Quelques enseignements du confinement à l’usage de ceux qui dirigent l’école

@Pascal Guyot / AFP

Autant le dire tout de suite aux collègues qui n’ont pas encore découvert les vacances confinées, qui concernent une partie des écoliers depuis une semaine : c’est aussi nul que l’école à distance, sauf qu’on s’emmerde vraiment et beaucoup. Du coup, on se remet vite au travail, ça occupe, et il y a tout de même des élèves à suivre, et aussi une fin d’année inédite à imaginer.

On ne sait pas encore comment on sortira de cette histoire, quel en sera l’impact, quelles leçons en tirer pour le futur, pour l’école comme pour le reste, mais on entrevoit quand même deux ou trois choses que l’on serait avisé, rue de Grenelle, de garder à l’esprit après que les masques auront été remisés et que la farine aura fait son retour dans les rayons.

L’école, ce cluster géant

On ne sait pas si le confinement est venu trop tard (c’est possible), ce qu’on sait c’est que les écoles auraient pu dû être fermées plus tôt. Une semaine, sans doute.

On ne comprend toujours pas l’entêtement du ministre à vouloir les maintenir ouvertes coute que coute, cette semaine du 9 mars où le bateau sanitaire prenait l’eau de toute part, déjà. Il aura fallu que l’ordre vienne d’en haut pour que JM Blanquer se résolve à annoncer leur fermeture quelques heures à peine après avoir affirmé qu’il n’y aurait « pas de fermeture généralisée des écoles en France comme on a pu le voir dans d’autres pays d’Europe ».

Fermer les écoles était une évidence, pour qui a déjà vécu la trainée de poudre que génèrent de simples virus comme les gastroentérites ou les rhinovirus, dans une classe. C’est qu’une fois dans l’école, le virus s’éclate comme un fou, il court avec les élèves dans la cour, circule entre les rangs, deux par deux main dans la main, il écoute les conversations, partage les secrets, passe de l’un à l’autre au gré des embrassades, des câlins, des cheveux touchés ; les enfants, c’est hyper tactile, ça se parle à 10 cm maximum et en temps normal ça se lave les mains très irrégulièrement – et même alertés, ça préfère se refiler du gel hydro-alcoolique par louches.

La situation était d’autant plus sournoise cette fois-ci que les enfants, on l’a très vite appris, sont la plupart du temps porteurs sains, asymptomatiques : en bonne santé tous ensemble dans l’école, ils se refilaient le virus qui allait ensuite contaminer les parents, grands-parents (éventuellement les enseignants au passage). Faudra-t-il, une prochaine fois, que les enfants déclenchent massivement des symptômes pour que les pouvoirs publics agissent ?

Ceci n’est pas l’école (et les parents ne sont pas enseignants)

Malgré ce que le ministère s’évertue à faire croire, la "continuité pédagogique" est au pire un leurre, au mieux un horizon : plus on avance, plus il recule. Faire croire au pays entier ("nation apprenante") que l’école à la maison, au fond, ne diffère pas beaucoup de l’école en classe est une aberration lourde de sous-entendus : non, ce que nous faisons aujourd’hui n’est pas l’école, ni même l’école à distance, ni l’école à la maison. D’une part, les parents ne sont pas enseignants, et d’autre part ce que propose l’école n’a pas d’équivalent.

D’après un sondage de la première fédération de parents d’élèves (FCPE) mené dans les Pyrénées orientales, seulement la moitié des parents d’écoliers peuvent suivre sans difficulté le travail de leur enfant (40% des collégiens, 30% des lycéens), et 12 % des élèves ont décroché, soit 3 élèves par classe en moyenne.

Enseigner est un métier qui ne se sous-traite pas, les parents ne sont pas enseignants, au mieux ils sont présents, patients, certains sont pertinents, voire pédagogues (comme on dit de quelqu’un qu’il fait preuve de psychologie), et par ailleurs ils ont souvent un travail à mener aussi.

Le fantasme de la continuité pédagogique tend à effacer la réalité : l’école, essentiellement, ce sont des élèves avec un prof. Et plus ils sont petits, plus l’importance de ce lien direct est primordiale. Pour les élèves de maternelle, par exemple, pour lesquels la socialisation, le langage, la motricité, y compris fine, la créativité, l’expérimentation en groupe, sont au cœur des apprentissages.

Répétons ici ce que beaucoup disent, sur le terrain : tous âges confondus, les plus lésés sont les élèves fragiles. Pas seulement ceux qui n’ont pas internet ou d’ordi, comme on le résume un peu trop facilement (c’est plus pratique d’en faire une question matérielle, il est vrai), mais ceux qui ont besoin de l’enseignant à leur côté. Elle est là, la faille, la béance : dans cette absence de relation qui seule permet de maintenir, au quotidien, les plus fragiles sur le chemin. On a beau, de chez nous, différencier, donner de l’aide, des indices, renvoyer à des capsules vidéo, renseigner et guider par message, par mail, par téléphone, au final l’élève est seul devant son travail et les élèves ne savent pas tous être seuls face à la tache.

Oui, l’écart se creuse avec les plus faibles, parce qu’ils l’étaient déjà avant et parce que c’est pour eux que la classe est la plus bénéfique. Le ministre a beau lancer sa campagne "vacances apprenantes" (et hop, un slogan de plus) pour les plus fragiles et faire croire qu’ainsi ils ne décrocheront pas, cela relève plus de la méthode Coué qu’autre chose. L’individualisation, présentée par JM Blanquer comme la clé de la réussite pour ces élèves (c’en est un militant de longue date), n’a de sens que dans un groupe, on ne peut différencier que par rapport à ce qui est fait ensemble. La clé, c’est la classe et ses interactions, ce qui se joue pour tous et qui va jouer pour chacun, le repère c’est cet autre qui m’entraine et me hisse. Comme le dit très bien l’Inspecteur d’Académie Marc Bablet, « c’est la classe qui assure le meilleur milieu de la régulation des apprentissages tant on n’apprend pas tout seul, tant on a besoin d’une présence humaine et sociale pour apprendre ».

Sans l’école, sans la classe, sans le groupe, « chacun est renvoyé à sa condition de classe : il n’y a plus rien pour essayer de contrarier, de modifier les lois de la reproduction sociale » dit très justement Bernard Lahire.

Il ne s’agit pas ici de dire que ce serait mieux de faire classe, puisque cela n’est pas possible ; mais qu’au moins le ministre cesse d’une part de « confisquer le récit du confinement » en faisant croire à ce qui n’est pas et en surfant sur les slogans pondus par les publicitaires de son cabinet, d’autre part de profiter de la situation pour mettre en avant ses vieilles lunes comme l’individualisation alors même qu’on assiste en direct à leur invalidation pratique. Le terrain montre des choses, depuis des semaines, qui méritent d’être entendues.

L’école, c’est les profs (vive la liberté pédagogique !)

Il faut d’abord redire que tout ce que nous faisons, c’est avec nos moyens et sur nos deniers personnels. Si on devait, comme partout ailleurs, utiliser les outils mis à disposition par notre employeur pour poursuivre notre travail de chez nous, la nation apprenante aurait pris du plomb dans l’aile depuis belle lurette. C’est avec nos ordinateurs, nos portables, nos connexions internet, nos forfaits, nos imprimantes, notre encre, que nous travaillons, sans aucun défraiement, et il est illogique de penser une seule seconde que c’est normal.

Le ministre n’a pas dit un mot à ce sujet, trop occupé sans doute à assurer partout que tout était prêt pour mettre en œuvre la "continuité pédagogique". Sauf qu’on s’est vite aperçu que les outils mis avant par l’institution étaient inutilisables ou presque, et puisque aucune consigne ou directive ne nous parvenaient, il a bien fallu qu’on se débrouille pour inventer et créer, concevoir et réaliser du travail adapté à nos élèves et à la situation. Nous n’avons fait que notre boulot, au fond, celui qu’on fait toute l’année mais qui ne se voit pas habituellement, en imaginant des solutions, en allant chercher les idées où elles étaient, fort de notre professionnalisme et de notre expertise. Mais parce que, soudain, nos propositions pédagogiques étaient visibles au grand jour, par des millions de parents, un mouvement de reconnaissance un peu inattendu est né, et on ne compte plus les remerciements et les commentaires admiratifs.

Cela fait du bien d’être reconnu dans ce qu’on fait par les parents, voire les observateurs, mais on aimerait bien aussi que cela soit également le cas rue de Grenelle. Certes, JM Blanquer a remercié les profs pour leur travail durant ce confinement, mais il doit maintenant comprendre ce que cette situation exceptionnelle a permis de montrer, indéniablement et aux yeux de tous : les enseignants n’ont pas besoin qu’on leur dise comment ils doivent faire leur travail, ils n’ont pas besoin de guides ultra-prescriptifs, de circulaires intrusives et injonctives. Qu’on les forme, de la meilleure manière possible, en écoutant leurs besoins notamment, qu’on les accompagne, qu’on les écoute, qu’on participe à la diffusion des bonnes pratiques, qu’on les mette en contact, qu’on établisse des liens entre eux et qu’on facilite la circulation des idées et des compétences, voilà entre autres sur quoi notre ministère de tutelle doit porter ses efforts. Non, la liberté pédagogique ce n’est pas l’anarchie, les enseignants viennent de le démontrer avec éclat.

JM Blanquer doit en prendre acte, lui qui se défie profondément des enseignants, qui exècre les blogs de partage de profs et leurs ressources, qui aimerait tant imposer une unique manière de faire, une seule façon de voir, et qui se voit opposer par la réalité de ce confinement un cinglant démenti : il a tort, sur toute la ligne, car le peu de continuité pédagogique qu’il y a dans ce pays, c’est aux enseignants seuls qu’on le doit.

La prochaine fois qu’on recevra un guide orange avec injonction de le suivre et ordre de fermer notre clapet, main sur la couture, on rappellera cet épisode confiné. Merci bien, on connait notre métier.

 

Nota : pour prolonger, on renvoie à cette tribune, sans doute ce qu'on a lu de plus aigu sur l'école depuis le début de la crise : "Ne laissons pas le pouvoir voler le récit de l’école au temps du confinement", par Marc Bablet, IA-IPR. On y lira notamment ceci : "Le plus souvent ce qui manque lors des sorties de crise c’est le détail du récit de la crise pour pouvoir y donner les bonnes réponses. Compte tenu des enjeux, il est essentiel que collectivement personnels, syndicats, personnes engagées et éclairées en matière éducative gardent la mémoire de ce qui se dit et se passe pour pouvoir, le moment venu, ressortir le réel vécu face aux récits mythiques que l’on prétendra nous imposer".

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