Voilà, c’était l’année scolaire 2012-2013.
Aujourd’hui commencent les vacances estivales, ces longs repos qui vont faire la bascule vers une autre année scolaire, 2013-2014.
Il y a plusieurs temps, dans les vacances d’été : d’abord, ces premiers jours, une semaine, parfois dix jours. J’y suis entre deux eaux, déjà en repos, pas franchement reposé ; je ressens une certaine lassitude physique, je dors plus longtemps, pas très bien, il m’arrive de me réveiller la nuit, agité, et de me rendormir assez vite, heureux à la perspective que le réveil ne sonne pas. Des scènes de classe peuplent mes nuits, des visages d’élèves, des attitudes, des moments de travail me viennent par bouffées le jour, sans que j’y pense particulièrement. Il m’arrive d’avoir une pincée de nostalgie, de me rendre compte que ce qu’on a vécu pendant un an appartient déjà au passé. En quelques minutes, entre le moment où j’ai dit au revoir à mes élèves à 16 h 30 et celui où j’ai quitté l’école chargé comme un mulet de pédagogie et de cadeaux, l’année scolaire et mes 28 élèves sont passés du présent le plus vivant au passé décomposé. Il y a toujours quelque chose de vertigineux dans ce passage.
C’est long, un an. On a le temps de bien connaître ses élèves, et si on est un peu du genre sensible comme moi, largement celui de s’attacher à eux. Un an, 864 heures de classe, sans compter la cantine, l’étude, ça fait beaucoup de temps passé ensemble, bien des journées sur le même bateau, à voir les multiples facettes de chaque élève, à le voir grandir, évoluer, mûrir, cheminer. Les premiers jours de vacances, c’est tout ça qui s’agite dans la caboche, qui passe et repasse dans le plus grand désordre apparent. Mais en fait, l’esprit s’occupe de trier, de classer, de ranger les souvenirs, les élèves, de remettre dans l’ordre tout ce qu’on n’a pas eu le temps de traiter dans le rush de la dernière ligne droite. On s’aperçoit qu’on n’a pas dit au revoir à tel élève qui quitte l’école. On réalise qu’on a oublié tel classeur. On se rend compte qu’on n’a pas clôturé la coop.
Et puis, petit à petit, l’esprit se libère, il ne reste plus trop de choses à ranger. Dehors, le soleil semble briller plus fort. Le corps se détend, s’accoutume à l’oisiveté, les nuits se font plus massives. Un matin, on s’aperçoit qu’on n’a pas pensé à l’école depuis plusieurs jours. Il y a alors parfois une deuxième vague de pensées. Elles sont centrées sur les élèves, souvent, et remontent quelques instants heureux de l’année, quelque réussite, quelque éclat de rire de la classe, quelque tic de l’un, quelque mimique de l’autre.
Et puis plus rien. Les vacances s’écoulent alors pour elles-mêmes, largement pleines, et l’on se retrouve tout à fait. Un mois environ. Le temps y file sans accrocher, c’est l’heure d’oublier quel jour on est, de confondre les activités des journées précédentes, d’enchaîner les lundis et les dimanches, les mardis et les vendredis, l’heure des grasses matinées, des siestes, bref, du relâchement, du véritable lâcher prise.
Vers la mi-août, quand le soleil à nouveau se couche à l’heure des enfants, et plus l’inverse, un quelque chose se passe, muet, qui teinte légèrement les derniers jours, et de plus en plus nettement. On a basculé de l’autre côté du sommet il y a un moment déjà, passé le col laissé derrière il y a plusieurs jours, et l’on redescend vers la vallée : l’herbe est verte désormais, la rumeur des premiers villages s’invite, on sent proche le retour à la civilisation, au Grand Bruit Ininterrompu.
On est prêt, cela dit. Prêt à accueillir les premières images d’école, presque les odeurs de classe, le bruit de craies sur le tableau, les premières volutes d’élèves à venir. On se projette, plus précisément de jour en jour, d’heure en heure. On se souvient que telle notion n’avait pas très bien marché, et qu’il faut qu’on revoie entièrement la séquence ; on se souvient qu’on s’était promis de retravailler sur telle leçon de grammaire, sur la progression de géographie, de se consacrer enfin à ce projet d’écriture qu’on a remis à plus tard toute l’année. C’est bête, mais on a envie de tenir un stylo, un bon vieux Bic bleu, de prendre un page blanche et d’écrire, d’allumer l’ordi et d’ouvrir un nouveau dossier : « 2013-2014 », de commencer à découper l’année, à revoir la programmation, à esquisser les premières progressions. Un matin, en allant chercher le pain, on voit une feuille quitter la branche d’un arbre, jaune, mourir, et rejoindre d’autres déjà tombées. Est-ce une impression, où une brise vient fraîchir l’atmosphère ?
… Dimanche 1er septembre 2013, veille de prérentrée. Pas encore dans le vif du sujet, mais clairement pas loin. Depuis deux soirs, on s’efforce de se coucher plus tôt. Ca va piquer, dans quelques jours, vers 6 h 30. Demain, on va retrouver sa classe, son odeur, mêlée de celle citronnée posée là par la dame de service. On va retrouver les collègues, cérémonie des bises, rapports de vacances. Première réunion. Nouvelles directives. La liste définitive de mes élèves, que mes collègues du niveau inférieur vont me détailler, me présentant chacun en quelques mots. Je remarquerai sur la feuille le frère d’une ancienne élève, la sœur d’un autre, sourirai à la perspective de revoir les parents. Puis je passerai l’après-midi dans ma classe et le soir, en posant sur la chaise mes habits pour la rentrée du lendemain, je saurai que ça y est, c’est reparti pour un tour.
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