Acadomia, l'imposture faite à l'échec scolaire

(Crédit AFP)

Revoici Acadomia, l’entreprise de soutien scolaire : la nouvelle campagne de pub, très astucieuse, joue insidieusement la carte de la dévalorisation de l’école.

Après la sarkozie, la pédagogie

On se souviendra peut-être qu’il y a quelques années, la firme de soutien scolaire avait frappé fort en annonçant qu’elle rembourserait tout élève de terminale qui ne décrocherait pas son bac après avoir suivi le programme de soutien scolaire d’Acadomia. Un effet de manche qui s’appuyait sur la certitude à 82% que le client aurait son bac (puisque c’est le taux de réussite nationale !), mais aussi sur de savants astérisques dans le contrat qui limitaient de manière conséquente les risques pour la compagnie.

On était en pleine sarkozie, c’était l’heure du « travailler plus pour gagner plus », des idéaux néolibéraux et du MEDEF rayonnant et Acadomia surfait sur la vague du libéralisme en empruntant le jargon de l’entreprise : « satisfait ou remboursé », « obligation de résultats », « investissement »…

Pas folle la guêpe, nous sommes maintenant sous un gouvernement de gauche, le ministre de l’Education Nationale est pédagogue, Ferdinand Buisson est revenu sur le devant de la scène, il faut désormais montrer qu’on a compris les élèves pour de vrai. Alors Acadomia fait dans l’approche pédagogique et humaine. A première vue.

Idées reçues

La campagne d’Acadomia est franchement maline (il faut dire que le budget pub de la firme représente 20 % de son budget, d’après  le magazine Stratégies). Le principe, décliné sur différents slogans, est simple et très efficace : une phrase débute comme une idée reçue et s’achève par une pirouette qui lui donne un tout autre sens, bien plus humain.

Voici trois affiches que j’ai photographiées dans le métro.

Acadomia - quand un élève

Acadomia - si un élève

 

 

 

 

 

 

 

 

IAcadomia - un élève en difficultél y a, pour chacune de ces trois affiches, un enchaînement naturel : 1. on reçoit la première pensée, un lieu commun : « si en élève est en difficulté, la meilleure solution est de redoubler », « un élève en difficulté est un élève ignorant », « quand un élève ne progresse pas, il faut abandonner » ; autant d’idées reçues qu’on peut entendre ici ou là, fausses vérités vite prononcées et mal pensées. 2. On reçoit alors le second sens : au lieu commun se substitue une pensée nettement plus féconde, comme une voie à suivre : il faut en fait redoubler d’attention, valoriser les points forts de l’élève, abandonner les méthodes qui ne conviennent pas. 3. La solution pour suivre cette voie irradie l’affiche entière, elle réside dans l’omniprésence de l’orange surmontée du logo d’Acadomia.

En d’autres termes, le message est : laissez de côté le faux bon sens, ouvrez-vous à la vérité ; ne vous en tenez pas au premier diagnostic superficiel, passez la surface et allez au fond des choses ; quittez les clichés d’un autre temps, réactionnaires, déconnectés du monde réel, et entrez dans une pensée moderne fondée sur une pédagogie humaniste.

On est loin des slogans libéraux issus du monde de l’entreprise ! Chez Acadomia, le changement, c’est maintenant.

Un coupable : l’école

Et puis, en filigrane, il y a un autre message, délivré par la symétrie sémantique du slogan. Car s’il y a, à l’extrémité positive, la solution Acadomia, c’est bien qu’il doit y avoir, à l’autre extrémité – négative – un problème… Ce problème n’est pas nommé, il est suggéré, il est présent en creux, il brille par son absence : c’est l’école de la République. Ce que suggère l’affiche Acadomia, c’est que non seulement l’école est responsable, sinon coupable de l’échec scolaire de l’enfant, mais elle est également coupable de ne pas savoir diagnostiquer le problème et encore moins d’y remédier, parce qu’elle se limite à la surface des choses, où le lieu commun, la première pensée et le cliché tiennent lieu de réflexion. Pire, elle est coupable d’aggraver le problème initial en prononçant une sentence (« redoubler… », « ignorant… », « abandonner… ») contre l’élève qui lui interdit tout espoir.

Bien sûr tout ceci est allusif dans les affiches de la campagne publicitaire. Mais il suffit de parcourir les brochures disponibles en agence pour constater que le coupable n’est plus évoqué de manière détournée mais bel et bien clairement nommé :

Chez Acadomia

On comprend bien que si Acadomia veut vivre, il lui faut inscrire dans les esprits qu’elle est la solution, la réparatrice, et il lui faut donc un problème, une destructrice, laquelle ne peut être que l’école. Il est décisif pour Acadomia que les résultats de l’école soient en baisse, l’insécurité scolaire en hausse, il est donc primordial que l’école perde la confiance des parents d’élèves. D’où le recours à des enquêtes comme PISA grâce auxquelles il est facile d’établir, avec quelques chiffres bien sentis, l’incompétence et l’incapacité de l’école française.

Heureusement, Acadomia va sauver les élèves en difficulté.

Difficulté scolaire, philanthropie et grand capital

Evidemment, Acadomia a raison. L’école française ne va pas très bien, elle est en effet mal classée dans tous les classements internationaux de réussite, elle ne parvient plus à diminuer les inégalités de départ mais les renforce même, et ne sait plus se remettre en cause, ni comment empêcher 150 000 élèves de sortir du système chaque année. Tout ceci est vrai. L’école est responsable.

Cependant la première manipulation d’Acadomia est faire croire que l’école est responsable de tous les échecs, et entièrement de tout échec. Ceux qui enseignent sur le terrain savent bien que la plupart du temps l’échec scolaire est multifactoriel et ne se résume pas à un problème de méthode ou de professeur ou d’attitude. Mais pour Acadomia, il est décisif de faire croire n’y a pas d’autre explication à l’échec scolaire que l’école elle-même, sans quoi l’échec risque de se perdurer ailleurs – chez Acadomia, allez savoir !

La deuxième manipulation de la firme de soutien scolaire relève de l’imposture. C’est qu’Acadomia voudrait faire croire qu’elle fonctionne comme une association philanthropique ou de généreux bénévoles viennent donner de leur temps pour aider gracieusement les élèves en difficulté, quand elle ne s’intéresse en réalité qu’aux élèves ayant les moyens. Or, très souvent, c’est même une caractéristique du système scolaire français qui n’arrive pas à combler les inégalités de départ, les élèves les plus en difficulté sont issus de milieux défavorisés et n’ont sûrement pas l’argent pour se payer les cours d’Acadomia – laquelle, entreprise cotée en Bourse, ne s’intéresse très logiquement pas à eux. Pour ces élèves-là, le seul espoir réside dans l’école de la République. Ou dans des associations d’aide aux devoirs, au soutien scolaire, à l’alphabétisation, etc. Ces associations existent, elles sont gratuites, ce sont elles qui font réellement ce qu’Acadomia prétend faire.

C’est que le marché du soutien scolaire, aussi appelé marché de l’angoisse scolaire, vaut en France 2,2 milliards d’euros par an, record d’Europe loin devant l’Allemagne (1,5 milliard). Auteur en 2011 d’une recherche sur la question, Mark Bray est très clair : "le soutien scolaire privé ne consiste pas tant à offrir un soutien à des élèves ayant réellement besoin d'une aide qu'ils ne peuvent pas trouver à l'école, que de maintenir les avantages concurrentiels des élèves privilégiés qui réussissent déjà"

Acadomia, lobbying et insultes

Il n’est pas inintéressant de se pencher sur l’historique d’Acadomia, leader incontesté du marché du soutien scolaire en France. On se contentera de rappeler ici les deux plus saisissantes histoires liées à la firme, ces dernières années (pour aller plus loin, ce lien).

Lobbying pour empêcher une Loi gênante

En 2009, en pleine chasse aux niches fiscales, un amendement est déposé afin de supprimer « le crédit d’impôts offert aux familles consommatrices de cours privés à domicile, autorisées jusque là à déduire de leur déclaration d’impôts 50% de leurs dépenses parascolaires ». Acadomia vit notoirement de cette niche fiscale (estimée à 300 millions d’euros par an) réservée aux foyers imposables et excluant donc de fait les plus nécessiteux. Acadomia crée alors un cabinet de lobbying afin de défendre ses intérêts : elle fait notamment valoir qu’elle lutte contre le marché noir et crée des emplois (lire le détail très intéressant de l’affaire ici, et aussi ). Au final, l’amendement est retiré, victoire d’Acadomia. Le plus fort est que la firme affirme haut et fort que seuls des professeurs et étudiants déjà sur le marché de l’emploi (question de crédibilité) peuvent être recrutés. Elle ne crée donc que peu d'emplois.

Fichage et « saloperie de gamin »

On se souvient également qu'en 2010, l'entreprise avait été épinglée par la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés). Première raison, révélée à l’époque par le Parisien : Acadomia avait "oublié de demander une autorisation préalable de constituer des fichiers nominatifs sur les enseignants qui postulent. Or sa base Sranet (conservée sans limitation de durée, ce qui est illicite) comporte des données sur 52 618 candidats « recrutés », mais aussi sur 179 763 candidats « non recrutés ». Un autre fichier Seanet garde notamment en mémoire les fiches de 131 704 enseignants « démissionnaires » d'Acadomia". Deuxième raison, la nature privée des renseignements inscrits sur ces fiches, concernant les enseignants, voire leurs proches (« hospitalisé en urgence pour une tumeur cancéreuse », « il pue », « père en prison », « maman a un cancer de l'utérus »…), mais aussi les clients (« père gros con », « la maman s’est teinte en blond et n’importe comment », « saloperie de gamin »…). Le terme « conne » apparaît 212 fois, « salope » 10 fois, « crétin » 15 fois. Circonstance aggravante, comme le note la CNIL, ces pratiques et commentaires sont « d'autant plus intolérables qu'ils émanent d'une société censée faire de la pédagogie ». La firme s’en tire avec un avertissement…

L’affaire a vraisemblablement dû calmer Acadomia, on n’en avait plus entendu parler depuis trois ans. La revoici, mezza voce.

 

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