Six mois après le début du quinquennat, le doute n’est quasiment plus permis. Les années qui viennent devraient bel et bien être marquées par une nouvelle baisse du pouvoir d’achat, pour les enseignants. Après la courte embellie des dernières années, qui n’a pas compensé la grisaille de la période précédente, plusieurs dossiers attestent que les enseignants ne sont pas une priorité pour le gouvernement.
Gel du point d’indice
A peine en place, le gouvernement annonçait le gel du point d’indice, qui règle la rémunération des fonctionnaires. Pour l’instant la mesure est prévue pour la seule année 2018, mais tout laisse à penser qu’elle se prolongera tout au long du quinquennat. En effet la loi de programmation financière prévoit la baisse de 3 points de la dépense publique d’ici 2022, et l’effort annoncé dans les domaines des armées, de l’intérieur et de la justice sera nécessairement compensé dans les autres domaines. L’heure étant à l’austérité et au serrage de ceinture, l’éventualité d’un dégel est quasi nulle.
Rappelons que dans les faits, gel du point d’indice signifie automatiquement baisse du pouvoir d’achat, en raison de l’inflation. De 2010 à 2016, précédente période de gel du point d’indice, l’inflation a été de près de 7% pendant que les salaires stagnaient.
PPCR reporté
Technique, ce dossier est inconnu du grand public et même la plupart des enseignants ont du mal à en comprendre les enjeux. Le PPCR (Parcours Professionnels Carrières et Rémunérations) est un ensemble de mesures négociées en 2015 qui devait mener les salaires des enseignants français au niveau de celui des leurs homologues de l’OCDE. Le protocole prévoyait notamment une augmentation indiciaire en fonction de l’échelon et un avancement de grade plus rapide pour tous. Ces mesures devaient s’étaler sur plusieurs années jusqu’en 2020, mais seules celles prévues en 2017 et déjà budgétées par le précédent gouvernement échapperont à la coupe. Le gouvernement actuel a déjà annoncé le report du PPCR à 2019, là aussi on serait agréablement surpris qu’il ne soit pas enterré ensuite. A titre d’exemple, les professeurs des écoles et les certifiés devaient gagner 7 points d’indice au 1er janvier 2018. Ils peuvent oublier.
Retour du jour de carence
Rapidement, le gouvernement à réinstauré un jour de carence pour les fonctionnaires, selon des arguments connus : lutte contre l’absentéisme, économies, rééquilibrage avec le privé (3 jours de carence). Autant d’arguments discutables : on a dit ici même, s’agissant des enseignants, que leur taux d’absentéisme est moins élevé que pour la moyenne des salariés et dans tout le public il est à peine supérieur (3,9% contre 3,6%, source Dares). Côté financier, on se rappellera la déconvenue du gouvernement Sarkozy, instaurateur du jour de carence, qui comptait économiser 240 millions annuels et n’a engrangé dans les faits que 80 millions. Enfin s’agissant de rééquilibrer avec le privé, on se contentera de citer les propos d’un certain Emmanuel Macron, répondant au sénateur LR Roger Karoutchi en mai 2015 sur cette question : «Si l’on examine de près la situation des salariés du privé, on s’aperçoit que les deux tiers d’entre eux sont couverts par des conventions collectives qui prennent en charge les jours de carence. Donc, "en vrai", comme disent les enfants, la situation n’est pas aussi injuste que celle que vous décrivez ». De fait, d’après une étude menée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, 66% des salariés bénéficient d’une prise en charge du délai de carence par leur prévoyance entreprise, ainsi que le rappelle un article de Libération intitulé « rétablir le jour de carence pour les fonctionnaires est-il équitable et efficace ? ».
Hausse de la CSG compensée sans gain de pouvoir d’achat
Cela a été un dossier assez brûlant, cet été. La hausse prévue de la CSG sera compensée par la baisse des cotisations chômage et aura un impact positif pour la majorité des salariés (elle devrait permettre un gain de pouvoir d’achat de 1,45% de salaire brut en moyenne). Mais dès le départ, il est apparu que deux publics seraient les dindons de la farce : les retraités et les fonctionnaires. Concernant les premiers l’affaire est toujours mal embarquée puisque le Président s’est contenté de dire « je vous fiche mon billet que dès l’année prochaine, dans la grande majorité des cas la hausse de la CSG sera compensée par la baisse de la taxe d’habitation ». S’agissant des fonctionnaires, cela a été très confus durant tout l’été, pour être honnête ça sentait un peu le bricolage, mais finalement la compensation est annoncée, avec la suppression de la CES et la création d’une prime compensatoire aux contours encore flous. Mais il s’agit d’une simple compensation, pas d’un gain de pouvoir d’achat, contrairement aux salariés.
Hausse des cotisations retraite
Il faut également rappeler que depuis 2010, le mois de janvier est synonyme de fiche de paie en berne, pour les fonctionnaires. En effet leur cotisation retraire augmente régulièrement et ce jusqu’en 2020 : le but est de rattraper graduellement le taux des salariés (11%, contre 7,85% en 2010 pour les fonctionnaires). Une bonne chose en termes d’équité, il faut le dire. Une bonne chose aussi car ce sera un argument en moins pour ceux qui souhaitent attaquer la retraite des fonctionnaires qui vont bientôt cotiser autant que les autres. Néanmoins, chaque mois de janvier le montant en bas de la fiche de paie diminue de quelques euros, qui deviennent des centaines d’euros sur la durée et contribuent à la baisse du pouvoir d’achat.
La prime REP+, promesse non tenue
On se souvient que c’était une des mesures phare du candidat Macron : afin d’attirer les enseignants en éducation prioritaire, il était prévu de leur accorder une prime de 3000 € annuelle. L’élection passée, l’affaire a été moins médiatisée, et pour cause : dans les faits on a le plus grand mal à financer la mesure, au ministère : pour l’instant, le versement est prévu « progressivement », 20 millions en 2018, de quoi payer moins de 6 700 profs sur 43 000.
Le cout coup de la rigueur
Ainsi donc, au nom de la rigueur budgétaire, les fonctionnaires et parmi eux les enseignants davantage encore, ont un faux air de vaches à lait du gouvernement – pendant ce temps-là, les conseillers ministériels sont augmentés de 20%, les 10% de français les plus aisés profitent de 46% des gains des mesures fiscales prévues (OFCE), les baisses d’imposition du capital coutent 8 milliards à l’état…
Le dernier à avoir à ce point argué d’une nécessaire rigueur pour justifier les coupes sombres dans l’éducation nationale s’appelait Nicolas Sarkozy. Durant son quinquennat (l’actuel ministre JM Blanquer était alors numéro 2 de l’éducation nationale) 80 000 postes furent supprimés, la formation initiale des profs détruite, le point d’indice des fonctionnaires gelé, tout ceci au nom de la rigueur budgétaire. Bilan : entre 2012 et 2017, la dette publique de la France est passée de 1,253 milliards d’euros à 1,869 milliards, le déficit public s’est creusé de 51 milliards, la dette est passée de 64,4% à 89,6% du PIB.
Sous Hollande, la situation s’est tardivement mais sensiblement arrangée pour les enseignants. En 2016, le point d’indice a été dégelé de 1,2% (0,6% en juillet 2016 et 0,6% en février 2017, compensant à peine l’inflation), les accords PPCR ont été mis en place, un effort a été fait pour les enseignants de primaire avec la création de l’ISAE (une prime annuelle de 1200 € bruts que touchaient les profs de secondaires). Au final, un regain de pouvoir d’achat non négligeable, après des années de vaches maigres. En effet, de 2000 à 2010, le pouvoir d’achat des enseignants français avait baissé de près de 10% quand celui de leurs collègues de l’OCDE avait augmenté de près de 20%. Puis, de 2010 à 2016, lors du gel du point d’indice, la hausse des cotisations avait entrainé une perte de près de 2000 € nets.
C’est ce type d’ère qui s’ouvre, à nouveau : une période de baisse continue du pouvoir d’achat des enseignants. Le ministre JM Blanquer a beau jeu de s'afficher en séducteur : « Les professeurs sont mal payés, et cela contribue à un manque de vocations, mais aussi de plaisir. Cela pose la question plus générale de la dignité des professeurs. Je me considère comme le ministre des professeurs (…). Je parle souvent d’une école de la confiance pour une société de la confiance. Cela passe par le pouvoir d’achat des professeurs ».
Quel joli discours !
Nota : afin de mieux comprendre l'important dossier du PPCR, il faut lire cet article du Café Pédagogique.
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