Depuis quelques jours, circule sur le net une vidéo qui suggère aux femmes qui veulent faire du vélo en jupe une astuce imparable pour éviter de dévoiler leurs cuisses et mêmes pire (comme dirait l'autre) quand elles pédalent.
Si j'ai bien compris le truc, il s'agit, telle une MacGyverette au brushing actualisé, de se bricoler à l'aide d'un élastique et d'une pièce de monnaie... Une jupe-culotte! Soit l'article le moins seyant de l'histoire de la mode, qu'aucun créateur, même débarrassé de tout tabou, n'est jamais parvenu à glamouriser (voir un salutaire récent papier du Monde à ce propos).
Mais par delà les débats possibles et ouverts sur les aléas des tendances du prêt-à-porter, j'ai surtout envie de demander "Pourquoi?". Pourquoi faudrait-il prendre tant de précautions, quand on est une femme et que l'on n'a pas sacrifié le plaisir de faire ce qu'on veut à celui de porter une jupe (ce qui fait partie d'ailleurs du "faire ce qu'on veut"), pour cacher ses cuisses et empêcher ce drame ultime de la culotte accidentellement visible?
Chaque fois que je me demande, dans une quelconque activité, si on risque de voir ma culotte, je me remémore une anecdote. C'était dans les années 1980 (la référence à McGyver vous a prévenu-es). J'étais en sixième. J'avais sans conteste encore un corps de petite fille, pas le début d'un téton qui pointait, pas l'ombre d'un poil sur le pubis ou sous les aisselles, des hanches droites comme un angle à 180° et peut-être encore un reste de petit bidon rond de bébé. A la réunion parents-enseignants du premier trimestre, la prof de bio ne commenta pas tant mes résultats (j'avais semble-t-il passé haut la main l'épreuve de la dissection de la grenouille) qu'elle ne s'arrêta sur mon comportement en classe et conseilla tout particulièrement à ma mère de m' "apprendre à croiser les jambes". Car, s'il était vrai qu'en bonne élève souffrant d'une forte myopie et donc habituée au premier rang, je ne montrais pour l'heure mon slip qu'au tableau noir et à celle qui y croquait scolairement la physiologie d'un oeil de boeuf, je devais me préparer à ce que bientôt, cette culotte innocemment dévoilée quand je me tenais les jambes parallèles devienne le signe indéniablement interprétable par mes petits camarades de classe et d'autres de mon intention de m'identifier en tant que salope.
Autrement dit, le cours de sciences "naturelles" était aussi là pour m'apprendre à devenir une femme "essentielle", c'est-à-dire une femme qui doit incessamment agir en fonction de la façon dont son environnement perçoit le féminin, parce que c'est comme ça et qu'il est du ressort de celles qui sont nées XX de s'y adapter. A leurs risques et périls, si leur comportement contredit cette vérité indéfiable selon laquelle elles seraient co-responsables de tout ce qui pourrait leur arriver dès lors qu'on les aura soigneusement informées de l'importance de tenir compte des signaux que leur sexe envoie à l'autre : "ne porte pas un décolleté trop profond, tu sais ce que ça signifie", "évite le maquillage trop aguichant, ça en dit long" et surtout "ne montre pas ta culotte".
Sauf sur la plage où, vous me pardonnerez de m'accorder le droit de prendre le soleil et l'eau dans une tenue plus légère et confortable qu'un costume de bain des années 1920, je ne montre pas délibérément ma culotte à tout le monde et à tout bout de champ. Mais si, circulant à vélo en jupette ou passant en robe sur une bouche d'aération, il se trouve qu'un petit morceau de lingerie se devine dans mes mouvements, je n'y vois rien de grave ni même de vraiment signifiant. On a aperçu ma culotte, et après? Ca révèle que j'en porte une, ce qui est somme toute assez courant. Et ça dit aussi que je ne suis pas plus complexée par mon corps et mon intimité que tous ces hommes que je vois le pantalon ceinturé à mi-fessier et qui me donnent à voir a minima le tiers supérieur de leur boxer-short... Quelqu'un leur a dit, à eux, qu'ils risquaient l'insulte sexiste et une main au cul en montrant leurs sous-vêtements ainsi, et que si ça arrivait, ce serait bien fait pour eux?