Il est manifestement une façon nouvelle de faire du marketing genré et de la pub sexiste : on balance une énorme potacherie d'une vulgarité spectaculaire et on laisse les réseaux sociaux faire le reste.
Celles et ceux qui trouvent ça trop lol relaient gaiement sur leur profil Facebook et leur fil Twitter, les autres que ça heurte (dont je fais partie) font gloups sur leur blog et lancent le bad buzz. Ensuite, la marque n'a plus qu'à retirer la pub, présenter de creuses excuses et jouir de sa nouvelle notoriété selon le bon vieux théorème pubard formulé par le grand intellectuel Léon Zitrone : "Qu'on parle de moi en bien ou en mal, peu m'importe. l'essentiel, c'est qu'on parle de moi."
Sur les traces de l'auto-école montpelliéraine qui, en janvier dernier, proposait de "prendre" une auto-stoppeuse "pour un euro par jour", un nouveau site de co-voiturage qui annonce son intention de mettre "en relation des conducteurs et des passagers voulant faire du covoiturage dans une optique écologique et participative" vient de jouer avec succès à ce petit jeu-là. Pour orchestrer son lancement, Il a publié sur Facebook une série de visuels violemment sexistes sous couvert d'indispensable "second degré".
Au début, ça n'a pas pris : le slogan "même les femmes sont autorisées à conduire" n'a pas fait mouche. Il faut croire que le spirituel proverbe "femme au volant, la mort au tournant" est désormais trop éculé pour faire encore marrer.
Alors, on est descendu un peu plus bas : avec une photo de talons aiguilles s'échappant d'une fenêtre ouverte pour mettre en scène la "pause" recommandée toutes les deux heures de route (j'ai d'ailleurs immédiatement pensé en la voyant au témoignage récent d'une de mes amies qui, s'apprêtant à co-voiturer avec trois hommes, avait reçu un mail groupé de ses futurs partenaires de route disant "Trois mecs et une nana. Dommage pour celui qui conduit" - Etant au passage entendu que ce ne serait pas "la nana" qui prendrait le volant). Là encore, l'allusion graveleuse au "coup de la panne d'essence" a laissé plus ou moins indifférent-e.
Qu'à cela ne tienne, vendredi dernier, la marque y est allée beaucoup plus trash-cash, en laissant de côté toute forme d'allusion à l'univers automobile pour ne garder que la substantifique moelle misogyne de son propos : "Elles sont bonnes, mais qu'est-ce qu'elles sont connes!" s'exclame le slogan du dernier visuel mis en ligne par la marque sur sa page Facebook...
Alors enfin, on a daigné s'intéresser à "éco-voiturage"! Allelujah! Allelujah! Ils les ont eus, leurs papiers dans la presse : suite à la mobilisation du collectif "Je suis une pub sexiste", un article des Nouvelles News, repris par 20 Minutes et désormais par votre servitrice se charge de les faire connaître depuis quelques heures.
Immanquablement, dans la chronologie bien huilée d'un bad buzz bien géré, les administrateurs et administratrices du site sont passé-es à la phase contrition du process. Des excuses d'une confondante platitude annonçant le retrait des visuels (qui circulent à présent tout seuls sur le web) ont été publiées hier après-midi.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi est-ce que je joue le jeu et vous en parle ici-même, si je suis si bien consciente de la tentative d'instrumentalisation dont je fais l'objet ("eh! les gars, on fait une grosse pub machiste à peu de frais et on laisse les féministes faire le job de comm', dans la foulée. Vous verrez, avec ces excité-es, ça va rouler en moins de deux")? D'une part, parce que ce n'est pas parce qu'on est pris-e pour un-e con-ne qu'il faut forcément se taire et il me semble que dire qu'on est au courant de la manip', ce n'est pas nécessairement accepter de la servir, c'est aussi démonter sa grotesque mécanique et refuser de se laisser faire. Et ensuite, parce que ce n'est pas tant la marque que j'entends interpeller que ses clients et éventuels partenaires.
La loi française sur le boycott est ambiguë et sa jurisprudence volontiers contradictoire : originairement faite pour empêcher la discrimination économique pour des motifs racistes, religieux et sexistes, elle sert aussi un traitement à géométrie variable de la liberté d'expression (quand il pourrait être autorisé, au nom de cette fondamentale liberté, de produire des visuels ostensiblement humiliants pour les femmes, mais pas forcément, depuis l'autre point de vue, d'agir au-delà de la seule dénonciation). Mais si la liberté d'expression est à sujette au chacun-voit-midi-à-sa porte, la liberté d'opinion et de conscience est sans restriction : il reste parfaitement autorisé pour chacun-e, à l'échelle individuelle, de s'interroger sur les conditions de production et de commercialisation (marketing et pub compris) de ce que l'on consomme... Et qui plus est quand il s'agit d'une marque qui annonce des valeurs "responsables" telle que l'écologie ou le sens participatif.