L'anti-sexisme deviendrait-il un argument de vente?
Les nouveaux spots publicitaires de Cofidis jouent à dénoncer des stéréotypes de genre (les hommes ne sauraient pas faire plusieurs choses à la fois, les femmes n'auraient pas le sens de l'orientation...) pour mettre en échec l'idée même du préjugé. La marque Pantène, il y a quelques mois, célébraient les femmes en mettant en évidence l'asymétrie du jugement porté sur elles et de celui sur les hommes en situation similaire. Joli spot, bien vu, bien tourné, pertinent et percutant. Si l'anti-sexisme devient un motif de valorisation des marques, je m'en réjouis plutôt, en bonne pragmatique qui ne voit pas forcément récupération là où il y a bonne intention et estime surtout que nous avons tous et toutes voix à ce chapitre de l'égalité, femmes et hommes, milieu politique, monde associatif, entreprises...
Sauf qu'il ne faudrait pas se réjouir trop vite, non plus... Car le retour de bâton ne prend pas forcément la forme du message ouvertement dégradant pour les femmes (quoiqu'il ait toujours court, que l'on se rassure... Euh, façon de parler). Non, il peut aussi prendre le visage d'une pseudo-dénonciation visant in fine à inscrire le stéréotype dans la plus profonde nature humaine, au coeur du besoin primaire, là où se loge l'instinct du chasseur, mû par la faim.
C'est le message que produit une célèbre marque de junk-food dans un film publicitaire aussi écoeurant à l'arrivée qu'alléchant au départ, à l'image des barres chocolatées sans intérêt nutritionnel qu'il promeut. On y voit des ouvriers en bâtiment héler des passantes, selon les bonnes vieilles méthodes du harcèlement de rue... Mais attention, les dragueurs ne promettent pas aux femmes qu'ils interpellent d'en faire leur quatre heures, comme on pourrait s'y attendre. Non, ils leur disent tout le mal qu'ils pensent de la misogynie et s'écrient dans une virile scansion "we want equality". Jusque là, tout va à peu près bien, si on met à part l'idée douteuse selon laquelle la drague de rue ne serait pas en soi potentiellement agressive mais qu'il en dépendrait du discours, plus ou moins sympathique, de qui accoste la femme qui passe par là. Mais la chute sera vertigineuse : quand la marque prend la parole en fin de spot, c'est pour ridiculiser le discours de ces hommes. "Vous n'êtes pas vous-même quand vous avez faim", les rassure-t-elle.
Autrement dit, nos amis ouvriers du bâtiment sont en plein délire hypoglycémique quand ils se transforment en défenseurs de l'égalité femmes/hommes. S'ils ne crevaient pas la dalle, s'ils étaient vraiment "eux-mêmes", ils seraient comme tous ouvriers du bâtiment qui se respectent, merci le préjugé social en plus du stéréotype masculin, ils traiteraient les femmes en objets et se vautreraient cochonnement dans la misogynie primaire.
Ou comment, pour vendre du caca-olat en barre, on réussit à insulter en moins de deux minutes les femmes (créatures simplettes qui se laissent abuser toutes souriantes quand on leur sert un discours valorisant), les hommes (qui sont forcément machos au fond, quand ils sont "eux-mêmes"), les ouvriers (qui sont plus grossièrement dragueurs que les cadres sups et qui perdent complètement pied, ces primitifs, quand ils ont les crocs) et le propos féministe (qui n'est que bullshit au regard des "vrais" problèmes, au premier rang desquels... La faim).
https://youtu.be/0gjsoSY18kg