L'association Zéro Macho a mené ce week-end une action "égalité" sur le partage des tâches ménagères qui consistait à montrer des hommes en train de repasser du linge dans la rue. Sympathique en apparence, l'opération me cependant laisse songeuse dans le fond. Je vois au moins trois raisons d'y voir un message contre-productif pour l'égalité.
De l'éloge du minimum
Non, rassurez-vous, je ne vais pas m'inquiéter de ce que la vision d'un homme se livrant publiquement à une tâche domestique puisse braquer celles et ceux qui fantasment la dévirilisation de la société et en appellent au retour des hommes, des vrais, pour sauver la France, le monde, voire la galaxie toute entière des dérives anarchisantes d'une toute puissance féminine promue par les fameuses hystéro-castratro-poilues que seraient les féministes. Les délires paranoïaques des zemourrien-nes et affilié-es ne me touchent pas tellement, à vrai dire.
Ce qui me dérange un peu plus, c'est, dans les sphères évoluées où l'on vise le progrès social plutôt que le conservatisme rance, une certaine tendance à la glorification de la figure de l'homme féministe qui est vraiment un type extraordinaire... Parce qu'il partage les tâches ménagères!
Clap! Clap! Clap! Faut-il faire la ola sur le passage de l'homme si compétent qu'il sait faire usage d'un fer à repasser et si courageux qu'il n'a pas honte de le dire? Peut-on juste rappeler que c'est pas d'une audace folle qu'un homme soit capable de lisser les plis de ses chemises, mais que c'est juste normal... Comme il est parfaitement normal qu'un homme soit favorable à l'égalité, pour des raisons de principe. Parce qu'avant d'être un homme de sexe masculin, c'est un homme du genre humain.
Vous me voyez donc exprimer une certaine méfiance quand il faudrait, pour convaincre les hommes qu'ils ont intérêt à l'égalité, encourager leurs efforts pour faire le minimum et les applaudir à s'en brûler les paumes quand ils accompliraient l'exploit d'avoir réussi à... Partager les corvées! Je trouve ça légèrement exagéré... Et surtout un peu condescendant sur les bords ("Bravvvvvvvooooooo! mon amour, tu as trouvé tout seul cette belle éponge? Et tu sais même comment l'essorer avant de la passer sur la table du petit-déjeuner que tu as débarrassée comme un grand? Ca, ça fait drôlement plaisir à maman ta femme, tu sais!")
Le repassage, une corvée ménagère bien nécessaire?
La seconde question qui me taraude après avoir vu ces messieurs pleins de bonne volonté et dont les intentions sont assurément louables, démontrer par l'exemple que la centrale vapeur n'a aucun secret pour eux, c'est... Pourriez-vous m'expliquer en quoi le repassage est si symbolique du partage des tâches ménagères ? Parce que, personnellement, repasser, je ne sais pas faire et je n'ai pas envie d'apprendre parce que je trouve que ça ne sert le plus souvent à rien : je n'ai jamais repassé une housse de couette, un body d'enfant, un pantalon ni une de mes jupes (je tiens à disposition de quiconque que ce miracle intrigue mes tuyaux sur les bienfaits de la fonction défroissage du sèche-linge).
J'admets cependant qu'un type de vêtement en particulier, se passe difficilement d'un coup de fer : la chemise. Etant centralovapeurinapte, j'ai pour ma part renoncé à en porter. Quant à la personne qui, dans mon foyer, persiste à en enfiler une tous les jours, j'estime que c'est bien naturel qu'il se les repasse lui-même. Je ne lui demande pas de porter chez le cordonnier mes stilettos à talonnettes rognées quand il a pris le parti pour lui-même de se libérer de la contrainte d'entretien de ses pompes en adoptant les Converse. Pour faire simple : j'estime qu'il y a deux types de "corvées", celles qui renvoient à des besoins individuels (sa chemise pour lui, mes talons hauts pour moi) et celles qui relèvent du bien-être de toute la famille. Les premières n'ont aucune raison d'être effectuées par quiconque d'autre que l'usager (sauf à considérer son conjoint comme un prestataire de service), les secondes en revanche doivent être partagées.
Changer de paradigme sur la répartition des tâches domestiques
Je trouve donc le choix du symbole du repassage plutôt archaïque. Et c'est là que le bât blesse, vraiment, à mon sens : l'action "les mecs au fer, les femmes à l'appareil photo" ne s'affranchit pas d'une conception traditionnelle des tâches domestiques. On ne fait qu'inverser les rôles le temps du show, mais la pièce reste écrite comme elle l'a toujours été, le travestissement costumier ne dupant personne. Car on ne remet pas en question l'idée même de la "corvée".
Or, il me semble que ce que l'on vit comme une "corvée" ne tient pas tant à la tâche en elle-même qu'aux conditions dans lesquelles elle s'effectue. Ce qui est le plus pénible, ce n'est pas de faire le ménage, les courses ou la cuisine, c'est de les faire seul-e, invisible et sans bénéficier de reconnaissance. Ce qui est dur pour le moral et l'orgueil, c'est d'être considéré-e comme préposé-e par défaut à ces tâches et d'avoir le sentiment de "réclamer de l'aide" comme une faveur et de devoir remercier de façon appuyée pour ce que l'autre présente comme de la disponibilité pour un coup de main alors que ce devrait seulement être du partage au quotidien.
Ce qui est injuste, c'est qu'une femme qui ne repasse pas (n'a pas non plus souvenir d'avoir lavé les carreaux depuis une demi-décennie, laisse parfois la table du petit-déjeuner jonchée de miettes et l'évier dégueuler de vaisselle sale) soit considérée comme paresseuse, négligente voire souillon ; quand un homme qui fait tout ça serait traité en héros.
Ce qui serait juste, ce serait de changer de paradigmes sur les nécessités domestiques pour ne plus les regarder en attributs des un-es et des autres dans une répartition dialectique des rôles qu'il suffirait d'inverser pour faire avancer l'égalité, mais de les voir en possibilités de moments passés ensemble à être (solidaires d'un projet de vie commun) plutôt qu'à faire (les un-es pour les autres). La question, ce n'est pas "Qui va repasser/garder les enfants/nettoyer le gerbis/vider la caisse du chat?", c'est "Pourquoi on est ensemble?". Et la réponse, ce n'est pas "parce que c'est plus pratique que tu fasses ceci et moi cela", mais parce qu'on a décidé de faire équipe dans la vie pour nous faire mutuellement progresser. Lâche ton fer, chéri, on s'en bat les pinces à linge des faux-plis, si on allait plutôt cuisiner tous les deux un bon poulet rôti, construire une cabane dans le jardin, emmener les petit-es au parc ou même faire les carreaux en se faisant des grimaces de part et d'autre de la vitre pour rigoler un bon coup?