On a appris, hier, la mort d'Antoinette Fouque.
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Une figure historique du féminisme français s'en est allée. Peut-être sur un malentendu : cette intellectuelle "aux positions parfois controversées" (comme dit la dépêche de l'AFP reprise par toute la presse, quand il me semble à moi, que susciter la controverse, pourvu que ce soit enrichissant pour le débat, fait pleinement partie précisément du rôle de l'intellectuel-le) récusait il y a quelques semaines le terme de "féminisme", lors d'une interview à France info.
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D'aucun-es y virent une forme de reniement. J'y entendis une critique utile, ouvrant une piste de réflexion nécessaire sur la notion de "servitude volontaire" qui vient interroger la question de toutes les injonctions faites aux femmes. Par leur environnement, par une presse dite féminine mais surtout empêtrée dans ses ambiguïtés ou contradictions sur le féminin... Et même par les militant-es des droits des femmes, quand il y a bien lieu de questionner tout système d'attente à l'égard des femmes, y compris celui qui voudrait les obliger à choisir entre féminité et féminisme.
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Trahison? Pas si sûr. Peut-être plutôt une invitation faite au mouvement féministe actuel à chercher ses propres réponses aux défis de l'époque, en refusant les tabous, en challengeant ses rhétoriques, en travaillant ses propres concepts, en dépassant les structures "historiques" qu'Antoinette Fouque avait précisément contribué à bâtir. C'est en tout cas ce que j'ai eu envie de croire, sans pour autant jouer les idolâtres, en l'écoutant parler ainsi.
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Fouque questionna ainsi, pendant plus de quarante ans, une foule de sujets de politique et de société qui s'adressent aux femmes : la maternité, bien sûr, la sexualité, l'accès aux espaces de pouvoir et de décision (et apporta beaucoup aux travaux sur la parité)... Mais plus que toute autre chose, elle combattit, toute sa vie durant, l'invisibilisation des femmes dans le récit de l'histoire et dans le processus d'inscription des personnalités dans la culture légitime.
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Elle le fit notamment en fondant les éditions Des Femmes, dont la "vocation profonde" et affirmée est de "rendre visible l'apport des femmes à tous les champs de la connaissance, de la pensée et de l'action", de "stimuler la création des femmes et leur désir d'entreprendre" et "d'enrichir le patrimoine culturel" en promouvant les écrits indispensables d'écrivaines qui gagnent à être lues. Parmi celles-ci, qui m'ont intellectuellement, politiquement et littérairement construite, je citerais, dans le désordre de ma bibliothèque intime : Héléne Cixous, Jeannette Winterson, Duong Thu Huong, Griselda Gambarro, Sylvia Plath, Delphine de Girardin, Marina Tsvetaieva...
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… Marina Tsvetaieva dont la poésie radieuse-douloureuse et les correspondances amoureuses-mystérieuses m'habitent depuis l'adolescence. Marina Tsvetaieva que de là où je suis, aujourd'hui que j'apprends la mort d'Antoinette Fouque, je veux réciter pour elle, à titre d'hommage :
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"Il en tomba combien dans cet abîme
Béant dans le lointain !
Et je disparaîtrai un jour sans rimes
Du globe, c’est certain.
Se figera tout ce qui fut, - qui chante
et lutte et brille et veut :
Et le vert de mes yeux et ma voix tendre
Et l’or de mes cheveux.
Et la vie sera là, son pain, son sel
Et l’oubli des journées.
Et tout sera comme si sous le ciel
Je n’avais pas été !
Moi qui changeais, comme un enfant, sa mine
- Méchante qu’un moment, –
Qui aimais l’heure où les bûches s’animent
Quand la cendre les prend,
Et le violoncelle et les cavalcades
Et le clocher sonnant…
– Moi, tellement vivante et véritable
Sur le sol caressant.
A tous – qu’importe. En rien je ne mesure,
Vous : miens et étrangers ?! –
Je vous demande une confiance sûre,
Je vous prie de m’aimer.
Et jour et nuit, voie orale ou écrite :
Pour mes « oui », « non » cinglants,
Du fait que si souvent – je suis trop triste,
Que je n’ai que vingt ans,
Du fait de mon pardon inévitable
Des offenses passées,
Pour toute ma tendresse incontenable
Et mon trop fier aspect,
Et la vitesse folle des temps forts,
Pour mon jeu, pour mon vrai…
– Ecoutez-moi ! – Il faut m’aimer encore
Du fait que je mourrai."
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(Traduction du poème de Marina Tsvetaieva : Ève Malleret)