« Ecoles alternatives, écoles traditionnelles, la grande injustice » : c’est le titre d'un post de blog qui a pas mal circulé sur les réseaux sociaux cette semaine et qui m'a particulièrement intéressé. Dominique Resch, prof à Marseille, constate comme beaucoup que « face à la crise que connait le système traditionnel d’enseignement, des écoles alternatives poussent comme des champignons ». Resch n’a rien « contre le principe de créer des écoles parallèles », mais pour lui, « tant que tout le monde n’a pas le droit à l’école différente de son choix pour des questions d’argent, rien à faire, ça coince… ».
Au-delà de ces considérations matérielles, c’est le fond de la proposition alternative qui a intéressé Resch. « Je lis, ici et là, que beaucoup d’entre elles sont « fondées sur le développement personnel de l’élève, l’usage du libre arbitre, de l’esprit critique, et sur la créativité (…). J’en conviens : la participation active des élèves, le fait de « susciter chez eux l’esprit d’exploration et de coopération » sont bel et bien au centre des préoccupations de ces écoles innovantes. Rien à dire là-dessus. Mais ce qui est très déstabilisant pour moi, c’est de voir que je ne fais rien d’autre que cela dans les classes de mon lycée NON alternatif ! ».
Pour Resch, ces écoles alternatives, payantes, ont un point commun, « qu’elles le clament haut et fort et l’écrivent en toutes lettres sur leur plaquette ou qu’elles le taisent comme on cache une botte secrète » : le petit nombre d’élèves par groupe. « Le nombre d’élèves que l’on a devant soi fait toute la différence. A quand l’expérience passionnante qui consisterait à appliquer des méthodes d’enseignement dites « alternatives » à des groupes de 30 élèves et, parallèlement, à appliquer un système dit « traditionnel » à des groupes de 15 élèves ? L'école de la République s'englue, piétine, trébuche, peine à se reformer ? Mettez 15 élèves devant chaque enseignant dans les établissements scolaires gratuits de la République. Elle ne s'engluera plus, ne piétinera plus, et ne trébuchera pas le moins du monde... pour le bien-être de la société entière ».
Comparer ce qui est comparable
Nombre d’élèves dans la classe, mais aussi type de public, donc : celui qui a l’argent et celui qui ne l’a pas. Moi aussi, j'ai envie de dire, à la suite de Resch, "donnez-moi une quinzaine d’élèves, triés par l’argent, c’est-à-dire une classe débarrassée des élèves les plus défavorisés, issus des milieux sociaux les plus bas (qui ne peuvent payer pour de telles écoles et qui sont statistiquement en difficulté à l’école), donnez-moi donc cette classe et je prétends alors que je peux, moi aussi, obtenir des résultats aussi bons que ceux des écoles alternatives, que ma préoccupation à prendre en compte chaque élève, à adapter mon enseignement aux besoins spécifiques de chacun, donnera de beaux fruits !"
Entendons-nous bien, je n’ai rien par principe, moi non plus, contre ces écoles alternatives. Sans doute répondent-elles à un besoin, à une carence de l’Education nationale, qui est une très grosse machine, assez rigide, et qui peine à prendre en compte en son sein la très grande diversité des élèves. C’est sans doute une bonne chose qu’une offre scolaire diversifiée existe, que des méthodes alternatives naissent ici ou là pour proposer autre chose. Sans doute aussi que l’école publique a des choses à prendre et à apprendre de ces écoles en particulier et de l’école privée en général (lire à ce sujet ce papier très intéressant). Je voudrais juste qu’on arrête de comparer ces écoles avec l’école publique, car nos problématiques sont différentes : je n’ai pas seulement pour mission de faire progresser et réussir chacun de mes élèves, mais tous, c’est-à-dire tous ceux qui sont là, y compris ceux qui sont là précisément parce qu’ils ne peuvent, ni ne pourront jamais être ailleurs.
Palmarès des lycées : comment objectiver une comparaison ?
En France on adore comparer, on adore les classements, les marronniers et les tartes à la crème, toutes choses que cristallise à chaque printemps le « palmarès des meilleurs lycées de France ». Longtemps ont figuré en tête de ce palmarès les lycées ayant le meilleur taux de réussite au baccalauréat, seul critère qui vaille (un peu comme le niveau des élèves en dictée a souvent tendance à déterminer à lui seul le niveau de l'école française toute entière). Lycées privés et lycées parisiens trustaient les meilleures places. Et puis, quand on a cherché à comprendre pourquoi ces lycées réussissaient, on s’est aperçu que c'était notamment en raison de la sélection drastique faite à l’entrée en seconde, à l’écrémage en fin de seconde et en fin de première : on ne gardait que ceux qui non seulement auraient leur bac mais les meilleures mentions, les meilleurs résultats. La publication des palmarès accentuant encore le phénomène. Aujourd’hui, 195 lycées obtiennent 100% de réussite au bac. Peut-on dire que l’enseignement qui y est dispensé est meilleur qu’ailleurs ? Quelle grandeur y a-t-il à faire réussir ceux qui ne pouvaient échouer ?
Depuis quelques années, de nouveaux classements font leur apparition qui tentent de prendre en compte d’autres données : taux constaté de réussite et taux attendu, indice de stabilité, capacité à faire progresser les élèves et à les accompagner… Chaque journal, chaque site d’information a donc désormais son palmarès, chacun présente son champion, à la manière des multiples fédérations internationales de boxe qui possèdent toutes un champion du monde. Au moins, chacun tente désormais de comparer ce qui est comparable. Et, si les lycées privés et les grands lycées parisiens sont toujours bien placés, certains palmarès mettent en valeur les lycées à forte valeur-ajoutée, le lycée Henri Wallon d’Aubervilliers, le lycée Mozart au Blanc Mesnil…
Le public du public
On avait consacré, il y a trois ans, un post au marketing d’Acadomia, lequel consistait à dévaluer l’école publique pour mieux valoriser son offre propre d’entreprise de cours extrascolaires : en substance, « l’école publique française est mauvaise, la preuve regardez les classements internationaux, heureusement nous sommes là pour sauver les élèves en difficulté ». On avait alors dit à quel point cela relevait de la tartuferie, puisque la plus grande partie des élèves en difficulté n’auront jamais les moyens de se payer des cours chez Acadomia. Ces élèves-là n’ont que l’école publique. Alors, qu’Acadomia fasse son beurre en prospérant sur l’angoisse scolaire des parents, et me laisse tranquille avec mes élèves en difficulté qui ne l’intéressent pas parce qu’ils n’ont pas d’argent.
J'enseigne dans un quartier favorisé, mais j’ai dans ma classe des élèves de milieux sociaux très divers et le niveau est très hétérogène (particulièrement cette année). Si mon objectif est de faire progresser tous mes élèves, du meilleur au plus en difficulté (je ne fais pas couler de l’eau tiède, j’ai vraiment ce souci), j’accorde une importance et une place particulières aux élèves en difficulté : eux n’ont que moi, ils ne peuvent se payer de cours particuliers, ne sont pas toujours bien suivis chez eux, n’iront jamais dans une école privée, ne bénéficieront jamais d’une école alternative. Ils n’ont que l’école publique. Alors occupons-nous d’eux.
Et pour ceux qui aiment les classements et se repaissent des comparaisons internationales, PISA ne dit rien d’autre : en France, on sait toujours bien former les bons élèves, pas d’inquiétude là-dessus, mais on ne parvient pas à faire progresser les moins bons. Que l’école s’occupe d’eux, et la France montera illico dans les classements.
Nota : quelques lectures, citées dans ce post et sur lesquelles vous n'avez peut-être pas cliqué :
Le post de blog de Resch, cliquez ici.
Le classement des lycées du Café Pédagogique, intéressant dans ses partis pris, cliquez là.
L’article du Nouvel Obs « Pourquoi l’école privée réussit mieux que le public et comment réduire l’écart ? », qui fera grincer des dents mais soulève de vraie questions
Le post sur Acadomia, juste là.
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