Femme nue : pose dans Playboy pour faire bander (et vendre), pas à la Madeleine pour défendre l'IVG

Cette semaine, en France, une femme a, pour la première fois, été condamnée, en appel, pour exhibition sexuelle. Cette femme, c'est Eloïse Bouton, aujourd'hui féministe free-lance (comme elle se désigne et l'explique avec brio dans une session TedX) qui fut membre de Femen de 2012 à 2014.

AFP PHOTO/THOMAS SAMSON

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Dans le cadre de cet engagement, elle a mené, le 20 décembre 2013 une action symbolique dans l'enceinte de la Madeleine, pour dénoncer les positions de l'Eglise catholique sur l'IVG et leur influence sur les gouvernements et mentalités dans plusieurs pays européens.

Tout et n'importe quoi a été dit sur cette action, qu'Eloïse Bouton a simulé un avortement, qu'elle a uriné sur l'autel, que la foule des fidèles (ah bon, y a encore foule dans les églises?) et touristes, et des enfants parmi eux avaient été brutalement choqué.es par l'intrusion violente de cette activiste féministe exposant sa nudité à leur vue.

La vérité, hors les fantasmes, est autre : l'objet de l'action étant de réaliser une photographie symbolique destinée à paraître dans la presse pour interpeler les esprits, Eloïse Bouton s'est présentée dans l'église après l'office, veillant à ce qu'aucun.e visiteur.se n'y soit présent.e (seuls les membres d'une chorale répétant étaient là et ne l'ont vue que de dos) et elle s'y est mise en scène, torse nu portant l'inscription "344è salope" et sur le dos un ironique "Christmas is cancelled", tenant un foie de veau dans chaque main. Ca n'a duré que quelques minutes, le temps de la prise de vue. Le curé de la Madeleine n'a pas assisté à la scène. Pourtant, il a choisi de porter plainte pour exhibition sexuelle, son conseil oubliant sans doute que dans la loi, il est bien précisé que le/la plaignant.e d'une telle agression doit avoir été personnellement exposé.e à la vue d'actes intentionnellement obscènes.

pervers-pepere-1Pour Eloïse Bouton, ça a entraîné deux ans de procédure scabreuse, son dossier glissé entre ceux de pervers.es caractérisé.es, agresseurs/agresseuses sexuel.les patenté.es et autres maltraiteurs/maltraiteuses de leurs conjoint.es, de leurs enfants, de leurs parents ou de l'inconnu.e qui passait par là. Deux ans durant lesquels Eloïse Bouton s'est battue sans relâche, pas seulement sur les failles de forme du dossier, mais aussi et surtout pour faire entendre deux messages fondamentaux.

Le premier, que la sexualisation d'office des seins des femmes constitue une asymétrie de traitement entre femmes et hommes susceptible de représenter une véritable menace sur les principes d'égalité entre les sexes et de liberté des femmes à disposer de leur corps. Car en effet, pourquoi un homme ne craint rien ni ne dérange personne, quand il est torse nu alors que c'est d'emblée perçu comme une provocation sexuelle chez une femme? A quoi cela tient, demande la femme sans poitrine que je suis, pourquoi mon buste plus plat que celui de nombreux hommes, est concupiscent par nature? Qui d'autre que moi en a décidé et veut que je réserve la vue de mes seins aux personnes avec qui je fais l'amour et, sous certaines conditions, à un public réjoui de me voir en sainte toute à l'enfant que je nourris?

o-AMERICAN-APPAREL-ADVERT-570Le second message d'Eloïse Bouton prolonge le premier : sexualiser d'emblée et collectivement les seins des femmes, c'est les en déposséder. C'est leur interdire d'en faire ce qu'elles veulent, y compris et surtout de les mettre en scène et en action pour des causes politiques (chose pourtant permise aux homen masculinistes comme aux intermittents du spectacle, d'un bout à l'autre du spectre des opinions). C'est limiter leur exposition à quelques fonctions validées par la société : faire bander les hommes, allaiter les nourrissons et... Vendre du merdier. Car oui, le sein nu ne pose aucun problème quand il est argument commercial, affiché sur les abribus, dégueulé sur les écrans et étalé sur papier glacé, pour susciter le désir d'un yaourt, d'un savon, d'un café, d'un parfum, d'une fringue, d'une paire de pompes, d'une bagnole, d'une bibine, d'un "lifestyle"... Et si cela, je le dénonce, je passerai souvent pour rabat-djoy pudibonde.

 

C4joL8vUcAInbn-On fait le test? L'actualité aimant les coïncidences ironiques, on annonçait le jour même de la confirmation de la condamnation en appel d'Eloïse Bouton, que les meufs à poil reviennent dans Playboy. La revue pour mecs qui entend se faire passer, comme son cousin français Lui, pour un chic mag de société, libéral et détendu, promoteur d'idées progressistes et de culture cool-smart, revient sur ses orientations éditoriales prises il y a un an, pour moderniser le journal en renonçant à la nudité féminine prête-à-palucher.

"Je suis le premier à concéder que notre représentation de la nudité était datée, mais nous avons fait une erreur en tirant totalement un trait dessus. Le problème, ce n’était pas la nudité – la nudité n’est jamais un problème. Aujourd’hui, nous retrouvons notre identité et la revendiquons.", explique Cooper Hefner, héritier du fondateur de Playboy.

Capture d’écran 2017-02-17 à 10.27.03"La nudité n'est jamais un problème", hum, hum... T'as raison, Cooper, la nudité n'est pas du tout un problème quand il s'agit de relancer les activités de la régie pub de ton organe de presse. Les commentateurs et commentatrices ne s'y trompent d'ailleurs pas : "Playboy : le retour des femmes nues boostera-t-il les ventes?" titre Capital, tandis que Les Echos, 20 Minutes, Le Point et d'autres analysent en toute rationalité utilitariste, mais non sans sourires en coin et formules frisantes, que le revirement de ligne du journal aurait à voir avec sa prochaine cession. Sous-entendu, il faut bien re-déshabiller la mariée avant de l'aller mettre à l'étal du marché.

 

Capture d’écran 2017-02-17 à 10.28.33Pas à une contradiction près, la presse qui se cache à peine d'être amusée que la nudité des femmes reste une valeur sûre au rayon des consommables, reprend dans d'autres de ses pages, les arguments de l'avocat du curé de la Madeleine comme parole d'évangile, considérant comme l'évidence du bon sens que la justice ait acté mercredi, au Tribunal de Grande Instance de Paris, qu'il y a des choses qui ne se font pas, quand on est une femme... Et dans une église.

 

Car oui, non contente de dégrader l'action politique d'une femme en la confondant avec le geste obscène d'un pervers pépère, de poser en principe que les seins des femmes sont des organes sexuels (au risque que la jurisprudence autorise qu'on nous attaque un jour pour un téton visible dans le décolleté d'un débardeur), la justice a, le 15 février, tranquillement ouvert la voie au retour du délit de blasphème.

Car c'est bien la nature du lieu dans lequel son action a été menée qui a emporté la décision de la condamner. Pour preuve : une autre Femen était récemment relaxée pour une action similaire au musée Grévin, au motif, bien sensé, que "manifester seins nus n'est pas un délit d'exhibition sexuelle", selon les termes du jugement.

Heretic - Stained Glass in Mechelen CathedralMais dans un lieu de culte, ce n'est pas pareil : dans le pays qui n'a que sa laïcité à la bouche, quand il lui faut accessoiriser de valeurs démocratiques et de légalité sa haine des immigré.es, l'Eglise catholique, incessamment en lutte contre des lois de la République (en premier lieu IVG et Mariage pour Toutes et Tous) peut toujours compter sur une justice d'exception.

Mais tout va bien, Playboy est en kiosque avec bientôt  à nouveau d'appétissants nichons sur sa cover et dans ses portfolios : c'est le signe sans conteste que nous vivons une charmante ère délicieusement libérée.