« Et dire que c’est à des gens comme vous qu’on confie l’avenir de nos enfants… »

@ Archives / AFP

L’anecdote remonte à quelques jours. Un internaute venait manifestement de lire un de mes billets sur le blog (« Lire, ce n’est pas dire des mots à voix haute », un post écrit il y a quelques mois que j’ai ressorti suite à la séquence ministérielle sur l’apprentissage de la lecture) et s’est rendu sur la page Facebook pour le commenter, en citant un passage :

J’aime autant vous dire que, quand j’ai vu ce message, je me suis délecté par avance de la réponse que j’allais y apporter. J’ai pris le temps de peser mes mots et ai répondu à l’imprudent.

(D’autres verbes fonctionnent ainsi : se plaire, se parler, se ressembler, se mentir…)

Bien entendu, quelques minutes après ma réponse, la discussion avait disparu de la page Facebook : l’internaute, que j’imagine et espère piteux, l’avait prestement effacée. Si prestement que je n’ai pas eu le temps d’en faire une capture d’écran, à mon grand regret (ce que je retranscris ici en est donc le souvenir, assez précis car j’ai pris note dans la foulée).

En orthographe, on est toujours le con d’un autre

Il n’est pas question de gonfler le jabot sous prétexte qu’on a mouché un imprudent : je n’ai pas la prétention de maitriser l’orthographe française dans toute sa complexité, trop conscient des nombreuses chausse-trappes que réserve notre belle et piégeuse langue. Surtout, je pars de trop loin : je n’étais pas un champion en orthographe à l’école, loin de là, mon intérêt pour la chose est venu sur le tard, quand j’ai commencé à écrire. Bien entendu quand il a été question d’enseigner il m’a fallu me mettre à jour, cela a pris du temps, et ce qui a rapidement émergé, c’est que scio me nihil scire : plus j’en apprenais, plus je découvrais que j’étais ignorant. Cette règle d’accord du verbe « se succéder », rendons à César, c’est à mon professeur de français de l’IUFM que je la dois. Puis, la tenue de ce blog, la rédaction régulière, les commentaires des lecteurs m’ont également permis d’apprendre ou de redécouvrir pas mal d’autres choses. Qu’on écrit "au temps pour moi", "à l’envi", "bayer aux corneilles", par exemple. Je continue cependant à avoir mes méprises, confonds toujours "censé" et "sensé", écris souvent "tache" pour "tâche" et inversement… C’est comme ça, à force de prendre l’un pour l’autre, je ne sais plus lequel est le bon ! Heureusement, j’ai toujours un bon dictionnaire à portée de main, à défaut un Smartphone et la galaxie du savoir pour trancher.

Je ne conçois pas de honte à faire des fautes d’orthographe : je sais que j’en fais, peu (et la plupart sont des erreurs d’inattention dans la relecture) mais j’en fais, et quand j’apprends une nouvelle règle, j’en suis ravi, j’ai toujours l’impression qu’un morceau de savoir se dévoile et qu’il est désormais mien. C’est, à mon avis, la seule attitude qui vaille sur ce sujet : savoir remettre en cause ses certitudes, rester humble et être heureux d’apprendre et d’amender sa pratique. On progresse toujours en orthographe. Même Pivot, si ça se trouve.

C’est finalement ce qui m’a le plus étonné dans le commentaire de l’internaute : pas tant qu’il méconnaisse la règle, comme bon nombre de Français, mais qu’il commente avec une certaine morgue, si sûr de lui alors qu’en deux clics il aurait si facilement pu savoir : Internet, ce n’est pas fait que pour commenter sur les réseaux sociaux, on peut aussi s’y instruire, il y a suffisamment de passionnés de la langue pour se référer à leur science quand la nôtre fait défaut.

Bref, à sa place, j’aurais vérifié : après tout, il s’agit tout de même d’un blog d’enseignant, non ? 🙂

L’enseignant, cet ignorant

Ce que dit ce commentaire, c’est aussi la défiance envers l’enseignant. Je ne sais pas si cet autrefois a existé où le maitre d’école faisait autorité, où son savoir ne se discutait pas, mais ce qui est sûr, c’est que ce n’est plus le cas. Aucun problème, aujourd’hui, pour remettre en cause le savoir supposé du professeur.

Alors d’accord, les instits font des fautes. C’est vrai. Moins que la moyenne, nettement moins même, à mon avis, mais ils en font, c’est un fait, et pas que les jeunes. Je me rappelle mon étonnement en découvrant lors de ma première année d’exercice qu’un collègue, un ancien, à deux doigts de la retraite, avait écrit différent pour différend (dans le cahier de correspondance, le pauvre, il s’était fait reprendre par un parent). Je me rappelle aussi un de mes meilleurs amis, rencontré sur les bancs de l’IUFM et avec qui j’ai fait mon premier stage : j’étais effaré par ses fautes d’orthographe. Mais d’une part c’était au tout début de sa carrière et il a notoirement progressé, d’autre part je le tiens, tout comme l’ancien, pour un excellent professeur. Une faute d’orthographe, réelle ou supposée, ne saurait tout dire d’un enseignant.

On me rétorquera que les profs ne font pas que des fautes d’orthographe. Ils se trompent en sciences, parfois, disent à l’occasion une ânerie en histoire, sont imprécis en géométrie épisodiquement. Mais à leur décharge, les instits aujourd’hui sont censés (hé, j’ai écrit "censés" correctement, sans vérifier sur « Projet Voltaire » !) savoir davantage de choses que leurs ainés, dans des domaines très variés – la surface couverte par l’ensemble des programmes de primaire est stupéfiante, quand on y réfléchit. Et le bénéfice du doute ne leur est plus permis, avec Internet leurs fautes se voient comme le nez au milieu de la figure.

Mais, pour une faute avérée comme différend, combien de fautes présumées comme se succéder ? Combien de situations comme celle-ci, où l’enseignant est jugé ignorant par celui-là même qui en réalité ignore ? Comme disait Coluche : « L’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes, n’est-ce pas, parce que, quoiqu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge ! ».

Plus d’une fois au début de ma carrière, il m’est arrivé, dans une leçon à rédiger ou un mot à écrire dans le cahier de correspondance, d’hésiter avant d’orthographier, par exemple, se succéder. Je savais que, la plupart des gens ignorant cette règle, je risquais fort de passer pour fautif en orthographiant correctement. Cruel dilemme : fallait-il respecter la langue sachant la dévaluation que cela entrainerait aux yeux des parents me concernant, ou faire comme les autres, écrire mal, et participer à l’effritement de la langue mais sauvegarder ma réputation de bon prof ? Je ne me pose plus la question.

L’école de la confiance

Les enseignants ont une lourde tâche (hé, écrit correctement sans aide !) : ils doivent se comporter, écrire, rédiger, réfléchir de manière exemplaire en toutes circonstances, car il ne leur est pas pardonné grand-chose. Cela nous oblige à ne pas baisser la garde, à faire attention, toujours, même sur les réseaux sociaux, où l’immédiateté des réactions entraine souvent des fautes bêtes. Il n’y a pas, comme chez les autres, de faute bête chez les enseignants, la moindre faute relève du manquement ou de l’incompétence – c’est du moins ainsi que cela est jugé.

Mais peut-être que, de l’autre côté, on peut aussi voir les choses autrement. Le mieux serait sans doute qu’on fasse davantage confiance aux enseignants, sur pas mal de sujets : d’abord, c’est leur métier, d’apprendre, il leur faut donc un minimum de savoir ; ensuite, il faut arrêter de penser par défaut qu’on a raison contre l’enseignant, c’est possible mais ce n’est pas sûr, autant vérifier ; enfin, si d’aventure l’enseignant de votre enfant se trompe, il est sans doute possible de lui dire sans mépris ni condescendance, lui-même s’est peut-être retenu de souligner en rouge quelque faute d’orthographe que vous avez faite dans le cahier de correspondance…

Sans doute cette confiance en l’enseignant doit-elle être promue, mise en avant. On parle trop souvent de l’école quand cela ne va pas, quand les nouvelles sont mauvaises, et pas assez pour dire ce qui marche, pour raconter tous ces enseignants qui changent les choses, sur le terrain. Le verre de PISA à moitié vide l’emporte toujours sur le bonheur d’enseigner, même s’il est plein. Dans cette optique, le ministre de l’Éducation nationale a un rôle important à jouer. Il lui revient de valoriser les enseignants, de contribuer activement à montrer qu’ils sont dignes de confiance, fiables, compétents, professionnels. C’est au contraire à la dévaluation du métier d’enseignant qu’il participera en faisant croire qu’être prof en maternelle consiste à changer des couches, ou encore que les instits ne font plus faire de dictée aux élèves, que le calcul mental a disparu des classes de France ou que les leçons de grammaire y sont faites au gré du vent.

 

Bien entendu, n'hésitez pas à me faire savoir si j'ai fait des fautes d'orthographe ! 😉

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