Le Chili a-t-il sauvé le vignoble français ?

Rodrigo SEPÚLVEDA SCHULZ

De prime abord, cette question peut paraître étonnante. Elle ne l'est pourtant pas tant que cela. Pour comprendre, il faut revenir en arrière d'un peu plus d'un siècle et s'intéresser au phylloxéra.

Qu'est-ce que le phylloxéra ?

C'est un insecte originaire de l'Est des États-Unis et qui apparut en France, dans le vignoble du Gard, vers 1863. C'est un ravageur qui absorbe la sève des racines du cep de vigne en les piquant à l'aide d'un suçoir. La mort du cep intervient au bout de trois ans.

Entre 1863 et 1910 il va envahir toutes les régions viticoles françaises ainsi que les vignobles européens comme l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, sans oublier certains vignobles étrangers comme l'Afrique du nord et du sud, l'Australie, etc.....

Dans un premier temps les instances professionnelles vont rester impuissantes dans le combat de ce fléau. Certaines constatations furent cependant faites : le phylloxéra est absent des terres sablonneuses et ne survit pas dans l'eau. Les essais d'inondation furent vains puisqu' impossibles dans les vignes en coteaux. Tour à tour furent préconisés :

  • Un traitement chimique : l'injection, à chaque pied, de sulfure de carbone. Solution vite abandonnée car trop fastidieuse et trop onéreuse.
  • Hybridation : par croisement on va créer des cépages hybrides en pensant qu'ils résisteront à l'attaque de l'insecte. Non seulement ce ne fut pas le cas mais en plus ces cépages ne produisirent pas de vins de qualité.
  • Le greffage : un botaniste du Beaujolais, Victor Pulliat, va apporter la solution. Lors de plusieurs séjours aux États-Unis il constata que certains plants de vigne résistaient au phylloxéra. Il publia ses études et conseilla le greffage de nos cépages sur ces plants américains. Il prodigua ces conseils dès 1869 mais ne fut pas écouté. Ce n'est qu'en dernier ressort qu'on se résigna à suivre ses recommandations et c'est ainsi que le phylloxéra fut vaincu. Le greffage est encore pratiqué de nos jours car l'insecte n'a pas disparu pour autant.

Quel fut alors le rôle du Chili ?

Avec Chypre, le Chili est le seul pays à n'avoir pas été envahi par le phylloxéra. Qu'est-ce qui l'a empêché d'arriver dans le pays ? Trois hypothèses sont émises :

  • Le Chili est encadré par l'océan Pacifique à l'Ouest, par le désert de sable de l'Atacama au Nord et par la Cordillère des Andes à l'Est.
  • Les vignes du Chili sont irriguées et on sait que le phylloxéra ne peut pas vivre dans l'eau.
  • Le Chili est le premier producteur de cuivre au monde. Le cuivre extrait est lavé avec l'eau des rivières qui traversent le vignoble dont les terres sont ainsi légèrement plus riches en cuivre qu'ailleurs. Or le phylloxéra ne supporte pas le cuivre.

Il se trouve qu'à partir des années 1838, période où le phylloxéra n'était pas encore arrivé en France, le Chili a importé bon nombre de cépages français. C'est ainsi que ce pays, sans le vouloir, a servi de sauvegarde de nos cépages. Cela a notamment permis au Bordelais de réimplanter un de ses anciens cépages disparu dans la période phylloxérique, le carménère, très répandu au Chili.

Puisqu'il est question du Chili, parlons un peu de son vignoble :

La tradition viticole y est ancienne puisque ce sont les conquistadors espagnols qui implantèrent la vigne au Chili au milieu du 16ème siècle. Le vrai développement du vignoble se fera au début du 19ème siècle au moment de l'indépendance du pays. Le Chili s'est aujourd'hui hissé au huitième rang mondial par sa production et est devenu le cinquième exportateur mondial de vin. Aux États-Unis, il est le troisième vin importé (en volume) derrière les vins italiens et français. Une quinzaine de firmes viti-vinicoles étrangères ont investi au Chili, parmi les plus connues citons l'espagnol Miguel Torrès, les français Rothschild (Bordelais) et Michel Laroche (Chablis).

Le Chili produit des vins de cépage de grande qualité :

  • En rouge : carménère, cabernet-sauvignon, merlot, pinot noir et syrah.
  • En blanc : chardonnay et sauvignon.

Ces vins sont fruités, charnus, faciles à boire. Ils plaisent aux jeunes consommateurs qui veulent s'initier à la dégustation.