"Il ne faut pas confondre la langue de Molière et son orthographe" [vidéo]

Sans qu’on sache pourquoi, comme il arrive parfois sur les réseaux sociaux, un article daté de 2018 a ressurgi on ne sait d’où et a pas mal circulé ces derniers jours, expliquant que la fédération Wallonie-Bruxelles envisageait sérieusement de modifier les règles d’accord du participe passé (deux ans plus tard, ça ne s'est pas fait).

Il n’en fallait pas plus, comme chaque fois qu’il est question d’orthographe, pour enflammer les réseaux sociaux, la tribune de Libé étant comme il se doit bien davantage commentée que réellement lue. C’était, globalement, une levée de boucliers, on criait à l’assaut contre notre belle langue, au nivellement par le bas, on parlait d’hérésie, on en appelait au bon sens, au respect de la culture française. D’autres cependant disaient, mais pas trop fort quand même face au coefficient de la marée, que les difficultés de la langue française ne sont guère raisonnables, et que l’idée d’une simplification peut s’entendre, au fond.

Pour ce qui me concerne je suis relativement détendu, dans ce type de débat. Parce que je n’ai pas tranché. D’un côté, je constate avec une distance amusée l’attachement viscéral à la règle donnée (et surtout apprise), me disant qu’il doit tout de même être possible d’éliminer un pourcentage non négligeable des exceptions qui peuplent exagérément le français ; de l’autre je ne peux m’empêcher d’être, sinon choqué, du moins déboussolé par certaines propositions faites ici ou outre-Quiévrain pour, par exemple, simplifier le participe passé. D’un côté je me dis qu’on gagnerait sans doute à resserrer l’orthographe autour de la norme plutôt que de glorifier l’exception ; de l’autre je redoute la perte de sens et de finesse dans la disparition de certaines difficultés. Et, comme enseignant, si je n’ai pas de scrupules à ôter l’accent circonflexe à mes chaines, je ne vis point de raison, lorsque les programmes de CM2 recommandèrent d’enseigner uniquement les 3èmes personnes du passé simple, de priver mes élèves d’observâmes, de réfléchîtes et de retînmes.

Être indécis dans ce débat est un luxe, cela permet de distinguer plus facilement les arguties des arguments, de bien percevoir les résistances et les insistances, d’identifier les idéologies et les postures, ce quel que soit le camp. Convaincu, en définitive, que l’orthographe invite surtout à l’humilité (ainsi que je le relate à travers cette anecdote).

Relayant divers articles à ce sujet sur Facebook cette semaine, je fus surpris de voir apparaitre à trois reprises un lien vers la même vidéo. Trois fois, c’était au moins deux raisons d’aller jeter un coup d’œil.

J’ai été happé. En quelques secondes, le duo à l’œuvre dans cette conférence TEDx m’a accroché et tenu jusqu’au terme de l’exposé.

Je ne dirais pas que cette vidéo a modifié en profondeur mon positionnement, mais elle me semble de nature à enrichir le débat, parce qu’elle donne à réfléchir et pose de bonnes questions – quant aux réponses à y apporter, c’est un autre sujet.

Et puis c’est drôle, bien écrit, érudit, parfaitement orchestré.

Je la livre ici in extenso, elle dure 18 minutes, mais franchement ça passe très vite tant c’est bien fichu. Ne venez pas me dire que vous n’avez pas le temps : d’abord c’est le weekend, et puis je sais très bien que vous n’avez pas vraiment d’autre projet que d’aller sur Vinted ou Instagram, peut-être Netflix, à la rigueur corriger des copies, bref, rien qui ne puisse être ajourné (ceux qui ont des enfants ont droit a une dérogation et peuvent revenir pendant la sieste ou ce soir).

A tout de suite.

 

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, linguistes de formation, profs de français et de philosophie, sont les signataires de la fameuse tribune de Libération. On comprend qu’ils sont résolument convaincus de la nécessité de réformer certains aspects de l’orthographe française. On peut ne pas les suivre totalement dans ce projet – c’est mon cas – et considérer qu’il y a matière à réflexion dans leur propos.

Distinguer la langue de son système de codification, laquelle est à son service, mérite toujours d'être rappelé. De même, il est important d'avoir à l'esprit les circonstances et les volontés historiques qui ont conduit à l'élaboration de l'orthographe actuelle, fruit de choix politiques et sociétaux ; important de se souvenir que la norme orthographique est une construction somme toute récente émanant davantage de l'appareil d'état que de l'usage, et que l'étymologie elle-même est une sélection. Enfin, on n'oubliera pas que les premiers travaux de l'Académie française chargée de rédiger un dictionnaire fixant la norme indiquaient : "L’orthographe servira à distinguer les gens de lettre des ignorants et des simples femmes. »

Nota : Arnaud Hoedt Jérôme Piron ont commis quelques chroniques sur France Inter, l’été dernier. C’est ici.

Sur l'économie de l'accent circonflexe (et la prise de position de ambivalente de l'Académie français et de quelques illustres membres), on pourra lire ceci : "L'ignorance des savants".

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