Peillon va s’attaquer au statut des enseignants

REUTERS/Gonzalo Fuentes

Depuis huit jours, un nouveau sujet a fait son apparition dans le discours de Vincent Peillon. A chaque fois lié à la brûlante question de la revalorisation salariale, il s’agit du dossier, tabou s’il en est, du statut des enseignants. Radio, télé, presse écrite, Peillon affûte sa communication pour ce qui sera à n’en pas douter un chantier explosif, dès 2013.

Mardi 10 décembre, sur BFMTV / RMC

Ce jour, Peillon se mue en grand recruteur de l’Education nationale et nous fait l’article, vantant les mérites d’une profession dont « la revalorisation morale a été faite » et agitant un sondage commandé par ses services attestant de l’image très positive du métier auprès du grand public. Sur BFMTV / RMC, un peu poussé par le coriace Jean-Jacques Bourdin sur la question des salaires, le ministre lâche qu’il est « prêt à discuter en janvier d’une revalorisation des salaires des profs ». Il ajoute : « Je suis prêt à ouvrir la grande négociation qui n’a jamais eu lieu (…) sur les contenus, les carrières, le temps de travail et la question d’une revalorisation ».

La grande majorité des médias titrera sur ça : « Peillon prêt à parler d’une revalorisation du salaire des profs ». Mais sur les réseaux sociaux, on a bien remarqué que la question de la revalorisation arrive tout à la fin d’une phrase où sont d’abord évoqués les contenus, les carrières, le temps de travail. D’ailleurs, le ministre précise très vite à l’AFP, dans une note qui fera beaucoup moins de bruit, qu’« il n’y aura pas de discussions salariales » à proprement parler, et que « la conséquence d’une discussion sur le métier est évidemment une question salariale, mais c’est d’abord une discussion sur le métier ».

Jeudi 13 décembre, sur France Inter

Pour le lancement du grand plan pour le numérique à l’école, Peillon est l’invité de la matinale de France Inter, "radio prof". Le ministre se voit, là encore, poser la question d’une éventuelle revalorisation salariale. Sa réponse est plus construite : « Je veux ouvrir une discussion. J’ai d’ailleurs commencé de le faire avec les professeurs des écoles, sur le métier d’enseignant. Aujourd’hui le métier a changé. (…) Il faut en parler pour les services des enseignants. Si vous prenez le modèle allemand, les professeurs sont payés 20% de plus qu’en France, mais ils ont 25 heures de cours, et les chefs d’établissement doivent enseigner, et les professeurs sont bivalents.

- Donc il n’y aura pas de discussion salariale à proprement parler ? », insiste Patrick Cohen.

- Il y aura une discussion qui peut prendre un an, deux ans, trois ans, sur le métier d’enseignant. Il peut y avoir des conséquences salariales, d’un changement des obligations de service, mais d’abord il faut penser comment on exerce ce métier au mieux et comment on fait réussir nos enfants ».

En fin d’interview, Peillon en remet une couche : « La revalorisation a lieu sur des objectifs pédagogiques. Si les professeurs veulent, avec moi, parler du métier, changer le métier, eh bien nous ouvrirons cette grande discussion ».

Marie-Caroline Missir, qui a entendu comme nous que le ministre a remis le couvert, est une des rares à relever « un changement de pied inattendu dans la conduite des politiques éducatives » sous Peillon. La journaliste salue le courage du ministre, qui s’attaque à « une réforme maintes fois enterrée ».

Dimanche 16 décembre, sur Canal +

Invité de l’émission politique dominicale de la chaîne cryptée, le ministre commente l’actualité (Depardieu, Florange…) et défend la politique du gouvernement. Anne-Sophie Lapix aborde, à nouveau, la question des salaires. Peillon louvoie, Lapix insiste, pose la question du statut, Peillon confirme : « Je suis prêt à entrer dans une discussion sur l’évolution du métier car en réalité il a déjà changé ». Le ministre ajoute un peu plus loin que les enseignants « ne demandent pas tant une augmentation, de l’argent, contrairement à ce que j’entends, mais d’avoir des obligations de service différentes, peut-être moins d’heures de cours, plus de temps pour se concerter… ». Lapix, pugnace : « Ce ne sera pas plus d’heures de cours pour un salaire supérieur, comme le proposait Nicolas Sarkozy ?». Peillon répond que Sarkozy pensait lui que les profs ne travaillaient pas assez (mais lui-même, quand il évoque le modèle allemand ?…). Un peu déboussolé, il lâche un peu plus loin des mots moins policés : « Quand les esprits auront bougé, quand les enseignants voudront avancer, il peut y avoir des conséquences salariales ». Sortis du contexte, des propos qui pourraient faire grincer.

Mardi 18 décembre, dans Libération

Invité par le journal Libération à faire le SAV de sa loi d’orientation présentée et adoptée les doigts dans le nez par le Conseil supérieur de l’éducation, et accessoirement à faire la une du quotidien, Peillon sert son discours habituel, huilé, rodé. Interrogé une fois de plus sur la question épineuse de la revalorisation, le ministre fait la réponse suivante : « Je suis totalement prêt à entrer dans une discussion avec les syndicats sur l’ensemble du métier. Si, en changeant le temps et les méthodes de travail, on répond à l’intérêt des élèves, alors on peut envisager des conséquences salariales ». Ça y est, les éléments de langage sont bien en place : une revalorisation salariale sera la conséquence d’une évolution du temps de service et de la manière de travailler, dans l’intérêt des élèves, a ajouté Peillon.

Eclaircissements

En une semaine, le ministre a rodé son discours. Il a fait la tournée des grands médias de gauche (France Inter, Canal, Libération, manquait juste une interview à Télérama..), ce qui est toujours le signe qu’il souhaite s’adresser aux enseignants. Globalement habile (sauf chez Lapix), le ministre n’aborde pas encore la question trop frontalement, mais installe tranquillement son idée forte : qu’on lui parle salaire et il répondra statut, ce sera donnant-donnant.

Pour tout dire, on a hâte que soit abordée cette question du statut des enseignants (dont on a vu il y a peu encore qu’il est aussi au cœur des débats sur les vacances) et que le débat ait vraiment lieu. Ce sera l’occasion d’éclaircir un paradoxe dans la communication du ministre : la question de la revalorisation est surtout portée par les instits, dont plusieurs études ont pointé ces derniers temps l’écart de salaire avec les profs de secondaire. Or, quand il aborde la question du statut, se référant par exemple au modèle allemand, c’est aux profs du secondaire que le ministre s’adresse, les invitant tacitement à travailler plus et autrement pour gagner plus.

Quid des instits ? Si les profs de secondaire sont parmi ceux qui ont le moins d’heures de cours de l’Europe occidentale, les professeurs des écoles sont eux parmi ceux qui en ont le plus. Ils vont en outre devoir venir une journée supplémentaire à l’école dès 2013. Dans la logique peillonnienne du donnant-donnant, on se demande bien ce que les instits pourraient donner de plus… Seule piste évoquée par le ministre les concernant : une compensation financière aux frais engagés par les instits à l’occasion du retour du mercredi matin (compensation qui ressemble fort à une petite prime, pas à une revalorisation). Rien sur le statut des profs des écoles dans les propos du ministre. Pour l’instant.

 

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