Pas touche à l'idole.
Celles et ceux qui, comme j'ai pu le faire, se sont attaqué-es à Cantat ou à Orelsan (entre autres exemples) le savent : fans et adorateurs/adoratrices sont prêt-es à toutes les interprétations de mauvaise foi, voire à toutes les dénégations, pour ne pas dire toutes les marques du déni, quand il s'agit de protéger l'objet de leur culte.
"Faits sans gravité" ou plaignante intimidée?
Ainsi, quand Lilian Thuram est soupçonné de violences conjugales, après que son ex-compagne a déposé plainte contre lui en ce sens au début du mois, la réaction de la foule idolâtre est à la hauteur de la ferveur admiratrice : passionnée, fébrile, impulsive, en un mot comme en cent, violente. L'idole n'ayant pu fauter, c'est sur la personne qui a tenté de faire vibrer le piédestal que le soupçon se reporte . Soupçon de mensonge, évidemment. D'exagération à tout le moins. D'autant que la plaignante se rétracte, finalement, peut-être parce qu'avec le recul, elle estime les faits "sans gravité" comme elle l'affirme, ou peut-être, osons l'hypothèse, parce qu'elle est intimidée par le battage médiatique et inquiète des effets qu'il aura sur sa propre image publique. Karine Le Marchand a donc entamé des démarches pour retirer sa plainte contre Lilian Thuram. Pour les fans du footballeur, c'est une victoire.
De la présomption d'innocence au blanchiment sauvage
En est-ce aussi une pour les défenseur-es de la présomption d'innocence (dont je suis, naturellement)? Pas si sûr. Car il y a là un curieux glissement qui s'effectue entre une présomption d'innocence conçue pour suspendre le jugement en attendant que la culpabilité soit prouvée et une forme de blanchiment à la sauvage induit par la déstabilisation de la parole des plaignant-es. Un retrait de plainte lave-t-il de tout soupçon? Pour répondre à cette complexe question qui recoupe évidemment celle de la protection de la réputation contre la diffamation, on ne peut faire abstraction des contextes et des pressions, plus ou moins formelles, qui peuvent s'y exercer.
Si nombreuses à être "prises de remords" après avoir accusé leur conjoint
Chaque année, un grand nombre de femmes parmi la minorité qui a osé porté plainte contre un conjoint violent (moins de 5% des victimes de violences physiques ou sexuelles au sein du ménage) revient sur ses accusations. Un bon petit paquet de vilaines menteuses? Au cas par cas, les médias les disent volontiers "prises de remords". Les juges les savent surtout inquiètes des répercussions de leur plainte sur leurs enfants et/ou sur leur propre réputation.
Car, il en va ainsi, dans la réalité, des violences faites aux femmes : elles les humilient au moins trois fois, quand elles subissent ces violences, quand elles révèlent qu'elles les ont subies (au risque de passer pour des demeurées qui ont mal choisi leur partenaire de vie et n'ont pas été capables de s'en faire respecter) et quand elles sont nécessairement, systématiquement, mises en doute dans leur parole par une culture dédiée de renversement de la charge de la preuve.
D'ailleurs, la loi ne s'y trompe pas, qui permet au parquet de maintenir les poursuites, même après un retrait de plainte pour violences conjugales. Est-ce à dire qu'un-e conjoint-e accusé-e est forcément coupable? Non, cela signifie seulement qu'un dossier de violences familiales ne saurait être classé au seul motif qu'en contexte complexe, la parole de l'un-e contre (ou avec) celle de l'autre ne suffit pas à démêler les fils de la réalité. Cela signifie aussi que la violence conjugale et familiale n'est pas une affaire strictement privée, mais qu'elle vient questionner l'ensemble de la société, sans que l'on puisse s'aveugler.
Où il est question d'honneur...
Et cela, même si la personne qui a initialement porté les accusations semble avoir à coeur, comme le fait aujourd'hui Karine Le Marchand, de laver l'honneur de son ex-conjoint-e en tenant à "à rappeler qu'elle considère Lilian Thuram comme une personne exemplaire, aux valeurs morales très fortes, aux combats sincères et nobles."
D'honneur, il en sera précisément question cette semaine, quand Lilian Thuram se verra officiellement porté au grade de la légion du même nom par la Ministre de la Justice (!), Christiane Taubira. Ironique collision d'actualité qui autorisera vraisemblablement un certain nombre d'adorateurs de l'idole à confondre encore plus facilement "retrait de plainte", "innocence" et "honneur sauf". Les autorisera sans doute aussi à reporter officiellement, le "soupçon" sur la femme menteuse ou excessive, forcément excessive. Le soupçon, d'ailleurs, ou bien déjà, sans autre forme de procès, le jugement définitif?