Je le lis peu, j'avoue.
Quand je le lis, je ne suis généralement pas déçue. Comme ce matin, quand sur les conseils de mon ami Benjamin, je l'ai ouvert à la page 43, pour y lire un article "qui va te plaire, Marie" (smileys ironiques du copain, pas moins agacé que je n'allais l'être quelques minutes plus tard). Ce matin, donc, dans mon quotidien régional, il y avait à lire une enquête (si on veut...) intitulée "web : un vaste continent féminin". Après avoir fait quelques grimaces tex-avériennes et manqué plusieurs fois de tomber de ma chaise, je n'ai pas résisté, j'ai écrit au courrier des lectrices et lecteurs.
Voici ma lettre :
"Bonjour,
Dans l'article en page 43 du Télégramme de ce jour, intitulé "web : un vaste continent féminin", vous dressez, avec l'aide d'un "expert" comme il en existe pléthore à l'ère 2.0., une cartographie un peu grossière du net qui vous permet de désigner un "continent tout au sud", le "web féminin".
Si je file votre métaphore géographisante, on trouverait dans cette zone de la webosphère de gentils pays colorés où s'ébattent gaiement des cuisinières et des fashionistas, des blogueuses beauté et des e-mamans, des fans de "loisirs créatifs" et des dingues de "déco/jardinage". Heureusement, votre "expert" est là pour préciser que non, non, non, bien sûr que non, ça n'a rien de sexiste de le présenter comme ça puisque ces sites et blogs sont majoritairement tenus par des femmes. Du point de vue de la méthode sociologique, c'est un peu "light", vous me permettrez... Mais bon.
Ce n'est pas sexiste non plus quand votre "expert" explique, avec une finesse d'analyse renouvelée, que ce gracieux continent tout rose, tout doux, tout tendre, si habile de ses mains et si qualifié pour battre des cils, se subdivise en deux grandes régions : "la femme dans son extérieur" (beauté, mode, lifestyle) et "la femme dans son intérieur" (cuisine, jardin, déco).
En dehors du fait que personnellement, je n'ai jamais rencontré "la" femme mais que je rencontre quotidiennement des femmes, diverses, originales, animées par des aspirations aussi multiples et variées que chaque individu, quel que soit son genre, je crois que nous n'avons, votre "expert" et moi, pas tout à fait la même conception de "l'extérieur".
Le monde extérieur, qui est effectivement un véritable espace à conquérir pour les femmes, ce n'est pas la boutique de fringues ou le rayon vernis de Sephora, c'est la sphère publique, la sphère où l'on produit de la valeur ajoutée (au hasard le monde du travail), la sphère où l'on prend des décisions impactantes pour son environnement (au hasard, l'univers politique), la sphère où l'on influence (au hasard, les médias)... Le voir comme ça, tout à coup, ça permet de sortir des stéréotypes que vous me pardonnerez de qualifier de crétins sur la "féminité" on-line.
Parce que les femmes, sur Internet, voyez-vous, c'est aussi des cheffes d'entreprise qui ont misé sur le numérique pour développer une activité productrice de richesses et d'emploi (je pense là tout de suite à Marion Carrette, la fondatrice de Zylok, mais il en existe beaucoup d'autres et si vous tenez à rester dans le régional, tournez par exemple votre regard vers Brest et l'excellente agence Bookbeo, par exemple). Les femmes sur Internet, c'est aussi des femmes politisées qui donnent leur avis (quelle audace!) sur la marche du monde, sur les grands enjeux économiques et sociaux de ce millénaire naissant (puisque vous citez Najat Vallaud-Belkacem recevant des blogueuses branchées "fait main", je vous informe que la Ministre reçoit aussi celles et ceux qui tiennent des blogs politiques, comme j'en fus, parmi d'autres, en juillet dernier). Les femmes sur Internet, c'est encore des femmes qui créent des journaux en ligne (telles les Nouvelles News, le premier média qui donne l'info à lire "plus qu'à moitié" fondé par Isabelle Germain). Les femmes sur Internet ne sont pas une espèce à part de l'humanité connectée.
Pour le comprendre et le faire savoir aux lectrices et lecteurs du Télégramme, peut-être qu'il aurait fallu les interroger, elles en premier, sur ce qu'elles créent (d'autre que des tutoriels pour appliquer du mascara et fabriquer une maison de poupée en papier mâché) plutôt que les deux "experts" masculins auxquels vous avez fait appel pour "éclairer" le propos de votre papier. La prochaine fois que vous vous intéressez aux femmes à l'ère du digital, appelez-moi : je ne vous répondrai pas directement pour ne pas avoir l'air de tirer la couverture à moi, mais je vous donnerai avec grand plaisir le nom et toutes les coordonnées de plusieurs dizaines de femmes qui participent à l'enthousiasmante aventure de la toile interconnectée.
Marie Donzel
Cheffe d'entreprise et blogueuse féministe"