Comme chaque mois de janvier depuis plusieurs années, les profs constateront une baisse sur leur fiche de paie. Pas de chance pour le ministre, c’est précisément le moment où, apostrophé notamment par les Stylos rouges sur la question, il affirme que le pouvoir d’achat des enseignants est une priorité de son ministère. Vraiment ?
Fiche de paie en berne : plusieurs raisons
Mettons de côté le premier mois de prélèvement à la source, qui ne saurait entrer dans la catégorie baisse du pouvoir d’achat, mais qui brouillera davantage encore la lisibilité de la fiche de paie de janvier. Plusieurs dossiers en cours expliquent la baisse qui s’annonce sur les prochaines fiches de paie et dès ce mois-ci :
- hausse des cotisations retraite : c’est la suite du processus entamée en 2010 sous Fillon, lorsque ce dernier avait décidé que les fonctionnaires devraient désormais cotiser autant que les salariés pour leur retraite. Un calendrier avait été mis en place afin que, sur 10 ans, le taux de retenue passe de 7,85% à 11,10% et rejoignent celui des salariés. Voilà pourquoi la ligne « retenue pension civile » de la fiche de paie augmente depuis 2010. La bonne nouvelle est qu’on est bientôt arrivés à la fin du calendrier, l’année prochaine l’alignement sera complet entre les fonctionnaires et les salariés (qu’on se le dise). La mauvaise nouvelle c’est qu’il reste donc encore une baisse, en janvier 2020 (en 2016 j’avais calculé que sur la période 2010-2016 cette affaire m’avait couté quasiment 2000 € nets, post à lire ici).
- hausse des cotisations MGEN : ce fut l’une des explications majeures à la baisse constatée l’an dernier sur la fiche de paie. La mutuelle de l’EN majoritaire chez les profs, directement prélevée sur le salaire, a entamé une hausse de ses cotisations qui va se poursuivre en 2019, dès ce mois de janvier, entre 0,5% et 5,69% selon les formules (pour les expatriés, il semblerait que la hausse des cotisations soit de 70% !). Sur son blog (à lire sans modération), Julien Delmas explique qu’il existe d’autres forfaits peu valorisés par la MGEN qui permettent de minimiser cette hausse des cotisations.
Ces deux dossiers qui vont directement impacter la fiche de paie des enseignants, le gouvernement actuel n’y est pour rien, c’est un fait. Mais qu’a-t-il fait, lui, pour le pouvoir d’achat des profs ?
Ce que le ministère a fait pour le pouvoir d’achat des profs depuis 18 mois…
Le médiatisé mouvement des #Stylos rouges a donné une nouvelle visibilité aux revendications des enseignants, parmi lesquelles le pouvoir d’achat. Le ministre a pas mal communiqué cette semaine, comme toujours très habilement, sur France Inter puis France Info, alignant les mêmes éléments de langage, à la virgule près (20/20 en récitation, M. Blanquer), que ceux contenus dans le communiqué du gouvernement publié dès le 8 janvier et manifestement destiné à couper l’herbe sous le pied des Stylos rouges : « pas de problème quant au diagnostic qui est fait », « ces préoccupations viennent de loin, elles existent depuis des décennies, pas seulement depuis 18 mois », « d’ailleurs le Gouvernement n’a pas attendu les Stylos rouges pour s’y attaquer », « cela fait un an et demi qu’il travaille à améliorer les conditions de travail et le pouvoir d’achat des enseignants ». Le communiqué fait ensuite la liste desdites avancées :
- +1Md€ sur le quinquennat pour financer le protocole PPCR
- prime pour les professeurs de REP+ allant jusqu’à 3000€
- heures supplémentaires plus rémunératrices grâce à la défiscalisation ; dans les médias cette semaine, le ministre a chiffré à 250 millions d’euros ces heures supplémentaires supplémentaires.
Présentées ainsi, les mesures semblent importantes, en effet.
… ne résiste pas à l’analyse
Sauf que, dès qu’on entre dans le détail, ces mesures sont en trompe-l’œil.
- le milliard annoncé pour le protocole PPCR, s’il est atteint à la fin du quinquennat, aura dû l’être plus tôt. Le PPCR résulte d’une série d’accords passés sous Hollande, absolument pas par l’actuel gouvernement, lequel s’est empressé d’en geler l’application pour 2018 ! C’est donc avec un an de retard que les enseignants en toucheront les bénéfices, soit 264 millions d’euros pour cette année ; tous les échelons auraient dû voir leur indice augmenter de 5 points il y a un an, il faudrait calculer ce que cela a couté à chaque prof…
- la prime pour les professeurs de REP+ : les termes utilisés dans le communiqué gouvernemental parlent d’eux-mêmes : « une prime pouvant aller jusqu’à 3000€ annuels sera accordée aux professeurs de REP+ à terme ». Cette prime avait été un argument de campagne majeur du candidat Macron, c’est un élément de langage ressorti à l’envi par le ministre, mais elle devait à l’origine être de 3000€ dès la rentrée 2017 pour tous les profs de REP et non seulement de REP+. Après avoir été reportée d’un an, elle n’est mise en place que très progressivement, au compte-goutte, et nul ne sait quand les profs toucheront la totalité de la prime promise, et surtout qui la touchera, puisqu’on a parlé de prime au mérite…
- les heures supplémentaires défiscalisées : vantées comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat des profs, elles servent en réalité à compenser les 2600 suppressions de postes dans le secondaire pour cette année, car il faut bien que les cours aient lieu. Par ailleurs, d'après le Café pédagogique, dans les 250 millions ne sont budgétés que 18 millions d’euros supplémentaires et non 64 millions comme le dit le ministre, le reste des heures était déjà prévu. Enfin, la défiscalisation annoncée n’est pas si intéressante qu’elle le fut, par exemple, sous Sarkozy, ainsi que l’explique très bien Julien Delmas sur son blog. Par ailleurs, ces heures supplémentaires ne concernent pas les professeurs des écoles, il faut le dire et le redire.
On le voit, les mesures annoncées ont été soit prises par le gouvernement précédent, soit sont en décalage avec les promesses de campagne, soit servent de cache-misère. Toutes sont largement survendues par le gouvernement et le ministre. Surtout que dans le même temps, d’autres mesures ont nettement attaqué le pouvoir d’achat des profs.
Ces mesures qui ont rogné le pouvoir d’achat
Il y a, on vient de le dire, les multiples reports qui ont démarré le quinquennat : report du PPCR et de la prime REP notamment, qui ont couté des dizaines, voire des centaines d’euros sur la durée, aux profs.
Il y a surtout, dès le début du quinquennat, l’annonce du gel du point d’indice qui sert de base au calcul du salaire des fonctionnaires. A priori, il n’y aura pas de dégel d’ici 2022.
Il y a le rétablissement du jour de carence, que les sénateurs ont par deux fois tenté de porter à trois.
Il y a aussi la hausse de la CSG, qui a été tardivement et mal compensée pour les fonctionnaires, par une prime calculée sur les revenus de l’année précédente seulement jusqu’en 2019 : à partir de 2020, la prime sera mécaniquement bloquée, avec une lente mais graduelle perte de pouvoir d’achat…
On voit que le gouvernement actuel, non seulement n’a pas mis en place de mesure réellement importante en faveur du pouvoir d’achat des profs, mais a au contraire contribué à l’éroder sensiblement. Le problème a vingt ans, dit le ministre Blanquer ? Rappelons tout de même que sous la mandature précédente, le point d’indice a été dégelé et augmenté de 1,2%, les accords PPCR ont été signés, le jour de carence établi sous Sarkozy a été supprimé et la prime de l’ISAE (1200€) créée pour les profs des écoles.
Malgré cela, les profs français sont toujours parmi les moins bien payés de l’OCDE : entre 2005 et 2017, le salaire des enseignants de l’OCDE a augmenté de 8% en moyenne dans le primaire (6% dans le secondaire), tous les pays ayant augmenté leurs enseignants sur cette période sauf trois, dont la France où le salaire des instits a baissé de 10% (Regards sur l’éducation 2018, on en a parlé dans ce post sur le budget 2019)...
Malheureusement, les choses ne vont pas s’améliorer de sitôt, si on se fie à cette petite phrase du ministre Blanquer sur France Inter, peu commentée mais qui sonne à la fois comme un aveu et un programme : « Un million de personne, cela rend difficile budgétairement de faire des efforts importants ». Cela a le mérite d’être clair : les efforts seront faits à la marge.
Les enseignants pourront se consoler en consultant le sondage du Figaro où début janvier, à la question « faut-il augmenter le salaire des enseignants ? », 66% des 52 000 votants ont répondu "OUI". Si si, sur le site du Figaro.fr.
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