Quand ma meilleure amie Elodie a su que le premier enfant qu'elle attendait était une fille, j'ai voulu lui offrir quelque chose de symbolique. Une carte, sur laquelle il était inscrit un slogan qui me touche entre tout autre "Les petites filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent"... Quand j'ai appris qu'à mon tour, j'allais avoir une fille, Elodie m'a offert la même carte, dans un clin d'oeil retour. Je l'ai encadrée dans la chambre de mon bébé, à sa naissance.
C'est joli, il me semble, c'est tendre, c'est plein de promesses, c'est une vraie déclaration d'amour et de liberté à l'enfant qui va naître. Jamais je n'aurais imaginé alors, qu'un jour, une idée aussi simple, aussi évidente et aussi joyeuse que celle-ci entrerait en brutale résonance avec les termes d'un débat de société sanglant, qui veut interroger, à travers une vision dégradée des travaux scientifiques sur le genre, la place correcte, le comportement adéquat, le destin d'une femme ou d'un homme en société.
Alors, dans ce contexte précis et alors même que d'autres éditeurs publient des torchons de sexisme froufroutés de rose girly, je trouve tout simplement salvateur et carrément d'utilité publique l'ouvrage de Catherine Dufour qui vient de paraître chez Fayard : Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses!
Je l'ai ouvert en me figurant que j'entrais peut-être dans un manifeste au poing levé scandant un enthousiaste "Allez les filles!" à chaque page. Ou bien dans une brochure ONISEP améliorée listant les filières mixtes (toutes en fait), indiquant des parcours académiques et/ou des chemins de traverse pour y faire sa place en tant que femme, citant des entreprises parmi les plus inclusives aujourd'hui, terminant chaque notice par l'indispensable encadré sur le salaire de référence à l'embauche... J'ai bien eu tout ça, oui! Mais j'ai aussi, et surtout, lu un passionnant roman d'aventures vraies.
Car pour convaincre que les métiers n'ont pas de genre, que les femmes peuvent parfaitement et sans complexe faire les mêmes que les hommes, qu'il n'y a aucune raison pour elles de s'interdire d'embrasser la carrière qui les tente (et en aucun cas, jamais le fait d'être dotée de chromosomes XX), l'ingénieure Catherine Dufour a employé l'argument le plus convainquant qui soit : elle a raconté l'histoire d'une centaine de femmes qui se sont choisi un métier et une vie, en ne suivant rien d'autre que leur envie!
Des femmes d'hier (l'agente secrète Gabrielle Petit, l'aviatrice Hélène Boucher, la cosmonaute Valentina Terechkhova, la compositrice Germaine Taillefer - ouh la la, ça va pas plaire à Bruno Mantovani, ça! -, la physicienne Vera Rubin, l'informaticienne Ada Lovelace) et des femmes d'aujourd'hui (l'artiste-plasticienne Orlan, la "femme de théâtre" Ariane Mnouchkine, la navigatrice Florence Arthaud), des célèbres et des anonymes (vérifiez, votre brillante collègue de bureau est peut-être dans le livre, au chapitre "ingénieure", "journaliste" ou "femme d'affaires"). Des femmes mythiques mais pas mythifiées, présentées aussi dans la réalité crue de leurs existences imparfaites (lire à ce titre, l'irrésistible passage consacré à Françoise Sagan, pathétique et flamboyante à la fois, humaine et géniale, désinvolte et engagée), histoire de rappeler que non, non, les femmes n'ont pas à être mieux que les mecs, et encore moins à se présenter en créatures parfaites, doigt sur la couture du tailleur et politesse de mise, pour avoir le droit plein et entier à exister et à se faire remarquer.
Jusqu'ici, quand je disais à ma fille "Tu feras ce que tu voudras ma fille, il n'y a pas de métiers pour les garçons et de métiers pour les filles", je me sentais toujours un peu poussive, vaguement artificielle, inquiète à l'idée d'incarner la teneuse d'entonnoir militant qui déverse à gros flot le discours de liberté en pensant à part soi "boah, va, il en restera bien quelque chose, à l'arrivée"... A présent, j'ai compris qu'aucun discours n'a autant de poids qu'une merveilleuse histoire vraie : celle des filles qui se marièrent (ou pas, mais on s'en fout) mais qui eurent surtout un job passionnant!
Alors, ce soir, après Olivia, reine des princesses (conte pour enfants pas sages que je recommande à tout le monde), je lirai à ma fille un extrait du Guide des Métiers de Catherine Dufour... Pour que, comme le dit la carte postale encadrée au-dessus de son lit, elle s'imagine, après toutes ces héroïnes, et se rêve allant toujours où elle voudra, tout au long de sa vie. Sans se préoccuper de savoir ce qu'il adviendra d'elle, dans très très très longtemps, quand elle ira (ou pas) au paradis. Où de toute façon, les anges n'ont pas de sexe.
Lire aussi (enfin, absolument) la note de blog de ma consoeur Anne Brigaudeau à propos de ce livre.