Alors que l’épidémie de covid-19 explose dans le pays, l’école n’est pas épargnée et prend l’eau de toute part : les contaminations d’enfants et d’enseignants montent en flèche, les classes et les écoles ferment par paquets. Au sommet, le ministre Blanquer reste droit dans ses bottes : son navire est insubmersible, puisqu’il le dit. Dans la réalité, la fermeture des écoles est devenue inéluctable.
Parce que l’école est au bord de l’explosion
Il y a les chiffres, tout d’abord. Prenons ceux du ministère. Ils montrent une augmentation très forte des cas de contamination à l’école et des fermetures de classes.
La semaine du 12 mars, l’Education nationale annonçait 9 221 élèves contaminés ; la semaine du 19 mars, 15 484 élèves contaminés ; cette semaine, ce sont 21 183 élèves. Le nombre d’élèves contaminés a plus que doublé en 15 jours. Même chose du côté du personnel : La semaine du 12 mars, on comptait 1 106 personnes contaminées, le 19 mars on comptait 1 809, le 26 mars 2 515.
Comme on a suffisamment dit et répété que les chiffres du ministère sont trompeurs (voir ici), on file consulter ceux de Santé Publique France : la semaine dernière, SPF dénombrait 34 300 enfants et adolescents positifs, contre 15 484 cas à l’EN ; pour la seule journée du 22 mars, SPF annonce 11 099 contaminations chez les 0-19 ans, plus de la moitié de ce que l’EN annonce pour la semaine entière…
Quant au taux d’incidence, qui indique le nombre d’individus positifs sur 100 000, SPF a publié ses données au 24 mars : alors que le taux était ce jour-là de 313 pour l’ensemble de la population, il était supérieur chez les 11-17 ans (350 pour les 11-14 ans et 431 pour les 15-17), légèrement inférieur pour les 6-10 ans (283), mais en hausse pour toutes les tranches d’âge, le seuil d’alerte étant de 250. « Cette augmentation du nombre de cas chez les 0-18 ans, représentant 18% des cas identifiés, en semaine 11, est préoccupante, en particulier en raison du risque de contamination intrafamiliale secondaire », s’inquiète SPF.
D’aucuns rétorquent que ces chiffres sont dus aux tests salivaires péniblement mis en place depuis une quinzaine de jours (« si on cherche, c’est normal de trouver »), cela joue sans doute mais la réalité est plus prosaïque : les cas explosent à l’école parce qu’ils explosent dans le pays, l’école n’est pas le sanctuaire vendu par le ministère, et surtout pas en ce moment.
La plupart des scientifiques s’accordent sur le sujet : « Quand le virus circule activement dans la population, il circule aussi dans les écoles » (Dominique Costaglia, épidémiologiste et directrice à l’institut Pierre-Louis d’épidémiologie). « Le rôle des écoles dans la propagation du virus est important. Il suffit de regarder les données françaises pour s’en rendre compte (…). Une partie importante de ces contagions sont liées aux écoles. Les enfants se contaminent entre eux et contaminent ensuite leurs familles ». (Antoine Flahaut, directeur de l’Institut de santé globale). Exactement l’inverse de ce que disait encore JM Blanquer il y a quelques jours.
Même au Conseil scientifique, on est sur cette longueur d’onde : l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, reconnait que « l’école n’est pas l’amplificateur mais le reflet de la circulation du virus dans la communauté » et que garder les écoles ouvertes « dans une situation où le virus circule fortement revient à prendre un risque ».
Conséquence de cette explosion des contaminations : les classes ferment à la pelle. Le 5 mars, on comptait 430 classes fermées sur le territoire. Le 19 mars, 2 018 classes fermées. Hier vendredi 26 mars, on comptait 3 256 classes. En trois semaines, le nombre de classes fermées a été multiplié par 7,5.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages de contaminations, de classes et d’écoles fermées sont en forte augmentation depuis une quinzaine de jours, tous disent la réalité d’une situation qui semble s’envenimer chaque jour. On ne compte plus les articles relatant les difficultés de l’école face au covid-19 : en primaire, une classe qui ferme à cause d’une contamination de l’enseignant, vu la pénurie de remplaçants (forcément, à force de faire des économies budgétaires sur ces postes) cela signifie que les autres classes accueillent les élèves qui ne peuvent rester chez eux, dans un brassage et une surpopulation que le protocole veut précisément limiter. Un brassage et une surpopulation que l’institution entretient parfois, comme dans l’Académie de Toulouse, où le DASEN demande d’éviter d’écrire « aux familles que les classes sont fermées car les enseignants ne sont pas remplacés ».
Dans le secondaire, alors que des surveillants se retrouvent à faire classe aux élèves, qu’un collège et un lycée du Val-de-Marne n’accueillent plus d’élèves en raison de cas positifs mais restent officiellement ouverts, qu’un autre collège de Gironde compte 53 cas et que c’est au maire de demander la fermeture, que 20 parents d'élèves sont décédés du Covid-19 dans ce lycée, des professeurs subissent des pressions pour ne pas contacter l’ARS qui pourrait les identifier comme cas contact (et donc entrainer des fermetures), dans une version covid du #pasdevague.
Un peu partout en France, l’école craque.
Parce que ce qui aurait pu être fait ne l’a pas été
Depuis des semaines, des mois, scientifiques et enseignants (soyons clairs : la plupart des profs ne veut pas que les écoles ferment !) clament à qui veut l’entendre que le protocole sanitaire à l’école est insuffisant, que le virus y circule comme partout ailleurs, réclament le passage aux demis-groupes prévu par le protocole sanitaire publié par le ministère en septembre, la mise en place massive de capteurs de CO2 et de purificateurs d’air (dans lesquels l’Allemagne et le Luxembourg ont lourdement investi), prônent des tests généralisés et particulièrement ciblés sur les clusters, attirent l’attention sur les cantines scolaires. Rien n’a été fait, le ministre repoussant d’un revers de la main chaque demande, pour la seule et unique raison que le virus circulerait peu à l’école et que tout y est sous contrôle.
Pour Antoine Flahaut, le manque de mesures prises pour les écoles est « un trou dans la raquette indéniable ». Si le débat se polarise en France sur la question de fermer ou pas les écoles, c’est « en grande partie parce qu’on a voulu nier le rôle des écoles dans l’épidémie ».
Dominique Costaglia ne comprend pas l’inaction du gouvernement : « Le gouvernement a renforcé le protocole pour les cantines en milieu professionnel, mais pas en milieu scolaire. En quoi les cantines scolaires seraient moins risquées que les cantines professionnelles ? ». Pour la scientifique, il est dans l'absolu important de maintenir les écoles ouvertes, mais « il faut alors s’en donner les moyens. Il y a des mesures contre l’aérosolisation par exemple, qui n’ont pas été prises parce qu’on a nié les contaminations en milieu scolaire. On aurait pu installer des capteurs à CO2 et de la ventilation, mais cela coûte de l’argent. De même, il aurait fallu être capable de tester largement dès qu’un cas était découvert pour intervenir sur les foyers de contamination. On ne l’a pas fait ».
Autre raté majeur du ministère : la campagne de tests salivaires, qui devait tout changer. Mais d’une part elle a démarré très lentement, contrairement aux propos trompeurs du ministre (voir ci-dessous), d’autre part le ministère s’est trompé de politique, en testant au hasard sur des écoles-test, sans cibler le sondage. Or seule une politique de tests ciblés a du sens car « cette épidémie est une cluster-émie, elle se répand par les foyers épidémiologiques », ainsi que l’explique Yvon Le Flohic, ancien membre de la cellule de veille épidémiologique du H1N1.
Pour l’épidémiologiste et biostatisticienne Catherine Hill, le dépistage des écoliers tel qu’il est pratiqué par le ministère « ne sert absolument à rien (…), ce truc est totalement inutile, c’est un gaspillage d’argent », c’est « une opération de communication dont le seul objectif est de dire qu'on fait quelque chose pour laisser les écoles ouvertes qui est un parti pris du gouvernement à un moment où le virus circule de plus en plus (…). La situation est critique et on est en train de camper sur une position qui est parfaitement dangereuse en faisant de la poudre aux yeux et des examens qui ne servent à rien ».
A cause de ce qui n’a pas été fait plus tôt, le constat est clair pour Dominique Costaglia : « Maintenant, on est dans le mur. On ne va pas tenir longtemps ainsi, il faut donc freiner par tous les moyens possibles et donc fermer les écoles ». Une mesure qui, d’après une étude suisse « diminue le brassage des populations d’environ 20%. C’est la même chose que si l’on ferme les bars et les restaurants » (Alain Ducardonnet sur BFM, le 24/03/21).
Parce que la communication ministérielle à bout de souffle
Tel le capitaine du Titanic croisant, la veille de la catastrophe, des navires l’informant de la présence de nombreux icebergs, JM Blanquer a fait la sourde oreille, suivant une trajectoire dont il n’entend pas dévier d’un pouce. Son credo est simple : tout va bien à l’école grâce à un protocole parfaitement adapté (« un des plus respectés d’Europe », sic), pas question de fermer les écoles, puisque le virus y circule peu c’est encore là que les enfants sont le plus en sécurité. Depuis le mois de septembre, à tous les chiffres, à tous les avis scientifiques, à toutes les remontées du terrain, à la logique épidémique même, JM Blanquer oppose sa propre logique, inflexible, quitte à manipuler les chiffres, comme on l’a déjà montré, quitte à tordre la réalité jusqu’à ce qu’elle corresponde à ce qu’il entend. Cette semaine, on pouvait lire, incrédule, ce slogan sur le compte Twitter du ministère : "Aller à l'école, c'est rester en bonne santé".
Le problème, c’est qu’à force la ligne officielle se fissure, et que le ministre lui-même ne sait plus de quoi il parle. Ses interventions sur BFMTV et LCI les 19 et 20 mars sur les tests salivaires n’ont fait que brouiller davantage son discours, le ministre confondant taux d’incidence et taux de positivité, donnant des chiffres différents à deux jours d’intervalle, les comparant avec une étude britannique dont il gonfle les chiffres, puis avec des chiffres nationaux dont Le Monde dira : « l’entourage de M. Blanquer n’a pas été en mesure de nous dire à quelles publications il pouvait bien faire référence ».
Ce même jour sur RMC, il assure que 94% des profs absents en ce moment sont remplacés, afin de minimiser la cacophonie vécue sur le terrain. Un chiffre faux, que son propre ministère infirmera à Libération, « il s’agit en réalité d’une moyenne approximative » de JMB.
Les tests salivaires ont aussi été une énième occasion de mensonges sur les chiffres, qui ont horripilé jusqu’à son propre camp (voir ci-dessous), JMB annonçant fièrement 300 000 tests hebdomadaire sur LCI, alors que seuls 150 000 avaient été faits, trois semaines après le début de la campagne.
Ulcéré par les critiques répétées des scientifiques, et notamment par les propos de Arnaud Fontanet (le membre du Conseil scientifique a eu cette phrase lourde de sens : « l’école est le talon d’Achille du dispositif actuel »), JMB regrette sur LCI le 22 mars que « des scientifiques s’expriment de manière anarchique, disant parfois des choses différentes les unes des autres ». La sortie a choqué le monde scientifique, stupéfait d’entendre le ministre de l’EN expliquer ce qu’est un bon ou un mauvais scientifique, comme d’autres avant lui la différence entre le bon chasseur et le mauvais chasseur. Le collectif Côté Sciences a répondu en proposant à JMB d’en discuter ensemble afin d’identifier les « communications scientifiques anarchiques. Avec le Conseil scientifique et l’Institut Pasteur nous n’avons que peu de divergences ».
Mais les propos qui ont sans doute le plus choqué concernent les parents d’élèves. Après avoir réaffirmé « de manière forte qu’il y a beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients à ce que les enfants aillent à l’école », le ministre, interrogé par LCI sur les propos d’Arnaud Fontanet déclarant qu’ « avoir un collégien ou un lycéen chez soi accroit de 30% le risque d’être infecté » (étude Comcor de l’Institut Pasteur parue début mars), a lâché : « Assumer ce risque de +30% quand on est parent d’un collégien ou d’un lycéen me parait peu de chose à côté de l’importance qu’un enfant ne se déscolarise pas ».
Ce « peu de choses » a suscité le tollé, choquant particulièrement les parents vulnérables au virus mais aussi la PEEP, fédération de parents pourtant proche du ministère.
Devant les députés le lendemain, le ministre utilisera de nouveau le terme de « déscolarisation » (ça fait plus dramatique que « enseignement à distance ») pour dire qu’il s’agit « une catastrophe absolue, aux conséquences aussi graves que le covid-19 en tant que tel ».
A tenir une ligne devenue intenable, le ministre multiplie les sorties de route.
Fermera, fermera pas ?
Les déclarations de JM Blanquer horripilent jusqu’à son propre camp. Le Canard Enchainé relatait cette semaine cette scène : lors d’une réunion des ministres en visio lundi, lorsque Jean Castex a demandé à JM Blanquer le nombre de tests salivaires faits dans les écoles, celui-ci a répondu 150 000, la moitié de ce qu’il avait annoncé la veille sur LCI. A Matignon le lendemain lors d’un petit déjeuner des dirigeants de la majorité, Stanislas Guerini, délégué général de LREM, fulminait : « Blanquer a menti sur le nombre de tests salivaires. Ce n’est pas normal ». Qu’on retrouve cette anecdote dans le Canard est le signe que d’autres sont agacés en haut-lieu…
« Jean-Michel Blanquer est dans le déni de ce qui se passe dans les écoles », estime une source gouvernementale auprès de l’AFP, « le message lui a été passé d’être plus précis dans les chiffres et d’évoquer la réalité de ce qu’il se passe dans les écoles plutôt que d’essayer de faire croire l’inverse ».
Comme pour montrer que le ministre Blanquer n’est plus en odeur de sainteté, mardi 23 mars, le président Macron déclare que les enseignants feraient partie des professions ciblées par les nouvelles campagnes de vaccination, à partir la mi-avril, reconnaissant ainsi implicitement l’exposition des enseignants au virus, en totale contradiction avec le discours de JM Blanquer tenu le jour même devant les députés : « les professeurs font partie des catégories les moins contaminées ».
Il semblerait, en dépit de la ligne tenue par JMB, que l’Elysée songe de plus en plus à fermer les écoles. On apprend avec Europe 1 que « pour l'instant, l'exécutif reste les yeux rivés sur les secteurs les plus inquiétants, dont les hôpitaux et les établissements scolaires. "Pour début avril, les projections ne sont pas bonnes", nous confie un conseiller. En haut lieu, on évoque discrètement l'obligation de fermer les écoles, ce qui pourrait être un premier désaveu à la stratégie du "freiner sans enfermer" prônée par le Premier ministre Jean Castex ».
Même son de cloche pour Le Parisien, à qui un conseiller de l’exécutif déclare que « mercredi prochain, à la télévision, Emmanuel Macron pourrait annoncer la fermeture des écoles, entrainant le basculement massif des français dans le télétravail. Tout dépendra en réalité des résultats du début de semaine ».
Cette semaine, certains IEN se renseignaient discrètement auprès des directrices et directeurs qui avaient, lors du premier confinement, accueilli les enfants de soignants, afin de savoir s’ils étaient partants pour renouveler l’opération, en cas de fermeture des écoles…
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