Quelques idées reçues l’école battues en brèche par un historien de l’éducation

Dans leur livre « A nous le français ! » (voir le post précédent), les linguistes Maria Candea et Laélia Véron déconstruisaient les clichés et idées reçues sur la langue, nous invitant à nous émanciper. Dans « L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire », l’historien de l’éducation Claude Lelièvre nous propose de prendre du recul sur les représentations que nous avons de l’école. En multipliant les sources historiques, Lelièvre vient bousculer la vision dominante sur les fondamentaux, sur Jules Ferry, sur la pédagogie, le bac, les notes, les vacances…

Impossible de tout aborder ici, ce qui suit est donc un condensé de notes prises au fil de la lecture.

Fondamentaux : Jules Ferry voulait affranchir l’école primaire du « Lire, écrire, compter »

Dans l’imaginaire collectif, l’école de Jules Ferry est centrée sur les fondamentaux. Or, Ferry n’a de cesse de promouvoir « tous ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du "lire, écrire, compter" : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. Telle est la grande distinction, la grande ligne de séparation entre l’ancien régime, le régime traditionnel, et le nouveau ».

Jules Ferry pédagogue

On est surpris de découvrir un Jules Ferry pédagogue, conscient déjà il y a 140 ans que l’apprentissage passe nécessairement par « ces méthodes qui consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui faire trouver ; qui se proposent avant tout d’exciter la spontanéité de l’enfant, pour en diriger le développement normal au lieu de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il n’entend rien, au lieu de l’enfermer dans des formules dont on ne retire que de l’ennui, et qui n’aboutissent qu’à jeter dans ces petites têtes des idées vagues et pesantes, et comme une sorte de crépuscule intellectuel ». Des méthodes « praticables qu’à une condition : à savoir que le maître, le professeur, entre en communication intime et constante avec l’élève ».

Liberté pédagogique, 1879

De même la liberté pédagogique, aujourd’hui malmenée par ceux-là même qui se réclament de Ferry est fondamentale dans l’école promue par ce dernier. Sous la plume de Gabriel Compayré, un des principaux promoteurs de cette école : « Pourvu qu’il arrive à son but dans le délai voulu, [l’instituteur] est libre de ses mouvements. Sur ce point, nous pouvons donner des conseils à l’instituteur, une répartition mensuelle des programmes. Mais ce ne sont là que des avis officieux, qui ne tiennent pas la liberté de l’instituteur, et qu’il peut à son gré accueillir ou repousser ». Dans les mots de Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire sous Ferry : « Il y aurait de graves inconvénients à imposer aux maitres leurs instruments d’enseignement […], il n’y en a aucun à leur laisser librement indiquer ce qu’ils préfèrent ».

Depuis 180 ans, la dictée est un critère de sélection et phagocyte l’enseignement de l’orthographe

C’est François Guizot, ministre de l’Instruction publique du roi Louis-Philippe, qui établit la dictée au centre de l’enseignement, en 1834., des décennies avant Ferry. La dictée devient également « la discipline reine de la formation et surtout de la sélection des instituteurs », trois fautes étant synonymes d’élimination pour le candidat.

Une fois de plus Jules Ferry va prendre le contrepied, estimant que la dictée prend trop de place : « Mettre l’orthographe, qui est une des grandes prétentions de la langue française, mais prétention parfois excessive, au premier rang de toutes les connaissances ce n’est pas faire de la bonne pédagogie : il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe […]. Aux anciens procédés qui consument du temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée –, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel ».

La baisse du niveau en orthographe, 1830

Claude Lelièvre rapporte cette remarque du ministre de l’instruction publique datant de 1830 : « Nous avons quelquefois reçu des lettres ou des réclamations d’individus pourvus du grade de baccalauréat, et dont le style et l’orthographe offraient la preuve de la plus honteuse ignorance ».

Puis, en 1886 : « l’orthographe des étudiants en lettres est si défectueuse que la Sorbonne s’est vue réduite à demander la création d’une nouvelle maitrise de conférence, dont le titulaire aurait pour principale occupation de corriger les devoirs de français des étudiants de la faculté de lettres ». On le voit, le niveau baisse depuis un bon moment déjà…

Les dates de l’histoire à apprendre à l’école primaire : une chimère

A elle seule, cette question dit combien l’enseignement de l’histoire à l’école repose sur de fausses évidences, sur l’idée que l’histoire se dégagerait par elle-même, désignerait seule ses grands moments, que les dates historiques à connaitre par tous coulent de source. Claude Lelièvre compare trois listes officielles de 1995 (Bayrou), 2002 (Lang), 2008 (Darcos). Chaque liste retient une vingtaine de dates, mais seules 7 sont communes aux trois listes ! 10 sont communes à deux listes sur 3, et 16 dates ne figurent que sur 1 des 3 listes… On le voit, il n’y aucune objectivité dans la date historique.

Uniformes : uniquement dans le privé et certains établissements secondaires

Le « retour de l’uniforme » est une antienne, souvent sous couvert d’égalité d’apparence entre élèves. Claude Lelièvre rappelle qu’« il n’y avait jamais d’uniformes dans le primaire public, que la plupart du temps les élèves ne portaient pas une blouse et que, de toute façon, ces blouses étaient plus ou moins disparates […]. Les uniformes scolaires (ou les blouses uniformes) étaient portés au contraire dans les établissements où il y avait une certaine sélection socioculturelle : les établissements privés et certains établissements publics secondaires (généralement les plus huppés). Ces uniformes étaient avant tout un signe de distinction, la mise en avant d’une appartenance à une communauté sélectionnée voire à un « patriotisme d’établissement » ».

Les « hussards noirs » n’étaient pas des instituteurs

Alors qu’il est si souvent fait référence à ces fameux « hussards noirs » pour désigner ces instituteurs dévoués à l’enseignement républicain, Claude Lelièvre nous apprend que l’expression, signée Charles Péguy, ne désignait en réalité pas du tout les instituteurs (qui n’ont jamais porté d’uniforme, noir ou autre) ! Péguy utilise ce mot pour désigner les normaliens de l’époque, alors que lui-même était élève de l’école annexe de l’école normale primaire du Loiret : « Un long pantalon noir, avec un liseré violet. Un gilet noir.  Une longue redingote noire, bien droite, bien tombante ; mais deux croisements de palmes violettes aux revers. Cet uniforme civil était une sorte d’uniforme militaire […]. Quelque chose comme le fameux cadre noir de Saumur […]. Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards noirs de la République. Par ces nourrissons de la République. Ils avaient au moins quinze ans ».

Les vacances scolaires : travaux des champs, zonage

On lit souvent, ici ou là, que les vacances d’été auraient été mises en place pour que les enfants puissent participer aux travaux des champs l’été. Sauf que d’une part, les travaux des champs s’étalent sur une longue période pouvant aller du printemps à l’automne, et d’autre part elles ont été mises en place à l’origine dans les établissements secondaire où aucun enfant des strates sociales favorisées ne participait aux travaux de champs. « En définitive, au XIXème siècle, les enfants de la bourgeoisie et de l’aristocratie […] rejoignaient donc leurs familles dans la seconde moitié de l’été pour participer aux réseaux de sociabilité qui se nouaient alors en particulier autour de la chasse ». Ce n’est qu’en 1938 que les vacances des élèves de primaire sont alignées sur celles du secondaire.

Lelièvre insiste sur le fait que « ce sont les milieux sociaux dominants qui ont un rôle historique dans la structuration des vacances ». Avec le soutien insistant et souvent décisif des lobbies du tourisme, comme ce fut le cas en 1972, début du zonage des vacances en trois zones, afin de multiplier le nombre de semaines de vacances de sports d’hiver, lesquelles ne concernent qu’environ 15% des élèves.

L’école aujourd’hui à la lumière de l’histoire, Claude Lelièvre, Odile Jacob.

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