Enthousiasmante formation !

Mercredi matin, au lieu de rester un peu au lit puis de jouer à Pic Pirate et au Memory Dinosaures avec mon fils, j’ai déposé ce dernier au centre aéré et je me suis rendu en traînant la patte à une conférence pédagogique.
Vous savez ce que c’est : un peu comme la séance de piscine en plein hiver, on n’a pas franchement envie, mais on sait que ça va nous faire du bien et qu’on sera content en sortant. Enfin, on espère.

Le conférencier du jour, je le connais un peu, du moins son travail. Roland Goigoux, prof d’Université, enseignant et chercheur à l’IUFM de Clermont, grand spécialiste de la lecture. J’ai feuilleté comme beaucoup « Lector & lectrix », j’avais trouvé ça intéressant et je m’étais promis de me pencher dessus en profondeur une autre fois. Bien sûr il n’y a pas eu d’autre fois.

Comme beaucoup, parmi les 600 profs présents, en entrant dans la salle de conférence je pense surtout à mon après-midi à venir, au boulot qui m’attend, au bouquin que je voudrais finir, à la cohue que ça va être dans 3 heures quand il faudra signer les feuilles de présence. Bref, j’ai l’intellect au ralenti, le neurone mollasson, une bonne grosse paresse collant au corps et à la tête.

« Enseigner la compréhension », par R. Goigoux, voyons voir.

 

Réveil neuronal

… En moins de dix minutes, me voilà parfaitement réveillé, l’oreille dressée, l’œil vif (Powerpoint oblige), le cortex en pleine bourre. Par la grâce d’un discours très bien construit, parfaitement clair, prononcé d’une voix chaleureuse, proche, enjouée sans excès, le conférencier a immédiatement capté son auditoire. Durant 3 heures continues et très denses, nous allons plonger dans les mécanismes de la lecture et de la compréhension, rappels théoriques à l’appui, avec renvoi aux évaluations nationales et internationales afin de comprendre ce qui coince en France, nous allons partager les travaux concrets de l’enseignant-chercheur, ses expériences pratiques en classe, nous allons nous interroger sur leurs résultats, nous allons nous mettre dans la peau des élèves découvrant un texte, réfléchir sur nos propres stratégies pour redécouvrir les leurs, nous allons parfois, aussi, être mis face aux manques de notre enseignement, gentiment invités à nous remettre en cause et à modifier nos pratiques …

Je griffonne à toute vitesse sur mon bloc-notes : les renvois théoriques me passionnent, m’éclairent, les allusions aux chiffres des évaluations m’instruisent, les exemples de séances menées en classe me stimulent ; en même temps que je note ce que je souhaite ne pas oublier de la conférence, j’ai l’idée d’une séquence à mettre en place dans ma classe, me voici avec une deuxième feuille, à jongler entre les mots de Goigoux et les miens propres, les idées du conférencier et celles qu’il m’inspire et que je ne veux pas voir s’envoler, tant je sens qu’elles peuvent être fécondes pour ma classe, mes élèves.
Bientôt ce sont d’autres idées encore qui me viennent, plus éloignées de la lecture, des détails parfois, un petit changement concernant les dictées, une originalité à tenter en grammaire ; en voilà encore une autre, qui me permettra d’articuler rédaction et lecture de manière dynamique et porteuse, si je parviens à concrétiser mon intuition…

La conférence s’achève par une salve d’applaudissements, je me lève et suis le flot de profs qui s’écoule tranquillement par les quelques portes battantes de la salle avant de patienter devant les feuilles d’émargement. De nombreux collègues sont encore dans la salle, pas pressés de sortir.
Dans ma tête ça s’est un peu calmé, mais j’ai hâte : cet après-midi, je dois absolument relire mes notes, mettre tout ceci au clair, noir sur blanc, rédiger dans le détail le contenu des séquences de classe qui me sont venues, histoire de les mettre en pratique dès que possible.

df

Nourrir enthousiasme et créativité

… En creux, durant la conférence, m’est apparu une fois de plus et par l’exemple, à quel point il est décisif pour les enseignants de pouvoir se décentrer, sortir de leur classe, mettre leur pratique à distance, tenter d’objectiver leur enseignement, et dans ce mouvement même de remise en question faire naître ce qui va maintenir cet enseignement vivant et fertile. Ceci bien sûr n’est possible qu’à trois conditions : que l’enseignant soit prêt à ce mouvement réflexif, qu’il y soit aidé et invité par un tiers titulaire d’expertise réelle, qu’une formation continue digne de ce nom existe donc qui mette les deux en présence.

Pour le dire autrement, si l’enseignant ne veut pas confire dans son habitus, il doit voir autre chose que sa classe dans laquelle il court le risque, structurel, de s’enliser dans le temps. Peut-être plus encore que d’autres professions, la notre exige que nous soyons régulièrement stimulés intellectuellement, psychologiquement, humainement : parce que nous ne voyons que des enfants toute la journée en autarcie, parce que nous n’avons personne pour nous aiguiller et nous aiguillonner au quotidien, parce que la nature même de notre travail nous impose la répétition, donc la routine.

Considérant ces spécificités, d’autres déduisent qu’il est nécessaire de veiller à ce que les profs travaillent (ces flemmards), et qu’il faut les mettre sous surveillance : multiplication des procédures administratives d’encadrement de leur travail, évaluation verticale des enseignants, publication des résultats des évaluations nationales sensées juger leur enseignement, obligation de présence dans les établissements…

Et s’il existait une autre voie que cette politique prescriptive confinant les enseignants dans une forme d’immaturité, une voie qui ne soit pas de l’ordre du coercitif, du contrôle, de la surveillance, de la défiance ? Une voie qui privilégierait la confiance, l’incitation, la stimulation, qui miserait sur la maturité et la déontologie, la vocation et le dévouement des enseignants, qui les mettrait dans des conditions qui entraîneraient d’elles-mêmes leur activité, leur dynamisme, leur vitalité ?...

On veut des profs et un enseignement vivants, actifs, créatifs, performants, énergiques, entreprenants ?
Donnez-nous alors les moyens de nous enthousiasmer ! Offrez-nous les contextes qui vont nous revigorer ! Excitez notre curiosité, notre intellect ! Réveillez nos envies de didactique, de pédagogie !
Proposez-nous des formations tonifiantes, menées par des sachants compétents, il en existe plein ! Permettez-nous de partagez nos expériences entre profs, d’échanger sur nos pratiques, car au quotidien nous n’avons plus le temps de nous voir et encore moins pour discuter du fonds ! Envoyez-nous de temps en temps passer une demi-journée dans une autre classe, voir ce qui s'y pratique !
Les directeurs, les principaux, les proviseurs : plutôt que d'en faire des condensés de surveillants généraux, des supers matons, faites-en des chefs d’équipe, de vrais « managers », puisque ce mot vous plaît : c’est-à-dire des leaders de réflexion et d’action dont le rôle est de tirer le meilleur de tous ! Encouragez-les à être moteur dans la vie de l’équipe éducative, à provoquer dynamisme pédagogique et dialogue fécond, à susciter émulation saine et vivifiante mise en commun !

Il y a un préalable à tout cela : il faut envisager le monde enseignant positivement.
Il sera temps ensuite de considérer que la formation, initiale mais aussi continue et nécessairement liée à la recherche universitaire, est l’une des garanties de la qualité et de la vitalité des enseignants, donc de leur enseignement.

df

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