Une incitation qui en dit long

Tout a commencé par une « note d’éclairage pour accompagner une fin d’année pas comme les autres » publiée le 12 décembre par le Conseil scientifique, qui préconisait « l’auto-confinement préventif » une semaine avant Noël. Pour les écoles et les lycées (les collèges ne sont pas cités, allez comprendre), il est notamment recommandé de « laisser une tolérance aux familles qui le peuvent et qui le souhaitent d’élargir de 2 jours la période de vacances scolaires afin que l’auto-confinement de 1 semaine soit également possible pour les enfants. Il est donc recommandé de ne pas pénaliser les absences scolaires des 17 et 18 décembre ».

Trois jours plus tard, mardi 15 décembre, interrogé sur Europe 1, Jean Castex répercute, la recommandation du Conseil scientifique passée quasi-inaperçue devient une incitation appuyée : « Si vous pouvez ne pas amener vos enfants à l’école jeudi et vendredi, vous le faites, ce n’est pas une obligation ». Le soir même, sur RTL, on sent JM Blanquer un peu embêté : « Nous n’incitons pas à cela (…) c’est une simple tolérance vis-à-vis d’une absence ». Néanmoins le ministre de l’Education nationale donne un billet d’absence aux familles qui décideront de faire un auto-confinement en vue du réveillon : « Si vous n’envoyez pas vos enfants, ce sera justifié ».

On comprend l’idée. Mais pour une famille qui s’imposera réellement un auto-confinement d’une semaine et dispensera pour l’occasion ses enfants d’école jeudi et vendredi, combien de parents iront terminer leurs emplettes de Noël dans la semaine ? Combien d’enfants, d’ados, profiteront des premiers jours de vacances pour voir des copains ou accompagner leurs parents ?

Par ailleurs, derrière cette incitation à sécher les cours se dessine une certaine vision de l’école, des enseignants et de la gestion de crise Covid-19 à l’EN.

L’école est donc bel et bien un lieu majeur de circulation du virus

Le gouvernement est-il conscient qu’il vient, en incitant à éviter l’école pour se préserver du virus, de confirmer ce qu’il a lui-même passé des mois à nier avec vigueur, à savoir que l’école est un lieu où le virus circule de manière active ? On se souvient notamment du ministre Blanquer, déclarant le 11 mai dernier, jour de reprise des cours après 8 semaines de confinement : « Il y a plus de risques à rester chez soi que d’aller à l’école ». Il y a quelques semaines encore, Jean-Marc Huart, l’ancien DGESCO, n°2 du ministère et proche de JM Blanquer (c’est lui qui est cité dans tous les articles sur la création du fameux syndicat lycéen pro-Blanquer « Avenir Lycéen »…), devenu recteur de Nancy-Metz, déclarait en conférence de presse : « Je voudrais dire aux parents que l’école est un lieu de sécurité par rapport au virus ».

Après avoir soutenu mordicus que les enfants ne sont pas contaminants et que l’école n’est pas le lieu de leur contamination, voici qu’on considère plus sage de ne pas les envoyer à l’école pour ne pas qu’ils aillent refiler le Covid à papy et mamie sous le sapin. L’école n’est pas un lieu de circulation du virus quand cela arrange le gouvernement qu’elle ne le soit pas, et l’est quand cela peut appuyer sa politique. Cela s’appelle une variable d’ajustement, l’école est ce petit levier que vous poussez dans un sens ou dans l’autre en fonction de vos intérêts.

Cerise sur le gâteau, on apprend en lisant la prose syndicale qu’il avait été demandé quelques jours plus tôt au ministre Blanquer « de ne pas faire de changements de dernière minute ni avant les vacances scolaires, ni au cours de celles-ci pour une application à la rentrée de janvier ». Le ministère leur avait assuré qu’aucune modification n’interviendrait avant le 20 janvier…

Jeudi 17 décembre, alors que les profs comptaient les élèves absents, l’Institut Pasteur publiait une étude sur les lieux de contamination au Covid-19 : « On s’est rendu compte que chez les personnes infectées, on avait plus souvent des enfants au lycée, au collège, ou alors en maternelle et en crèche ». Avoir un enfant scolarisé est donc un facteur de risque. Car le virus circule à l’école.

Cela confirme autre chose : le protocole sanitaire tel qu’il est actuellement mis en place en milieu scolaire (lavage des mains, masques à partir de 6 ans depuis novembre, réduction du brassage) ne suffit pas à limiter la circulation du virus. Si le ministère ne l’avouera pas, il peut quand même plancher sur la rentrée de janvier, histoire d’avoir un coup d’avance, pour une fois.

Les familles des profs comptent moins que celles des élèves

L’idée du gouvernement, avec cette possibilité donnée de s'auto-confiner, est donc de protéger les familles que les élèves pourraient aller contaminer au réveillon. Les enseignants, en revanche, ne sont pas concernés par cet auto-confinement. Est-ce à dire que leurs familles, leurs proches, y compris les plus fragiles et vulnérables, sont moins dignes d’être protégés que ceux des élèves ? Un prof scrupuleux ne pouvant s’auto-confiner devra-t-il alors se priver de retrouvailles familiales ?

Quelle est la logique, en termes de santé publique ? N’aurait-il pas été plus cohérent de fermer totalement les écoles, ainsi que l’a fait l’Allemagne (jusqu’au 10 janvier), afin de permettre à tous, élèves et profs, de s’auto-confiner ? Plus généralement, une telle incitation ne méritait-elle pas d’être anticipée, planifiée, afin de laisser au plus nombre la possibilité de se saisir de l’occasion ? Quelle famille peut ainsi se retourner en 48 heures pour la garde de ses enfants ? Une fois de plus, le sentiment domine d’une gestion dans la précipitation, sans véritable réflexion (il est vrai que Noël tombe exceptionnellement le 25 décembre, cette année), et la dérogation au couvre-feu du 24 apparait comme une boite de Pandore dont découlent toutes ces incohérences et ces improvisations.

Les enseignants peuvent légitimement avoir le sentiment qu’il n’a pas été fait, pour leurs proches, ce qui a été fait pour ceux des élèves et de leur famille : 870 000 profs, cela fait pas mal de cas potentiels en famille au réveillon…

Et puis, si on suit la logique du gouvernement, une autre incitation, symétrique à celle-ci, aurait sa pertinence : après les fêtes, faut-il inciter les parents à garder leurs enfants jusqu’au 7 janvier, afin qu’ils ne ramènent pas à l’école un virus qu’ils auraient chopé durant les fêtes, et notamment au réveillon du 31 (car il y aura réveillon, les gens s’organisent pour cela) ? Logique par l’absurde, me direz-vous, mais n’y est-on pas déjà jusqu’au cou ?... Le jour même où Jean Castex lançait son incitation à éviter l’école, les clubs sportifs rouvraient leurs portes : les mineurs peuvent de nouveau se réunir pour faire du sport, y compris en intérieur.

L’école ? Connais pas.

Et puis cette incitation trahit, une fois de plus, une méconnaissance de ce qu’est l’école, ou pire, le peu de cas qui est fait de ce qui s’y joue. Il est même bien possible qu’on pense rue de Grenelle que pas grand-chose ne s’y fait, sous prétexte que ce sont les deux derniers jours avant les vacances, que rien n’y a été prévu par les enseignants.

Sauf que dans certains collèges, c’est jour de brevet blanc, dans certains lycées, il y a des examens de prévu, en élémentaire avec le passage au livret semestriel dans pas mal d’endroits, les derniers jours de décembre sont chargés en évaluations, et là où les livrets sont trimestriels, c’est jour de remise, bref, une période scolaire, ça fait 7 semaines, pas 6 ½, les profs planifient et établissent des progressions très en amont. Faut-il alors qu’ils allègent le travail ces deux journées ? Ou au contraire faire ce qui était prévu, au risque que les absents ne rattrapent pas tout, avec les vacances qui suivent ?

Depuis des mois, le ministère Blanquer répète à l’envi que l’école est importante au point que c’est le dernier endroit à fermer, qu’elle doit rester ouverte précisément parce que les élèves les plus faibles en ont le plus besoin, et le voici obligé de confirmer l’autorisation de sécher balancée par son boss Castex. Cohérence gouvernementale…

Le signal envoyé aux parents, involontaire mais réel, est également déplorable : on peut louper deux jours d’école, ce n’est pas si grave que ça. Dans certains quartiers, les profs se battent au quotidien pour donner du sens et du poids à l’école, luttent contre l’absentéisme important, et voilà que le sommet de l’état délivre gratuitement des billets d’absence.

Et puis, ces deux derniers jours de classe, en primaire notamment, sont précisément les jours où certains profs prévoient des festivités sous le sapin, de terminer les projets d’arts visuels, la petite carte de vœux, la décoration de Noël sur laquelle les élèves travaillent depuis plusieurs séances ; les mairies ont toutes commandé le repas de Noël pour jeudi, certaines doivent livrer des ballotins le dernier jour aux élèves… L’enseignante et illustratrice Emybill résume ce sentiment commun à de nombreux profs dans ce dessin très partagé sur les réseaux sociaux.

Epilogue

Hier vendredi, dans la classe de 4ème de mon fils, il y avait 12 élèves présents sur 28. Le midi, à la sortie du collège, plusieurs élèves absents étaient là, venus narguer ceux qui sortaient de 4 heures de cours. L’après-midi, en classe, les 12 élèves ont mis la dernière touche à un beau projet : ils ont rédigé une carte de vœux à destination d’une personne âgée d’un EHPAD de la ville où, en fin de journée, leur professeur est allé déposer les cartes. Cette année, il y en aura juste moitié moins. C’est pas comme si les temps étaient difficiles en EHPAD en ce moment.

 

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