Montlouis, Vouvray, Bourgueil et Azay-le-Rideau. Ces hélicoptères complétaient les dispositifs (bougies, tours et aspersion) déjà mis en place. Pour le président des fédérations viticoles d'Indre-et-Loire et de la Sarthe l'investissement dans l'utilisation des hélicoptères (200 €/hectare) était indispensable pour, dit-il, « pouvoir continuer à faire vivre l'économie viticole du département et pour cela il est impératif de sauver la récolte ». Toujours d'après lui, « c'est une organisation presque militaire, c'est une guerre contre le gel qu'on espère bien gagner ». Il rappelle que l'an dernier les viticulteurs tourangeaux ont perdu en une nuit 150 millions d'Euros, ils ne survivraient pas à un deuxième coup dur comme celui-là.
Le vignoble bordelais, plutôt épargné les 20, 21 avril, a été frappé en plein par les températures négatives des 26 et 27. Toutes les zones ont été touchées, la rive droite comme la rive gauche de la Garonne et de l'estuaire de la Gironde. Le CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux) annonce que, selon les secteurs, 20 à 90, voire 100% des parcelles ont été ravagées. Pour venir en aide aux viticulteurs bordelais dans leur lutte contre le gel, la tonnellerie BARON en Charentes Maritimes a pris une initiative intéressante. Elle possède une centrale de récupération des poussières de chêne avec lesquelles elle produit des bûchettes compensées qu'elle vend localement dans les jardineries et pizzerias comme combustible. Elle a une centaine de tonnes de ces bûchettes disponibles qu'elle a proposée à ses clients viticulteurs démunis car les bougies sont en rupture.
Cette initiative collective et gratuite peut déboucher sur des solutions d'avenir efficaces et démontre que le monde du vin est une grande famille.