(Crédit Mychele Daniau / AFP)
C’est une évidence pour tout enseignant, et au-delà pour toute personne un tant soit peu sensible et attentive à ce sujet, les fautes d’orthographe les plus répandues, tous écrits confondus (non seulement dans la rédaction de CM1 de Kevin, mais aussi les mots des parents dans le cahier de correspondance, l’article de presse le matin dans le métro, les affiches sur les bus, certains livres même, et bien sûr partout à l’oral à commencer par les discours de certains hommes politiques…), sont liées aux accords du participe passé.
Partant de ce constat, le CILF (Conseil International de la langue française) et l’AROFA (Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui) proposent de réformer le participe passé (PP) en assouplissant les règles d’accord.
Pourquoi ?
« L’orthographe du participe passé est, depuis des générations, le pont aux ânes de la grammaire scolaire. Les professeurs ont beau y consacrer d’année en année un nombre important d’heures d’apprentissage, les résultats restent décevants », annonce le collectif.
Plusieurs raisons à cela :
- la complexité des procédures (le nombre de cas et d’exceptions, la connaissance et la maîtrise de relations grammaticales complexes entre les groupes de mots…)
- le caractère muet des finales (le son « é » peut s’écrire « é », « ée », « ées », « és »…)
- la tendance orale à ne plus marquer les accords, ou à effectuer des accords contrevenants à la règle.
Pour ces linguistes, les Autorités doivent permettre officiellement l’utilisation de cette nouvelle grammaire qui s’installe dans les faits. « Non seulement la langue française n’y perdrait rien, mais le temps économisé à l’école pourrait être mis au service d’objectifs plus utiles ». L’argument a du poids quand on sait que le temps passé à apprendre les accords du PP au cours d’une scolarité est estimé à 80 heures.
Ces éminences de la langue ont donc travaillé pendant plusieurs mois, soupesant chaque mot, afin de proposer une motion qui entend simplifier l’appareil grammatical et qui présente les fautes contre la règle comme des « applications instinctives d’une logique grammaticale en passe de se substituer à des logiques antérieures, que l’enseignement aurait peut-être tort de continuer à sacraliser ».
Les rédacteurs de la motion précisent « qu’il ne s’agit pas de révoquer la norme officielle, représentative d’un registre de langue soutenu, mais, comme l’usage la transgresse fréquemment, d’ouvrir aux utilisateurs un espace de liberté, qui a d’ailleurs sa logique ».
Comment ?
Les propositions du collectif sont formulées comme suit :
- Les PP employés sans auxiliaire et les PP conjugués avec l’auxiliaire être s’accordent avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui est (n’est pas) PP ? ». Cette proposition n’entraîne aucune modification concrète.
- Les PP des verbes pronominaux pourront s’accorder avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui s’est (ne s’est pas) PP ? » augmentée des éventuels compléments du verbe.
- Les PP conjugués avec l’auxiliaire avoir pourront s’écrire dans tous les cas au masculin singulier
D’accord ou pas d’accord ?
On ne peut que saluer le souci des savants de ne pas rester cloitrés dans leur tour d’ivoire et leur volonté de s’adapter à l’usage, de même qu’on peut louer l’esprit dans lequel se présente cette motion : accepter d’autres manières de faire sans révoquer la norme, garder la lettre tout en ouvrant l’esprit.
Néanmoins ce projet suscite d’ores et déjà, et comme toujours quand il s’agit d’orthographe en France, de vives réactions :
- certains estiment que la motion proposée est une renonciation, qui entraînera un nivellement par le bas et un appauvrissement de la langue française, d’autres au contraire estiment que le projet ne va pas assez loin et proposent de simplifier davantage encore les règles d’accord du PP, jusqu’à figer complètement les accords (masculin singulier, quel que soit le cas) ;
- d’autres constatent qu’on se contente de substituer à une ancienne norme une nouvelle qui, si elle est plus simple reste une norme à apprendre et à intégrer, pour les élèves ; le gain de temps et d’énergie n’est peut-être pas si important que celui escompté ;
- d’autres estiment que dans certains cas (elle s’est dit que => elle s’est dite que) la simplification n’est pas évidente puisque qu’on ajoute des lettres (et que cela écorche l'oreille) ;
On lira avec intérêt les commentaires qui suivent les propositions du collectif, ils donnent le ton et sont souvent érudits (c’est là, ici, et aussi ici).
L'accueil des enseignants
Les rédacteurs de la motion ont en tout cas compris une chose : « L’issue dépend désormais de l’accueil des enseignants ». En effet, une telle réforme n’a de chance d’être féconde que si les enseignants s’en emparent, s'ils la comprennent, s’affranchissent de l’ancienne norme et chevauchent vaillamment la nouvelle. Les précédentes réformes de l’orthographe (1990) n’ont pas forcément débouché sur des changements majeurs sur le terrain, et nombre d’enseignants ne savent pas forcément qu’on peut écrire maitresse (et non maîtresse), six-cent-trente-deux (et non six cent trente-deux), un compte-goutte (et non un compte-gouttes, oui je sais pourquoi compter s’il n’y a qu’une goutte), un amoncèlement (et non un amoncellement) alors qu’ils y sont invités (voir cette synthèse).
Il est toujours difficile de lâcher ses représentations et ses habitudes, d’accepter de changer la règle qui m'a construit, de modifier la norme qui m'a constitué : si le logiciel interne des élèves est neuf (ils apprendront ce qu’on leur fera apprendre), celui des enseignants demande une mise à jour non négligeable qui ne coule pas de source.
Pour qu’une réforme ait une chance, on en revient toujours au même, il faut que les profs soient avec elle, il faut qu’ils acceptent de changer, mais il faut aussi qu’on les informe, et qu’on les forme – au cœur de ce sujet comme de tant d’autres se niche la formation des enseignants, incontournable et inévitable.
Pour ce qui me concerne je n’en suis pas encore là, avec mes CE2, j’en suis à me battre contre une autre faute particulièrement répandue : la présence de l’infinitif en lieu et place du participe passé, façon « Omar m’a tuer ». Une faute que l'on voit, elle aussi, partout...
Nota : Il est possible de prendre position pour ou contre une réforme sur la base de la motion proposée, dans un sondage ouvert sur le site : c'est ici (au moment où je publie ces lignes, c'est du 2/3 pour, 1/3 contre).
Et si vous souhaitez faire le point sur les accords du PP (une bonne quinzaine de situations, sans compter les exceptions), voici une petite fiche de synthèse très claire !