Depuis deux semaines, déclarations, communiqués et autres petites phrases sur le salaire des profs ont volé en tous sens, sur fond de bilan quinquennal et de campagne présidentielle… Bienvenue au pays de l’esbroufe.
Blanquer et la revalo historique des cacahouètes, épisode 126
Fin août, on apprenait à quoi allait ressembler le cru 2022 de la « revalorisation historique » version Blanquer, après un cru 2021 qui avait laissé 69% des profs regarder leur pouvoir d’achat baisser une année de plus. C’est mieux pour 2022 : 58% des profs sont concernés. Mais outre que 42% des profs vont de nouveau s’appauvrir, la faramineuse « revalorisation » se limite à 28,50 € nets pour une bonne partie des profs, les mieux lotis (les jeunes) gagneront 57 € nets de plus chaque mois.
Pour bien prendre conscience de la faiblesse de la « revalorisation » (ah fichtre, je n’arrive pas à lui enlever les guillemets !), il suffit de lui juxtaposer l’augmentation du SMIC, quelques jours plus tard : au 1er octobre, il sera augmenté de 35 € bruts par mois, soit 27 € nets… Quand on consulte la page service-public.fr, on peut lire ceci : « Le Smic augmentera d'environ 35 € brut par mois au 1er octobre 2021 en raison d'une hausse de l'inflation. L'indice des prix à la consommation des ménages (hors tabac) a augmenté de 2,2 % en août 2021 par rapport à novembre 2020, selon les chiffres publiés le 15 septembre 2021 par l'Insee. Le Code du travail prévoit une revalorisation automatique du Smic en cours d'année lorsque l'indice des prix à la consommation connaît une augmentation de plus de 2 % par rapport à l'indice pris en compte lors de l'établissement du dernier montant du Smic. Il est alors augmenté automatiquement dans les mêmes proportions ».
On résume ? L’inflation est telle entre 2020 et 2021 que l’augmentation automatique du SMIC en cours d’année (qui s’ajoute à celle rituelle du 1er janvier) est déclenchée. Cela correspond à peu près à ce que JM Blanquer vante comme une « revalorisation historique » du salaire des professeurs, à laquelle 42% des profs n’auront même pas droit et qui consiste juste, au final, à une compensation de l'inflation.
En 1980, un prof débutait avec un salaire égal à 2,3 fois le SMIC. En 2021, c’est 1,2 fois le SMIC.
Hidalgo balance un pavé dans la mare
Quelques heures à peine après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, Anne Hidalgo annonce sur France Inter qu’elle compte doubler le salaire des profs, ce qui leur permettrait de rejoindre les profs allemands. Le coup est préparé de longue date puisque dans son livre qui parait deux jours plus tard, « Une femme française », on peut lire qu’il est « possible, sur la durée d'un quinquennat, de multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves. Et, pour commencer, d'aligner a minima le salaire des nouveaux professeurs sur le salaire médian des titulaires d'un bac +5 ».
Politiquement et médiatiquement, c’est très bien joué : la déflagration est telle qu’on va parler de ça durant plusieurs jours, Hidalgo a pris la main et fait une entrée fracassante dans la campagne qui a trouvé son premier sujet. L’objectif est clair : ramener le corps enseignant dans le giron de la gauche PS, après que 2017 l’a vu s’éparpiller façon puzzle (38% pour Macron, 23% pour Mélenchon, 11% pour Fillon et seulement 15% pour Hamon, contre 40% pour Hollande en 2012).
Les profs ne sont pas dupes, voient parfaitement la manip’ électorale, se disent comme d’autres que ça va faire beaucoup d’argent, mais bon ça fait toujours du bien de se sentir dragouillé et surtout, d’entendre qu’on ne gagne vraiment pas assez et de voir les cacahouètes blanqueriennes ramenées de facto à ce qu’elles sont.
Blanquer contre-attaque
Côté Blanquer, justement, on fulmine ! Pensez donc, quelques jours plus tôt est sorti le livre du ministre, « École ouverte », sensé occuper toute la place durant cette rentrée éducative et établir à quel point notre bon ministre-au-bilan-formidable a sauvé l’école française durant la pandémie... Tout ça pour se faire voler l’agenda par la parisienne ! Sans compter qu’elle fait voler en éclat des mois de com’ blanquerienne destinée à faire croire aux français que les profs sont grassement revalorisés (avec les profs ça marche moins bien, hein, c’est qu’ils ont leur fiche de paie chaque mois sous les yeux). Si c’est pas à se fouetter avec le dernier numéro de VSD, ça !
Du coup, réplique immédiate, JMB monte au créneau dans le Parisien : « On est au sommet de la démagogie ! (...) Cette mesure que propose Anne Hidalgo aurait un coût cumulé de 150 milliards à la fin du quinquennat ». Le ministre vante son action, assure que le salaire des professeurs « aura bien plus augmenté entre 2017 et 2022 qu’entre 2012 et 2017, quand il y avait un gouvernement que soutenait madame Hidalgo », avant de conclure : « L’élection présidentielle ne peut pas être une Foire du Trône de la démagogie ».
La réponse d’Hidalgo ne se fait pas attendre : « On maltraite les gens chargés de ces missions essentielles, et on dit que c'est de la démagogie ? Ce que je trouve démagogique, c'est de vouloir faire croire qu'on s'intéresse à eux, qu'ils sont très importants », tout « en les rémunérant d'une façon aussi faible ».
Derrière Hidalgo, le PS est réactif. On peut lire sur son site, sous la plume de Yannick Trigance, spécialiste des questions d’éducation, « Monsieur Blanquer, un peu d’honnêteté ! » : « La réalité des faits ramène les propos de M. Blanquer à ce qu’ils sont : des contre-vérités ! ». Trigance rappelle la création de l’ISAE dans le primaire, le dégel du point d’indice de 1,2%, puis les accords PPCR, qui « concernaient l’ensemble des enseignants et permettaient d’aller plus loin en revalorisant très sensiblement le salaire moyen des professeurs, au-delà de la moyenne OCDE (…). Le PPCR engageait l’exécutif jusqu’en 2020. La réalité enfin c’est que cette programmation mise en place jusqu’en 2017 sous l’action de Najat Vallaud-Belkacem, monsieur Blanquer ne l’a pas poursuivie ».
Hidalgo a bel et bien imposé un débat que Blanquer pensait avoir verrouillé pour de bon.
L’OCDE en remet une couche
Alors que le clan Blanquer cherche à reprendre la main, l’OCDE publie le 16 septembre ses Regards sur l’éducation 2021, une note qui vient gifler l’autre joue : comme le résume le Café Pédagogique, « sur 33 systèmes éducatifs étudiés par l'OCDE, la France est au 22ème rang pour le coût salarial de ses enseignants. Aucun grand pays développé ne dépense aussi peu pour ses enseignants (…) Tous les grands pays développés sont devant eux mais aussi la Slovénie, la Grèce et la Lituanie par exemple ».
Les chiffres annoncés sont sans équivoque : les profs français touchent moins que la moyenne de l’OCDE, et bien moins que les profs des pays équivalents. A titre d’exemple, le salaire annuel d’un prof de primaire français est de 36 513 $ au bout de 15 ans, contre 48 025 $ dans l’OCDE et 49 898 $ en Espagne, 53 528 $ en Angleterre et 80 407 $ en Allemagne.
Si on considère le cout salarial d’un prof par élève, l’écart est encore plus édifiant. En France, le cout d’un prof des écoles est de 2092 $ par élève, contre 3680 $ en moyenne dans l’OCDE, 3881 $ en Espagne et 5097 $ en Allemagne. Un prof de collège français coute 2843 $ par élève, contre 3680 $ en moyenne dans l’OCDE, 5209 $ en Espagne et 6514 $ en Allemagne.
Enfin, si on considère l’évolution entre 2010 et 2020, là aussi la France se distingue piteusement : "Entre 2010 et 2020, les salaires statutaires des enseignants ayant 15 ans d'expérience et les qualifications les plus répandues (professeur des écoles ou enseignants certifiés pour la France) ont augmenté entre 6 % et 7 % dans l’élémentaire et les deux cycles du secondaire général, en moyenne dans les pays de l'OCDE. En France, les salaires statutaires des enseignants à ces niveaux ont stagné ou augmenté de 1%".
Ce qui est intéressant, c’est que tous les grands médias (c’est loin de toujours être le cas) de Libération au Parisien, du Huffington Post à France Info, du Point à 20 minutes, de LCI à BFMTV reprennent l’information, qui semble prolonger les propos tenus par Hidalgo quatre jours plus tôt. On aurait donné cher pour voir la tête de JM Blanquer, lui qui déteste tant la contradiction et qui se trouve renvoyé dans les cordes deux fois en une semaine sur un sujet sur lequel il ne ménage pas sa peine pour communiquer...
Gabriel Attal, à côté de la plaque (?)
Trois jours plus tard, dimanche 19 septembre, Gabriel Attal, ci-devant porte-parole du gouvernement (reviens Sybeth, on s’ennuie sans toi !) et soutien obligé de JMB, croit bon de rappeler sur BFMTV qu’ « à la fin du quinquennat, il n’y aura pas un professeur qui gagnera moins de 2000 euros nets par mois ».
Allons bon, on nous aurait caché cette magnifique nouvelle ?! Les profs s’étranglent, rient jaune, ou de bon cœur (on n’est plus à ça près !), écarquillent les yeux, bref, on attend surtout une rectification qui viendra le lendemain sur Twitter :
Bon. Sauf que le démenti sur Twitter, c’est 400 retweets et 1000 favoris d’un public plutôt pointu (encore que, pour suivre Gabriel Attal…) et que BFMTV, ce sont des centaines de milliers, voire 1 ou 2 millions de téléspectateurs grand public. De deux choses l’une. Soit Gabriel Attal est un petit malin et sa manœuvre a juste servi à balancer de faux chiffres que le grand public aura gobé sans ciller, avant de démentir pour une poignée de suiveurs. Soit Gabriel Attal n’est pas si malin et ne maitrise pas ses dossiers (ce n’est pas le premier, Sybeth reviens !). Le résultat, en fin de compte, est le même.
Mélenchon embêté, Pécresse héritière
Forcément tout candidat déclaré à la Présidentielle, s’il ne pense lui-même à s’exprimer, est interrogé sur le sujet. Mélenchon semble gêné aux entournures et tweete d’abord laconiquement : « Ça fait plus de 60 milliards par an ! Hum. Moi, je préfère satisfaire les demandes des syndicats enseignants. Et mettre le paquet sur les créations de postes ». Quelques heures plus tard, alors qu’il lui est reproché de balayer un peu vite la question de la revalorisation, JLM précise que son programme « prévoit le rattrapage du gel de point d’indice et l’augmentation des salaires des profs », avant d’ajouter sur RMC le lendemain qu’il prévoit 17 milliards en dégel du point d’indice puis en augmentation de salaire, soit environ 30% d’augmentation au total. C’est qu’il n’est pas question de perdre le quart de profs ayant voté pour lui en 2017 !
Quant à Valérie Pécresse, candidate à la primaire à droite, elle semble un peu gênée quand on aborde le sujet, sur Public Sénat. Le projet d’Hidalgo lui « parait excessif, c’est tout à fait inatteignable. En revanche, je pense qu’il y a un donnant-donnant à faire avec les enseignants, un peu plus d’heures contre un peu plus de salaire ». Travailler un peu plus pour gagner un peu plus, du Sarko light en quelques sortes, qui ignore combien les profs travaillent déjà, et combien ils ne gagnent pas assez pour cela. Fillon avait fait 11% au premier tour chez les profs, Valérie, attention…
Dites, les collègues, vous ne vous sentez pas instrumentalisés, en fin de compte ?...
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