« Jean-Michel Blanquer, un ministre en galère », « Blanquer, le crash-test », « les couacs de la gestion de crise » : les articles se succèdent ces derniers temps pour pointer les difficultés du ministre de l’EN à gérer pour l’école la crise déclenchée par le coronavirus. Au sein même de la macronie, le chouchou de Brigitte Macron est secoué et recadré plusieurs fois : « L’Elysée et Matignon trouvent qu’il n’est pas précis et lui reprochent de trop parler, en ouvrant des portes qu’il n’a pas à ouvrir », « Blanquer fait ses arbitrages alors que les annonces ne sont pas validées », « il a merdé », « il parle pour le plaisir d’exister », les confidences des cabinets ministériels tapent fort, et pas toujours off, comme lorsque le directeur de cabinet du premier ministre déplore dans le Figaro les « déclarations hasardeuses » de JMB.
Le 23 avril, les sénateurs, qui d’ordinaire déroulent le tapis rouge au ministre, publient un rapport de 17 pages au vitriol sur le plan de retour des élèves en classe : « Une impression d’impréparation et d’improvisation », « scénarii de travail ne reposant pas sur un avis scientifique », « absence de réelle concertation notamment avec les collectivités locales, partenaires essentiels », « aucune réflexion n’a commencé sur les temps entourant les moments pédagogiques »…
Dernière salve en date : lundi 11 mai, des hauts-fonctionnaires du ministère de l’EN publient une tribune dans le Café pédagogique, très peu relayée par les grands médias mais qui fait grand bruit dans la communauté éducative. Il y est question de « la gestion chaotique du Covid 19 dans les écoles », « des propos du ministre contradictoires, évasifs ou immédiatement infirmés par le Premier ministre » et, au-delà, de « l’authentique climat de défiance » instauré par le ministre qui « manie contrôles, censures, dans un management autoritaire fondé sur la suspicion, la menace, le verrouillage de toute expression »… N’en jetez plus la coupe est pleine.
Voici une petite sélection des déclarations qui ont marqué le monde éducatif, à divers titres, depuis le début de cette crise.
« On est préparés pour déclencher de l’enseignement à distance massif », 26 février, France Inter
Dès le 26 février, le ministre affirme que tout est prêt pour l’enseignement à distance, et il le répètera à de nombreuses reprises. Il s’appuie surtout sur la plateforme du CNED, le Centre national d’enseignement à distance censé fournir du contenu aux profs et aux élèves. Mais avant même la mise en service de la plateforme au grand public, les doutes sont nombreux : « Nous ne disposons pas de séquences de cours assez précises (…), ni de supports pour toutes les disciplines et pour tous les niveaux (…). Il faut rapidement un cahier des charges, pour l’instant tout cela reste flou » (SNPDEN), « cela sous-entend des protocoles, une certaine organisation, et pour l’instant, rien ne semble vraiment organisé » (FCPE).
« Dans tous les scénarios, il n’est pas prévu de fermer les écoles », 5 mars, RMC
Autre credo du ministre : on ne fermera pas les écoles, il le répète à plusieurs reprises début mars. On est tout de même étonné que l’hypothèse ne fasse pas partie des scénarios envisagés par le ministère, qui doit par principe envisager toutes les possibilités. Par ailleurs, le ministre est en contradiction avec ses précédents propos : il n’est pas prévu de fermer les écoles, mais on est prêt à l’enseignement massif à distance…
« Nous n’avons jamais envisagé la fermeture totale des écoles parce qu’elle nous semble contre-productive », 12 mars, France Info, « Il n'y aura pas de fermeture généralisée des écoles en France comme on a pu le voir dans d'autres pays d'Europe » 12 mars 2020 dans l’après-midi, à Poitiers
Nous sommes jeudi 12 mars, à la matinale de France Info, le ministre réaffirme que les écoles ne fermeront pas, avant d’en rajouter une couche lors de son déplacement en début d’après-midi sur les sites du CNED, dont il dit pourtant qu’il « peut assurer la continuité ».
Le soir même le président Macron annonce la fermeture des écoles. Blanquer se sent « humilié », côté Elysée on admet que « Blanquer a pris une balle ».
« Les documents sont prêts, les instructions sont prêtes », le lendemain, 13 mars 2020, France Inter
La veille, il n’était pas question de fermer les écoles, tout le monde a dû bosser dur durant la nuit car le lendemain matin, tout est prêt, documents et instructions.
Les documents : « Nous organisons une continuité pédagogique qui implique toute la communauté éducative, selon une modalité à distance : ma classe à la maison ». Quand ils commencent un weekend de travail et de recherche pour préparer l’école à distance, les profs découvrent avec « Ma classe à la maison » un recyclage paresseux, pas même modifié et adapté, des modules d’enseignement à distance du CNED pour les élèves non-scolarisés : plans de travail hebdomadaires, figés, rigides, non modifiables, quasi impossibles à adapter pour nos classes, nos progressions.
Seule « Ma classe virtuelle », qui permet de mettre en présence enseignant et élèves, est utilisable, mais dès le premier jour les serveurs plantent devant le nombre de connexions. Prêt, vraiment ?
Côté instructions, on ne sait si elles étaient prêtes, mais personne ne les a reçues. Les profs ont attendu des jours et des jours les consignes officielles, du ministère mais aussi des rectorats, voire de leur inspection. Quand les premières instructions, sommaires, sont arrivées, souvent au bout d’une semaine voire 10 jours, tout était déjà en place ou presque.
Il faut rouvrir les écoles « par nécessité sociale » pour les plus éloignés de l’école, 15 avril, à l’Assemblée nationale
Après un mois de confinement, on commence à parler déconfinement, le ministre estime que la réouverture des écoles est une « nécessite sociale ». Devant l’Assemblée nationale le 21 avril, il parle aussi d’« une vision sociale », où « l’école de la République vienne compenser les inégalités familiales ».
S’il avait lu les sondages et écouté les remontées du terrain, le ministre aurait peut-être compris que les familles de milieu socialement défavorisées, où l’on trouve majoritairement les élèves décrocheurs et en difficulté scolaire, sont précisément celles qui comptaient le moins renvoyer leur enfant à l’école… et qui l’ont à ce jour le moins fait.
De plus, ces élèves fragiles restés chez eux ne peuvent plus s’appuyer sur un enseignement à distance étayé, leur enseignant étant désormais en classe avec les autres élèves. JMB voulait éviter « les désastres sociaux » en rouvrant les écoles, résultat, c’est la double peine.
Rouvrir les écoles : « C'est une question d'honneur » 1er mai, Le Figaro
Que vient faire l’honneur là-dedans, personne ne l’a compris. Est-ce pour accuser en creux de déshonneur ceux qui doutent ou refusent la réouverture ?, se demande Paul Devin. En plaçant le débat sur l’honneur, Blanquer déplace un sujet sanitaire et éducatif majeur sur le terrain de la morale et de l’ego, toute chose n’ayant rien à voir avec la situation. Hors-sujet.
Réouverture des écoles : « Si c’est faisable dans certains endroits, c’est que c’est faisable à peu près partout », 4 mai, BFMTV
Ce magnifique sophisme, qui fait fi de toutes les logiques sanitaires locales, fait les beaux jours des internautes qui raillent la logique du ministre en la retournant contre sa politique éducative, des hashtags voit même le jour : #SiCestFaisableDansCertainsEndroitsCestQueÇaDoitEtreFaisableApeuPrèsPartout
Tester les enseignants : « Il n’y pas pénurie de tests, mais il ne faut pas les gâcher », 6 mai, devant l’Assemblée Nationale
La déclaration faite aux députés et révélée par le Café pédagogique est peu relayée par les grands médias, mais beaucoup tourne sur les réseaux sociaux enseignants, qui voient dans les propos du ministre une illustration du peu de considération qu’il leur porte.
« Moi, si j'ai mon enfant à la maison qui pleure, je le prends dans les bras », 8 mai, France Inter.
Cet « énième moment malaise de Jean-Michel Blanquer », comme le titre Libé, vient en réponse à une question de Léa Salamé, qui interroge le ministre sur la pertinence du protocole sanitaire pour les écoles : «Un enfant de 3 ou 4 ans qui a un gros chagrin et qui se met à pleurer, est-ce que la prof peut venir le consoler, le toucher ?». Réponse immédiate du ministre : «Ah écoutez, je crois que… Moi, si j'ai mon enfant de 4 ans à la maison qui pleure, je le prends dans les bras». « Oui mais vous êtes dans le même foyer », lui fait remarquer Salamé. Oups. Le ministre prend conscience de sa bévue : « Oui, oui. Bon. Écoutez, sur des sujets comme ceux-là, je crois qu'il faut qu'on fasse preuve de bon sens et de pragmatisme et c'est pas au ministre de donner une consigne sanitaire sur un point comme ça » CQFD.
Les professeurs qui ne seront pas en classe « s’occuperont de l’enseignement à distance pour les élèves à la maison », 9 mai, JDD
C’est ce que répète le ministre dans tous les médias, et dans le B.O.E.N du 7 mai 2020, on peut lire : « L’élève qui n'est pas en présentiel reste en lien avec son école et suit un enseignement à distance ». Sauf que dans les faits, les professeurs qui ne seront pas en classe s’occuperont de leurs élèves et ne pourront pas s’occuper des autres élèves restés chez eux. C’est comme d’habitude aux enseignants sur le terrain de gérer : souvent, ils continueront à assurer le distanciel en plus de l’école en classe.
« Que tous les enfants aient pu retrouver physiquement leur école au moins une fois d’ici à la fin du mois », 10 mai, JDD
Cette déclaration, faite la veille de la réouverture des écoles, laisse perplexe : le ministre est-il au courant que le retour à l’école, ainsi que l’a expliqué l’Elysée le 23 avril, se fait sur la base du volontariat ? Des millions de parents ont décidé de ne pas renvoyer leur enfant à l’école d’ici la fin de l’année, d’autres ne les remettront qu’en juin. Par ailleurs, des centaines d'école n'ont pas prévu de rouvrir avant fin mai voire début juin, il y a donc peu de chances de voir tous les élèves à l’école d’ici la fin du mois de mai...
« Les élèves me remercieront dans 10 ans, en se souvenant de leur lecture de Phèdre pendant le confinement », JDD, 10 mai 2020
La phrase est prononcée quand le sujet du bac de français est abordé dans la complaisante interview du JDD. Rendez-vous dans 10 ans.
« Il y a plus de risques à rester chez soi qu’à aller à l’école » 11 mai, Europe 1
C’est l’une des déclarations les plus ambigües du ministre, qui s’appuie sur une publication de la Société française de pédiatrie selon laquelle la majorité des enfants contaminés par le virus l’ont été non pas au contact d’un autre enfant mais d’un membre de leur famille. Le ministre s’est aussi emparé d’une déclaration d’un professeur au CHU de Grenoble : « Plus de 90% des enfants qui ont été contaminés par le virus l'ont été dans le milieu familial ». Mais, outre que les enfants ont été en contact exclusivement avec leur famille pendant deux mois, il faut lire le reste de la publication de la SFP, qui estime que les enfants ne représentent pas un risque pour les adultes « sous réserve d’application de mesures barrières ». Or sur ce point, le Conseil national de l’ordre des médecins a raison de dire (rejoint par le Conseil scientifique monté par le Président Macron), qu’ « il est très difficile en milieu scolaire de faire respecter les gestes barrières », et conséquemment que « les enfants vont rencontrer des enseignants et des agents des collectivités locales et pourront les contaminer (…). Le virus pourra également revenir dans les familles, restées confinées pendant deux mois, qui pourront se retrouver infectées par les contacts de leurs enfants à l’extérieur ». L’ordre conclut : « Déconfiner le milieu scolaire reviendrait à remettre le virus en circulation ».
« Vous avez bien lu pendant les vacances ? Enfin, pas les vacances, le confinement… », 13 mai
C’est la dernière perle en date. En visite dans une école le 13 mai pour montrer comme la réouverture des écoles se passe bien, le ministre fait ce splendide lapsus. La séquence est filmée par BFMTV qui en rajoute une couche, lorsque le chroniqueur conclut par un conseil au ministre : « à ne pas reproduire pour ne pas énerver les parents qui font l’école à la maison depuis 2 mois ». Les profs, eux, semblent n’avoir travaillé pendant huit semaines ni pour l’un, ni pour l’autre.
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