Pourquoi le budget de l'école pour 2019 n'est pas à la hauteur des besoins

@Philippe Wojazer / AFP

Il y a quelques jours le gouvernement présentait son budget pour 2019. A cette occasion le ministre de l’Éducation nationale JM Blanquer a parfaitement vendu le budget de l’école, mettant en avant une augmentation de 800 millions d’euros, soit + 1,7%, « c’est évidemment, dans le contexte que nous connaissons, extrêmement important ». De quoi « dégager des marges de manœuvre pour de vrais choix politiques », par exemple « créer des postes en primaire, ou augmenter le pouvoir d’achat des professeurs ». Bien sûr le ministre a minoré les 1 800 suppressions de poste (« cela ne représente que 0,2% des emplois du ministère ») et affirme qu’ « on aura moins d’élèves par classes pour toutes les écoles de France ».

A écouter le ministre, l’école n’a qu’à se réjouir du budget qui lui est alloué pour 2019. JM Blanquer a comme à son habitude très bien communiqué, mais ses déclarations ne résistent ni à l’analyse des faits, ni à la lecture de la dernière publication de l’OCDE, qui compare les systèmes éducatifs dans le monde.

Trompe l’œil

Le ministre a beau jeu de vanter son budget 2019 et l’augmentation de 800 millions ; ce n’est pas négligeable certes, mais il faut garder à l’esprit que le nombre d’élèves augmente régulièrement, ce qui "condamne" le budget de l’école à augmenter afin de fonctionner correctement, et d’autant si on souhaite faire bouger les choses. En 2018 le budget de l’EN avait augmenté de 1,2 milliards. Le dernier budget EN du quinquennat Hollande, en 2017 (NVB aux commandes) avait vu une augmentation de 2,2 milliards. Le coup de frein est donc assez brutal. Surtout si on considère ce que le ministre annonce qu’il compte faire de cet argent.

- Si on écoute le ministre, le budget 2019 permettra de créer 1 800 postes en primaire, afin de dédoubler les CP et CE1 en éducation prioritaire, mais pas seulement : « Ils serviront aussi à améliorer l’école rurale [l’épisode des fermetures de classes au printemps a laissés des traces…], l’instruction obligatoire à partir de 3 ans ». Problème : pour les seuls dédoublements, si le ministre veut respecter la promesse, il faudra créer 4 000 postes, les 1 800 postes annoncés ne suffiront pas, il faudra ponctionner ailleurs (remplaçants, réseau spécialisé, et encore le dispositif « Plus de maitre que de classe »…), augmentant mécaniquement le taux d'encadrement. Alors l’école rurale, on va oublier…

- Si on écoute le ministre, le budget 2019 va aussi permettre d’augmenter le pouvoir d’achat des professeurs, notamment via le versement d’une prime de 1 000 € annuels pour les profs travaillant en éducation prioritaire. C’est bien mais peu de profs en ont pour l’instant vu la couleur et il faut rappeler que la promesse présidentielle était de 3 000 €… Il faudra également payer des heures supplémentaires aux profs de secondaire pour absorber les suppressions de postes. Un gain de pouvoir d’achat en forme de pilule à avaler qui ne concernera de toute façon pas les instits, lesquels n’ont pas accès aux heures sup’… Enfin le ministre vante l’application pour cette année des accords PPCR devant permettre une hausse du pouvoir d’achat, il faut rappeler que c’est avec un retard d’un an, puisqu’il avait gelé ces accords en arrivant rue de Grenelle… Rappelons aussi que la hausse de la CSG n’a pas été entièrement compensée.

- le ministre ne le dit pas, mais « on l’a appris par une fuite des Echos, 213 millions devront être pris pour payer les AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap) qui vont passer dans le budget de l’éducation nationale en 2019 », note le Café pédagogique. A terme, l'Education nationale veut rependre la main sur les AESH, cela a un cout.

- le ministre n’en parle pas, mais c’est à son ministère que reviendra le soin de financer le SNU (service national universel) voulu par le Président Macron et dont les premières expérimentations auront lieu à la Toussaint 2019… mais ne sont pas budgétées. A terme, le SNU coutera tout de même 2 milliards par an à l’Éducation nationale. Avec la hausse de budget correspondante ?

On le voit, les 800 millions de hausse ne suffiront clairement pas à financer les mesures annoncées.

« La logique du gouvernement est de rompre avec une logique quantitative souvent uniforme, inflationniste et pour laquelle les résultats des élèves ne sont pas au rendez-vous », se justifie-t-on au ministère. Curieux argument : puisque les petits français ne figurent pas bien dans les études nationales et internationales, on arrête de donner des sous... Outre que cela ne risque pas d’arranger les choses, il faut considérer les résultats des élèves français à l’aune des investissements consentis. Ça tombe bien, l’OCDE vient de publier ses Regards sur l’éducation 2018. Le ministre est friand de comparaisons internationales, voici quelques notes de lecture.

OCDE : une France moyennement investie dans l’éducation

C’est ce que révèlent les chiffres donnés tout au long des 486 pages des Regards sur l’éducation 2018, avec une constante : le primaire français est la 5ème roue du carrosse.

- La France consacre 5,2% de son PIB aux dépenses d’éducation ; c’est à peine au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (5,0%), nettement en dessous de pays comme la Finlande (5,8%), la Corée (5,8%), le Canada (6%) qui brillent dans les classements. Cet indicateur « évalue les dépenses à l’aune de la richesse nationale pour montrer la priorité accordée à l’éducation en fonction des ressources du pays ». La priorité accordée par la France à son école est donc très relative.

- Dans le détail, on constate que le primaire est le parent pauvre de l’école française : 1,2% du PIB consacré au primaire, contre 1,5% en moyenne dans l’OCDE, seules l’Italie, la Hongrie, la République Slovaque, la Turquie, la République Tchèque et l’Autriche font moins bien (notons que ces pays sont tous nettement moins bien classés que la France à PISA). A contrario, le Canada et la Norvège dépensent 2,1% de leur PIB pour le primaire, la Corée 1,7%... La France consacre 15% de moins au primaire que la moyenne de l’OCDE, 7 400 USD contre 8 630 USD dans l’OCDE sont dépensés chaque année pour un élève du primaire (la Finlande 9 300 USD, la Corée 11 000 USD, la Norvège 13 200 USD…). Sur l’ensemble de l’école primaire, les dépenses cumulées pour un élève français sont de 36 977 USD contre 51 145 USD en moyenne ; près de 40% d’écart !

- La part des dépenses d’éducation dans les dépenses publiques est en moyenne de 11% dans l’OCDE (13% pour la Corée, 12% pour le Canada, 10% pour la Finlande). En France on est très en deçà puisque les dépenses d’éducation représentent seulement 8% des dépenses publiques. Une nouvelle fois c’est l’école primaire qui trinque : les dépenses d’éducation pour le primaire représentent 2% des dépenses publiques en France alors que la moyenne est de 3,5 % dans l’OCDE, quasiment le double. Si on veut faire des économies budgétaires en France, ce n'est pas à l'école qu’il faut faire des coupes.

- En France, seuls 58% des dépenses d’éducation vont aux enseignants, contre 63% dans l’OCDE. 22% vont aux autres personnels en France, contre 15% en moyenne dans l’OCDE. Si on veut faire des économies à l’EN, ce n’est certainement pas par les profs qu’il faut commencer.

- Entre 2005 et 2017, le salaire des enseignants de l’OCDE ont augmenté de 8% en moyenne dans le primaire. Tous les pays ont augmenté leurs enseignants, sauf trois où leur salaire a diminué sur cette période : l’Angleterre (-4%, mais ils viennent d'être augmentés de 3,5%), la Grèce (-16%) et la France (-10%).

- En France le cout salarial des enseignants par élève dans le primaire (1 827 USD par an) est 60% moins élevé que la moyenne de l’OCDE (2 936 USD). Une nouvelle fois, la France se retrouve dans un groupe de pays tels que la Turquie, la Hongrie, la République Tchèque, le Chili, le Mexique… Des pays tous classés très en-deçà de la France à PISA 2016. En pourcentage du PIB, le cout salarial des enseignants français est de 4,4% pour le primaire, contre 6,9% en moyenne dans l’OCDE.

- Ironie, l’OCDE explique que « les pays où le salaire des enseignants est plus élevé tendent à être ceux où la taille des classes est plus élevée ». La France est la seule à combiner taille de classes plus élevée que la moyenne (23 élèves en primaire contre 21) et salaire des profs nettement en-dessous de la moyenne !

- Le taux d’encadrement, qui « décrit le niveau de ressources pédagogiques disponibles dans un pays », est de 19 élèves par enseignant en France, nettement au-dessus de la moyenne OCDE (15), seuls le Mexique et le Chili font pire. Supprimer des postes d’enseignants comme le fait JM Blanquer ne va pas arranger les choses, contrairement à ce qu'il annonce.

- en début de carrière, un instit touche 29 500 USD contre 32 200 USD en moyenne dans l’OCDE (56 500 USD en Allemagne). Après 15 ans de carrière, c’est 35 900 USD en France, 45 000 USD en moyenne dans l’OCDE (70 000 en Allemagne, 60 000 en Irlande, aux E-U…). Pourtant un instit français travaille 900 heures par an devant élèves, contre 784 en moyenne dans l’OCDE… et travaille statutairement 1607 heures annuelles, soit autant que la moyenne OCDE (1622 h).

Résumons. La France n’investit pas plus que la moyenne des autres pays de l’OCDE dans l’éducation, souvent moins (notons au passage que ses élèves se classent néanmoins 26ème sur 70 pays à PISA 2016…), elle dépense particulièrement peu dans son école primaire. Elle investit notoirement moins que les autres dans le salaire de ses professeurs, surtout ceux du primaire. Le ministre a beau afficher « la priorité au primaire », on voit que le budget 2019 est très loin du compte. Le ministre a beau assurer être « en capacité d’augmenter le pouvoir d’achat des professeurs, puisque tout le monde dit bien aujourd’hui que le problème, c’est l’attractivité du métier de professeur », il n’a pas les sous pour le faire. Il a annoncé la création d’un « observatoire du pouvoir d'achat des professeurs pour nourrir le dialogue social et avoir une vision à l'échelle du quinquennat des augmentations que nous allons faire », c’est gentil mais ce n’est pas la peine de jeter l’argent par les fenêtres : une simple observation du tableau D3.1a des Regards sur l’éducation 2018 (celui qui compare les salaires dans l’OCDE) devrait normalement suffire à augmenter illico les enseignants français. Normalement.

 

Nota : je ne résiste pas à l’envie de vous livrer encore quelques chiffres : la France est championne du monde des fondamentaux, qui constituent 59% du temps scolaire en primaire, bien plus que partout ailleurs (moyenne 42%), seul le Mexique y consacrant un peu plus de temps (62%). Personne ne consacre plus de temps à la lecture, à l’écriture et la littérature que la France (38% contre 25% en moyenne), et seul le Mexique consacre davantage de place aux maths que la France (21% contre 17% en moyenne). Qu’on se le dise.

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