« Lire, ce n’est pas dire des mots à voix haute »

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Il va falloir s’habituer : à cette période de l’année, alors même que les forces enseignantes sont déjà bien entamées par les miasmes, la fatigue, la surcharge de travail (évaluations, livrets), une étude internationale sur l’école vient systématiquement nous mettre un grand coup derrière la tête. L’année dernière, TIMMS 2015 nous avait mis le moral dans les chaussettes en révélant que les élèves français étaient parmi les moins bons en maths. Cette année c’est donc PIRLS 2016 qui prend la forme d’un bon coup d’enclume dans le buffet : les petits français sont également derrière les autres en lecture. Mazette. Alors, on s’interroge vraiment ou on fait semblant ?

PIRLS m’a tuer

On savait que le niveau des élèves français en langue et en lecture n’était pas idyllique, mais plusieurs études, nationales et internationales, avaient établi ces derniers temps que le niveau dans ce domaine n’avait globalement pas baissé durant la dernière décennie. PISA 2015 nous disait que le niveau des élèves français en compréhension de l’écrit était stable depuis 2000, un peu au-dessus de la moyenne de l’OCDE ; les chiffres de la Journée défense citoyenneté (JDC) confirmaient que le niveau en lecture était stable depuis 2009 ; CEDRE 2015 disait que les élèves sortant de primaire en 2015 avaient une maitrise de la langue similaire à celle de leurs ainés de 2003.

Voilà que PIRLS 2016 vient nous dire le contraire : le niveau des petits français en lecture a baissé depuis 2001 et la France se retrouve en queue de peloton des pays européens (511 points contre 540 pour la moyenne européenne).

Où le bât blesse-t-il, exactement ? Les petits français (9,8 ans en CM1, les plus jeunes de l’étude avec les italiens) réussissent mieux avec les « processus simples » que constituent la capacité à restituer des faits (« prélever », niveau 1) et l’analyse des liens de cause à effet (« inférer », niveau 2) : pour ces niveaux la baisse est relative par rapport à 2001 (529 points contre 521 en 2016). Ils sont plus en difficulté avec les « processus complexes » que sont la mise à jour d’informations présentes implicitement dans le texte (« interpréter », niveau 3) et l’analyse critique des intentions de l’auteur (« apprécier », niveau 4) : là, la baisse par rapport à 2001 est nette, on est passés de 523 points à 501. Il faut noter que si la compréhension des textes narratifs est à peu près équivalente à 2001 (513 et 510 points), la compréhension des textes informatifs est en chute libre (-22 points contre -6 aux textes narratifs).

En gros, nous dit PIRLS, les élèves français savent déchiffrer, comprennent les textes en surface, font des déductions simples, mais ne parviennent pas à « lire entre les lignes », à s’interroger, à faire des liens, bref à percevoir tout ce qui fait la richesse et la beauté des textes.

Fondamentaux, dictée et autres réactions en carton pâte

Bien entendu, on a vu certains brandir illico la pancarte du « retour aux fondamentaux ». Sauf que, PIRLS nous le répète, le nombre d’heures consacrées à l’enseignement de la langue est largement plus important en France (330 heures annuelles) qu’ailleurs (236 heures en moyenne en Europe), de même que celui consacré à la lecture (165 heures contre 146). Qu’on se le dise une bonne fois pour toute, la solution n’est donc pas le « retour aux fondamentaux ».

On n’a pas non plus vraiment compris la réaction officielle du ministre et les propositions faites pour remédier aux carences en compréhension : lire à haute voix est un exercice intéressant, indispensable, mais largement insuffisant pour travailler la compréhension ; imposer une méthode ou un manuel pour les classes de CP, outre que cela pose la question de la liberté pédagogique des enseignants, ne règlera pas la question de la compréhension (les manuels se préoccupant souvent essentiellement du code) ; quant à la dictée quotidienne, ce joker sorti de la manche de tout ministre qui souhaite être bien vu dans l’opinion, ma foi c’est un exercice qui peut être passionnant et fécond selon ce qu’on en fait, mais lui non plus ne règlera pas la question de la compréhension des textes. En somme, trois coups dans l’eau.

Alors, que faire ? Et bien, en tant qu’enseignant, la seule chose à faire est de se remettre en cause et chercher des solutions, ce d’autant que personne d’autre, dans l’opinion et au ministère, ne semble vouloir le faire.

J’ai été très intéressé par les propos de Roland Goigoux, spécialiste de la lecture, dans le Café Pédagogique. D’abord pour ce qu’il dit des politiques menées sur le sujet, mais aussi pour les pistes qu’il donne : « Les politiques qui se sont succédé pour la lecture n'ont pas mis l'accent sur ce qui est évalué dans Pirls, la compréhension autonome de texte en profondeur. On a commis deux erreurs. D'abord focaliser la question de la lecture sur le CP. Puis focaliser le travail du maître sur la maitrise de la langue, l'orthographe la grammaire, la conjugaison. On considère toujours qu'une fois que l'on sait déchiffrer la pratique de la lecture suffit pour avoir des compétences en lecture. Mais si l'on veut que notre école progresse il faut un plan d'enseignement explicite de la compréhension en lecture en mettant l'accent sur le cours élémentaire et le cours moyen. On ne peut pas analyser Pirls et conclure en disant qu'on doit renforcer l'orthographe, la grammaire en CP. Cette réponse n'est pas à la mesure du problème. Dans Pirls ce qui caractérise la France c'est le décrochage entre la compréhension explicite du texte et la compréhension implicite, fine. Ce n'est pas un problème de déchiffrage. Mais par exemple de comprendre ce que le texte ne dit pas et qui doit être déduit. Il faut donc apprendre à travailler les relations causales dans un texte, les états mentaux des personnages ou les intentions des auteurs : sur ce point par exemple la France est le pays qui accorde le moins d'importance à interroger sur ce que l'auteur veut dire. (…) D'ailleurs quand je montre à des professeurs des écoles de cours moyen les épreuves de Pirls ils sont surpris et me disent : "je ne leur apprends pas cela" ».

« Lire, ce n’est pas faire du bruit avec la bouche ! »

Dans notre pays on considère encore trop, enseignants inclus, que lire consiste à déchiffrer un texte. En témoigne cette éternelle et décourageante querelle sur les méthodes de lecture : non seulement on se fourvoie en opposant globale et syllabique, mais le plus grave est de limiter le débat et la réflexion sur la lecture à son acquisition technique, un peu comme si conduire ne consistait qu’à savoir passer les vitesses et utiliser le clignotant !

Rien d’étonnant dans ce contexte à ce que de nombreux élèves lisent correctement à voix haute (arrivés à un certain stade cependant leur prosodie flottante les trahit : on sent bien dans les intonations, leurs modulations, leur usage de la ponctuation que le fond leur échappe), mais ne comprennent guère ce qu’ils lisent. Ah, ils lèvent la main, fiers de montrer qu’ils « savent lire » en disant les mots écrits à voix haute ! Mais ne leur demandez pas ensuite d’expliquer ce qu’ils viennent de lire.

Je passe mon temps à répéter à mes élèves que « lire, ce n’est pas faire du bruit avec sa bouche, lire c’est comprendre, lire c’est découvrir, lire c’est imaginer, lire c’est réfléchir ! ».

C’est à nous, enseignants, de mener les élèves sur ce chemin. Or, comment les y mener si on se contente, en CP, du manuel d’apprentissage pour toute lecture ? Est-ce vraiment en s’enfilant exclusivement durant des semaines des brochettes de bri – bir – bra – bar – bro – bor qu’on va donner le gout de la lecture aux élèves, qu’on va même leur apprendre à lire ? Assurément on en fera des déchiffreurs, des décodeurs, mais des lecteurs pleins et déployés, rien n’est moins sûr ! A côté du manuel, indispensable, les livres doivent pulluler, les bibliothèques de classe fournies, les lectures du maitre et les discussions doivent être nombreuses ! Il n’est pas besoin de savoir encore déchiffrer parfaitement pour émettre des hypothèses, dire ce que pensent et ressentent les personnages, imaginer la suite, donner son avis !

La compréhension doit être enseignée, dès la maternelle, travaillée dès les apprentissages fondamentaux, et se poursuivre évidemment au CP, année du décodage, et ne jamais être délaissée. Une collègue m’a dit un jour : « L’important est qu’ils sortent du CP en sachant décoder, il sera bien temps ensuite de travailler la compréhension ». Erreur ! On ne peut séparer l’un de l’autre ! A quoi bon décoder si c’est pour ne pas comprendre ? A quoi bon « savoir lire » si c’est pour ne pas avoir accès à cet univers d’émotions qu’est la lecture ? Sans compter que les études montrent que la compréhension n’est pas beaucoup enseignée en cours élémentaire - bien sûr, les collègues n’ont pas tort de dire qu’avec tout ce qu’il y a à voir en CE1 en grammaire, conjugaison, orthographe, il devient difficile de dégager du temps dédié à la lecture et l’apprentissage de la compréhension, mais ce ne saurait être une excuse.

Qu’apprenons-nous aux élèves ?

Et puis, les années suivantes, on se contente trop souvent de travailler la lecture explicite, la capacité à restituer des faits (niveau 1), éventuellement à analyser des liens de cause à effet (niveau 2), mais encore le fait-on souvent sous la forme de fiche de questions écrites auxquelles ne savent répondre que ceux qui savent déjà vraiment lire et sur lesquelles sèchent les lecteurs les plus laborieux.

Ce tableau, issu de PIRLS, dit tout ce qui n’est pas fait dans nos classes, au regard de ce qui se fait ailleurs. Dans la dernière colonne est indiqué l’écart avec la moyenne des autres pays.

Pirls stratégies profs

On le voit, moins que les autres nous travaillons l’anticipation, l’hypothèse, la comparaison, la mise en réseau, la généralisation, l’intertextualité, le style, les effets littéraires, le travail de l’auteur. Ne nous contentons plus de la recherche de l’explicite, de la prise d’indices textuels, des questions fermées ou à réponses écrites « noir sur blanc ». Emmenons nos élèves plus loin ! Apprenons-leur à lire entre les lignes, à percevoir les sentiments et les intentions des personnages, à comprendre le second degré, à faire des liens avec des œuvres lues, à faire résonner les textes, à comprendre qu’un auteur est là qui joue avec eux, pour eux.

Tous les enfants aiment les histoires.
Tous les enfants aiment apprendre des choses.
Qu'avons-nous fait, ou pas fait, pour perdre cela, ce gout, cet appétit, cette curiosité ?

Sinon, à part l’école…

Les professionnels de l’éducation et de l’enseignement que nous sommes pourront toujours se remettre en question et chercher comment faire évoluer leur pratique, cela ne résoudra qu’une partie du problème. PIRLS 2016 est très clair sur, au moins, deux autres aspects :

- 38% des élèves français ont des enseignants qui n’ont participé à aucune formation lors des deux dernières années, presque deux fois plus que la moyenne européenne (22%), et 75% des enseignants français n’ont pas eu de formation spécifique sur la lecture ces deux dernières années. En France on forme moins les professeurs que partout ailleurs, et on s’étonne que les résultats de leurs élèves soient moins bons ! Plutôt que de raviver très connement les querelles de méthode de lecture, au ministère on devrait réfléchir à un grand plan lecture dans toute sa complétude (les travaux de référence existent : conférence de consensus sur la lecture du Cnesco, recherches de l’ifé) et financer ensuite la formation des profs.

- au-delà de l’école, c’est bien le rapport au livre de la société française tout entière qui est en question : au pays des belles lettres et des prix littéraires en abondance, où les parents vont les premiers se plaindre que l’école ne sait plus apprendre à lire aux enfants, ces mêmes parents sont parmi les moins nombreux d’Europe à dire « apprécier beaucoup » la lecture (22% contre 40% en moyenne en Europe), et autant à dire qu’ils n’aiment « pas du tout » lire (21%). Or PIRLS est très clair : il y a une forte corrélation entre les résultats de l’élève et l’intérêt porté aux livres par les parents…

 

Nota : on pourra (re)lire ce post consacré à la littératie familiale et au formidable travail fait sur ce sujet au Québec : « Parents, lisez des histoires à vos enfants ! ».

On pourra aussi aller, si on est enseignant, voir ce dernier post de Charivari qui, toujours en recherche, utilise une application pour travailler la compréhension avec ses élèves (et ça marche).

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