Pendant ce temps-là, le ministère fait des économies...

@ Alain Jocard / AFP

Il fallait vraiment suivre l’actualité de l’éducation de près pour tomber sur l’information : il y a quelques jours le Café pédagogique nous apprenait que le ministère avait annoncé coup sur coup des centaines de millions d'euros d'économies pour l’année 2020.

250 millions d’euros d’économies à l'Education nationale

Ce sont successivement 212 millions, 33 millions et 393 millions d’économies que le ministère a publiés au Journal officiel ces dernières semaines.

- le 22 janvier (J.O. n°0021 du 24 janvier 2021), le ministère signait l’arrêté officialisant le « report de crédits » d’un total de 212 501 312,60 € ; cet engagement de dépenses, annulé pour 2020 et ouvert pour 2021, provient intégralement du budget « soutien de la politique de l’éducation nationale ».

- le 26 janvier (J.O. n°0038 du 13 février 2021), le ministère signait l’arrêté officialisant le « report de crédits » d’un total de 33 642 385 € ; cet engagement de dépenses, annulé pour 2020 et ouvert pour 2021, provient notamment pour 9 620 708 € de « l’enseignement scolaire public du second degré », et pour 21 010 141 € du « soutien de la politique de l’éducation nationale ».

- le 12 février (J.O. n°0041 du 17 février 2021), un nouvel arrêté du ministère officialisait un « report de crédits » d’un montant total de 393 872 866 €. Ici, il faut distinguer ce qui a été économisé sur le budget 2020 de l’Education nationale, soit 6 438 234 €, et ce qui relève du budget sport, jeunesse et vie associative, tombés dans l’escarcelle de JM Blanquer au dernier remaniement, soit 387 434 632 € (essentiellement des engagements concernant les jeux olympiques et paralympiques 2024).

Au total, le ministère se retrouve donc avec 640 millions d'euros disponibles pour 2021, 252 581 931,60 € pour l’école. Ce n'est pas la première fois, rappelle le Café pédagogique, que le ministère Blanquer parvient à faire des économies, alors que « généralement l'Education nationale a du mal à finir l'année et [qu’] il faut assez souvent voter une rallonge pour la paye de décembre ». En 2018 déjà, 200 millions avaient été économisés, mais « l’année suivante, le budget de l'Education nationale avait fort peu augmenté ».

Il est difficile de savoir précisément sur quels postes budgétaires cet argent a été économisé, mais on aimerait bien en connaitre le détail : quelle dépense prévue a été reportée, quels « engagements » n’ont pas été honorés ? Pour quelles raisons ?... On ne sait pas ce qui n'a pas été fait en 2020, et on ne sait pas non plus comment cet argent sera "engagé" en 2021, s'il sera destiné à des projets ajournés ou disponible pour d'autres. L’avenir nous dira peut-être ce que JM Blanquer fera de ces millions, mais s’il est en panne d’idées pour l'école, on peut les lui rafraichir.

Pendant ce temps, 1800 postes supprimés dans le secondaire…

Cette année encore, le secondaire paie l’addition de la politique ministérielle : 1800 postes sont supprimés au budget 2021 dans les collèges et les lycées. Ce n’est pas la première année : le chercheur Laurent Frajerman a établi à 36 186 le nombre de postes supprimés dans le second degré entre 2007 et 2018, soit près d’un poste sur 10. Dans le même temps, les collèges et lycées accueillaient 244 089 élèves de plus.

L’information n’a pas échappé aux médias qui se préoccupent d’éducation, mais il est intéressant de noter que pour beaucoup de journalistes la justification à ces suppressions de postes se trouve… dans la « priorité accordée au primaire ». Ainsi cet article du monde daté du 18 février 2021 et intitulé « Dans les collèges et les lycées, les conséquences en cascade de la baisse des moyens ». L’article est très intéressant, mais le chapô laisse songeur : « La « priorité à l’école primaire » se fait durement sentir dans les établissements du second degré, contraints d’absorber 1 800 suppressions de postes à la rentrée 2021 ».

La com’ ministérielle et les éléments de langage répétés à l’envi depuis la campagne du candidat Macron ont bien infusé : s’il y a 1800 postes en moins dans le secondaire, ce serait à cause du primaire où l’on en crée ! Belle manière de manipuler les lignes budgétaires et de monter les uns contre les autres… Pourtant il ne faut pas réfléchir très longtemps pour remettre les pendules à l’heure : si la « priorité accordée au primaire » entraine d'importantes suppressions de postes dans le secondaire, c’est uniquement parce que le gouvernement a choisi de ne pas financer ex nihilo cette fameuse « priorité au primaire », donc d'investir vraiment, mais plutôt de prendre sur le budget du second degré l’argent nécessaire aux mesures mises en place dans le premier (lesquelles se limitent essentiellement au dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire, mesure vitrine qui nécessite beaucoup de postes d’enseignants supplémentaires).

Si JM Blanquer cherche comment utiliser les 252 millions d’euros inutilisés en 2020, il pourra donc créer des postes de profs dans le secondaire. Comme le note le Café pédagogique, « 200 millions économisés, c'est l'équivalent de 4200 postes d'enseignants ».

… et la revalorisation historique des profs ne touche qu’un tiers d’entre eux

Il se trouve que 252 millions, cela représente aussi près de 2/3 de la "revalorisation" des enseignants budgétée en 2021. Le ministre Blanquer n’a de cesse depuis un an de vanter une faramineuse et colossale "revalorisation" des enseignants portée par son ministère, on a même parlé de 10 milliards d’euros supplémentaires consacrés chaque année à terme à leurs émoluments (on en sourit encore), mais dans les faits, en 2021 seuls un tiers des professeurs titulaires sera augmenté. Essentiellement les profs débutants, qui toucheront environ 100 € nets mensuels en plus, ensuite c’est dégressif jusqu’au 7ème échelon où l’on touchera une trentaine d’euros de plus chaque mois. Ce sont donc 69% des profs qui ne sont pas concernés par cette « revalorisation historique » et devront se contenter des 12,50 € de prime d’équipement généreusement allouée pour, par exemple, payer l’encre de leur imprimante, en regardant leur pouvoir d’achat baisser cette année encore. Sur cette montagne qui accouche d’une souris et les arrangements avec les chiffres, on se reportera à ce billet.

Alors, si JM Blanquer veut vraiment remplir son objectif, « que nous soyons au cours de la décennie 2020 un des pays qui paye le mieux ses professeurs », s’il veut réellement « faire du prof français le professeur le mieux payé d’Europe, en mettant le paquet », qu'il n'hésite pas à utiliser les crédits disponibles, cela restera des clopinettes mais bon, ce sera un geste. Car en attendant, 96% des enseignants ont vu leur pouvoir d’achat baisser depuis son arrivée rue de Grenelle (s’il lui faut un dernier argument, qu’il aille voir ce graphique qui compare l’évolution du salaire des salariés et celui des profs depuis 1982).

Tiens, une dernière petite idée pour la route : ouvrir davantage de postes d’AESH, (accompagnants d’élèves en situation de handicap) et les payer décemment, car les élèves en situation de handicap se retrouvent trop souvent sans accompagnant (voir encore cette semaine, en Bretagne). On ne devrait pas avoir trop de mal à trouver l’argent pour ça, il suffit de le prendre directement dans le « report de crédits » signé le 12 février : les 2 766 961 d’économies faites sur le budget « vie de l’élève » 2020 concernent, entre autre... "l’accompagnement des élèves handicapés".

Bien sûr, embaucher des profs ou des AESH, payer mieux ces derniers ou ajouter une rallonge à la mini-revalo prévue pour 2021, engage aussi les budgets des années à venir, et cela constitue une énième occasion de montrer un investissement réel, un engagement fort dans l'éducation. Car au final, le gouvernement et le ministère donnent souvent l’impression qu’ils passent leur temps à ouvrir leur portefeuille pour arroser l’école, que les augmentations de budget d’une année sur l’autre sont faramineuses, mais aujourd’hui l’éducation ne représente plus que 6,6% du PIB national, contre 6,8% en 2017.

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