Non, l’enseignement n’est pas meilleur dans les écoles privées

@ Mychele Daniau / AFP

C’est ce qu’on peut conclure de l’étude parue il y a quelques semaines dans le numéro 95 de la revue Education & Formations et intitulée « Qui choisit l’école privée, et pour quels résultats scolaires ? ». Quatre chercheurs y comparent les résultats scolaires obtenus en début de CE2 par des élèves du public et du privé en prenant en compte de multiples données et en les comparant aux résultats relevés à l’entrée en CP. Bilan ? Les meilleurs résultats obtenus par les écoles du privé sont dus aux caractéristiques sociales et familiales des élèves qu’elles accueillent, ni plus ni moins.

Qui choisit le privé ?

En France, l’enseignement privé concerne 1 élève sur 6 (un sur cinq dans le secondaire et un sur sept dans le primaire). « Cette part situe la France parmi les pays européens dans lesquels l’enseignement privé est le plus présent », dit l’étude. Il apparait que dans le privé « l’élève côtoie des camarades de milieu social plus favorisé que dans le public : 36 % des élèves entrés au CP en 2011 dans une école privée ont un père de milieu social très favorisé contre 17 % des élèves dans une école publique ».

Concrètement, il y a dans le privé deux fois plus d’enfants de chef d’entreprise, deux fois plus de professions libérales, davantage de cadres supérieurs, mais moins d’enfants d’employés et nettement moins d’enfants d’ouvriers.

Par ailleurs, il y a deux fois plus d’enfants dont la mère est sans diplôme dans le public que dans le privé où, a contrario, la majorité des mères a le baccalauréat, contre 2 sur 5 dans le public. Plus le niveau d’étude parental s’élève, plus on trouve l’enfant dans le privé.

Enfin, il y a dans le privé deux fois moins d’élèves ayant au moins un parent immigré et deux fois moins d’élèves issus d’une famille monoparentale.

Comme le résume l’étude, citant des travaux menés par la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance), « les élèves choisissant le privé se distinguent en général par un contexte familial plus favorable à la réussite scolaire, qui se décline suivant plusieurs critères : les parents y sont de milieux sociaux plus aisés, plus diplômés, et aussi, leur implication dans la scolarité des enfants est plus forte ».

On est donc en droit, logiquement, d’attendre de l’école privée une réussite supérieure.

Un faible écart de niveau, déjà là au départ 

Les auteurs de l’étude sont très clairs s’agissant des écarts de résultats entre élèves scolarisés dans le public et élèves scolarisés dans le privé. Comme les précédentes études françaises consacrées à ce sujet, ils constatent également des écarts « bruts » plutôt à l’avantage du privé. Mais, une fois tenu compte des caractéristiques des élèves, ces résultats « ne diffèrent guère ». « Selon nos résultats, que ce soit en français ou en mathé­matiques, les élèves scolarisés dans un établissement privé en CP et en CE1 ont en moyenne, et à caractéristiques données (sexe, origine sociale, ou niveau scolaire à l’entrée en CP), des résultats qui ne s’écartent pas significativement de ceux obtenus par les élèves scolarisés dans un établissement public. Les meilleurs résultats apparents des élèves scolarisés dans le privé proviennent notamment de leur appartenance plus fréquente aux classes moyennes et supérieures ».

Concrètement le score global de bonnes réponses à l’entrée en CP est de 71,7% dans le public et 74% dans le privé, soit un écart de 2,3%. Aux tests de CE2, le score en français des élèves du public est de 68,4%, contre 70,8% dans le privé, soit un écart de 2,4%. Entre le CP et le CE2, l’écart n’a pas varié. En mathématiques, le score dans le public est de 67,2% de bonnes réponses contre 68,4% dans le privé, soit un écart de 1,2%.

Les auteurs de l’étude notent même un « effet négatif de la scolarisation dans le secteur privé sur les tests mathématiques passés en CE ». « Cet écart peut surprendre, poursuivent-ils, mais il est toutefois cohérent avec les travaux précédemment réalisés ». L’écart de départ en faveur du privé « disparait si on tient compte du niveau scolaire et social en moyenne plus élevé des élèves scolarisés dans le privé. Il peut alors même s’inverser et faire apparaitre un avantage apparent pour les élèves du public ».

Au total, « la scolarisation dans le secteur privé en début de scolarité élémentaire n’a pas d’effet significatif, positif ou négatif, sur les résultats aux tests de mathé­matiques et de français passés en CE2 », d’après les auteurs, qui ajoutent que leurs résultats « contredisent certaines idées préconçues (…) selon lesquelles le secteur privé serait favorable aux élèves ayant des difficultés scolaires ou issus de milieux sociaux modestes ou défavorisés ».

Le privé a juste des élèves un peu meilleurs

Les résultats de l’étude rejoignent ceux d’autres chercheurs français (Tavan en 2004, Valdenaire en 2011, cités dans l’étude), mais aussi, comme le rappelle le Café Pédagogique, ceux de l’OCDE, qui montrent que les performances des écoles publiques sont aussi bonnes que celles du privé, à situation sociale équivalente, en France (où l'écart est "non significatif") comme ailleurs : « Ainsi, après contrôle du milieu socio-économique des élèves et des établissements, les établissements privés ne l’emportent plus sur les établissements publics que dans 8 pays et économies, et les établissements publics l’emportent sur les établissements privés dans 12 pays et économies. Les établissements privés – et les établissements publics dont les élèves sont issus de milieux socio-économiques plus favorisés – procurent donc un avantage aux élèves qui les fréquentent, mais rien ne suggère que les établissements privés contribuent à rehausser le niveau de performance du système d’éducation dans son ensemble ».

Pour reprendre l’exemple de la présente étude, si le niveau brut des élèves du privé est un peu meilleur après les deux premières années de scolarité de primaire, c’est tout simplement qu’il l’était déjà au départ, en raison des caractéristiques sociales et familiales favorables les concernant. En deux ans de scolarité, l’écart de niveau avec les élèves du public ne s’est pas creusé, il est resté stable. L’école privée, pourtant dotée d’élèves un peu meilleurs au départ, n’a pas fait fructifier cet avantage. On aurait pu penser, en toute logique, que l’écart de départ allait augmenter au fil des années, l’école privée mettant en présence davantage d’élèves issus de milieux sociaux et de contextes familiaux plus favorables à la réussite scolaire. Et bien non.

L’école privée ne propose pas un enseignement meilleur que celui dispensé par l’école publique, l’école privée ne fait pas progresser les élèves en difficulté ; elle a simplement des élèves un peu meilleurs, à la base. Les mêmes élèves auraient eu une progression similaire s’ils avaient été dans le public, plutôt que dans le privé.

 

Nota : L’étude éclaire aussi sur les critères de choix de l’école, privée ou publique. Les auteurs ont eu l’idée de comparer la distance de l’école publique la proche du domicile familial et celle de l’école privée la plus proche, et d’étudier l’impact de l’écart de distance sur le choix de l’une ou de l’autre. Leur conclusion est la suivante : dans l’élémentaire, « lorsque l’école privée la plus proche est plus éloignée du domicile que l’école publique la plus proche, l’élève est plus souvent scolarisé dans une école élémentaire publique ». Comme le note François Jarraud dans le Café pédagogique : « Autrement dit, la densité du réseau des écoles publiques est un critère déterminant de son choix. Diminuer cette proximité ne ferait que renforcer l'école privée ». Voilà qui résonne particulièrement, au moment même où les fermetures de classes et d’écoles se multiplient dans le monde rural, où le critère de proximité est encore plus déterminant qu’ailleurs dans le choix de l’école…

Nota 2 : je vous renvoie aussi à ce précédent post, intitulé "Arrêtons de comparer l'école publique aux écoles "alternatives" !", lesquelles sont quasiment toujours des écoles privées.

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