Coup sur coup, un rapport complet et un sondage sont venus éclairer le monde enseignant de manière intéressante en donnant un coup de projecteur sur ceux qui constituent l’avenir de l’éducation nationale : le Cnseco a rendu son rapport sur l’attractivité du métier en faisant la part belle aux étudiants engagés dans les concours de profs ; le Snuipp, premier syndicat du primaire, a quant à lui publié son sondage trisannuel sur les jeunes profs des écoles (moins de 5 ans d’ancienneté).
De plus en plus de jeunes profs ont eu une autre expérience professionnelle avant d’enseigner
La masterisation est bien installée : 79% des jeunes instits ont désormais un bac +5, contre 21% en 2013. Pour 42%, le souhait de devenir instit remonte à l’enfance ou l’adolescence (le rapport du Cnesco indique que 25% des étudiants souhaitant enseigner en primaire ont conçu leur vocation durant leur propre primaire). A l’opposé, 32% des jeunes instits déclarent avoir voulu entrer dans le métier après une première expérience professionnelle, et 21% lors de leurs études. En 2013, c’était l’égalité parfaite entre ces deux profils : 25%. Cette évolution est confirmée dans le temps, en 2001 les instits ayant eu envie de le devenir lors de leurs études représentaient 31% des jeunes instits, alors que 15% en avaient conçu l’idée après une première expérience professionnelle.
Les chiffres du rapport du Cnseco diffèrent mais montrent la même évolution : « en 2015, 25 % des admis au concours de professeur des écoles étaient salariés du public et du privé ou demandeurs d’emploi. Ils étaient 16 % dans le secondaire. Cette proportion est en nette hausse ces dernières années. Ainsi, si l’on considère les seuls salariés du secteur privé ou public présentant un concours de professeur des écoles, ils représentaient 8,4 % des admis en 2005, contre 14,9 % en 2015. » Une chose est sûre, le nombre d’instit ayant eu une expérience professionnelle augmente très sensiblement, il a doublé en une décennie. Le reproche fréquemment fait aux instits de ne pas connaitre une autre réalité du travail ou de n'avoir jamais quitté l’école ne tiendra bientôt plus.
Ces jeunes instits se voient moins qu’avant enseigner toute leur vie : ils étaient 40% en 2004 à penser faire la même chose dans 15 ans, ils ne sont plus que 33%, et 14% pensent qu’ils auront changé de métier (8% en 2001).
En ces temps difficiles on pourrait penser que la sécurité de l’emploi ou les vacances sont parmi les moteurs de ces nouveaux instits, mais quand on regarde les raisons qui les ont poussés à enseigner, on constate que le rythme de travail (vacances, horaires…) n’est évoqué que par 26% d’entre eux. Les deux principales raisons évoquées sont l’attirance pour le métier d’enseignant, en augmentation (74% contre 66% en 2001) et le désir de travailler avec des enfants, en baisse (57% contre 70% en 2001).
Les étudiants se destinant à l’enseignement en primaire citent également leur intérêt pour les jeunes enfants (72%) et le caractère pluridisciplinaire de l’enseignement en primaire (68%). « Les étudiants considèrent le métier d’enseignant comme porteur de sens : goût pour la discipline enseignée, transmission des savoirs, transmission des valeurs et contact avec les jeunes générations. Les conditions d’exercice, comme la sécurité de l’emploi ou le temps libre et les vacances, apparaissent peu comme des facteurs déclarés d’attractivité du métier », souligne le rapport (temps libre, vacances 7,5%, sécurité de l’emploi 5,6%).
Satisfaits de leurs débuts dans le métier, mais surpris par le travail et l’impact sur la vie personnelle
Globalement, les jeunes instits sondés sont satisfaits de la façon dont se passe leur entrée dans le métier (60%), mais moins que ceux sondés en 2004 (77%). 71% se disent satisfaits par rapport à ce qu’ils attendaient du métier, c’est important même si la baisse est réelle (87% en 2001). 71% se disent en revanche insatisfaits de leur formation professionnelle et estiment que la formation continue va plutôt dans le mauvais sens.
Le rapport du Cnseco insiste d’ailleurs sur ce point : « la France est marquée par l’absence de formation continue annuelle obligatoire pour les enseignants, contrairement à d’autres pays européens. En 2015, la Cour des comptes a dressé un bilan récent global très sévère d’une formation continue peu ambitieuse. Selon la Cour des comptes, les enseignants français (…) ont trois fois moins de formation continue que les enseignants des autres pays de l’OCDE, nombre d’entre eux imposant un quota minimum de formation obligatoire. Ce manque de formation continue et de réponse aux attentes des enseignants constitue un enjeu pour l’attractivité du métier et la possibilité d’évoluer tout au long de la carrière.»
Si les principales satisfactions professionnelles concernent les élèves, leur réussite (63%), les relations avec eux (60%), le fait de transmettre des connaissances (53%), l’autonomie pédagogique (39%), les jeunes instits identifient très clairement les manques ressentis lors de leurs débuts dans le métier : manque de connaissance de la réalité d’une classe (39%), manque de connaissances pédagogiques (30%), manque d’accompagnement pédagogique (28%), méconnaissance de la charge de travail (28%), manques dans la gestion de groupe (28%).
Les jeunes instits sondés sont par ailleurs pour le moins surpris par le temps que le travail de préparation : 65 % d’entre eux le citent comme principal problème rencontré au quotidien (50% en 2001). Le rapport du Cnesco note que les étudiants se destinant à l’enseignement, s’ils « ont une estimation très réaliste du temps de travail d’un enseignant, surestiment, cependant, le temps d’enseignement et minorent celui des autres activités en dehors de la classe (préparation des cours, correction des copies, …), alors qu’elles représentent un temps important, particulièrement en début de carrière » ; il rappelle aussi que seulement « 57% du temps de travail d’un professeur des écoles se passe devant élèves ».
Voilà sans doute pourquoi la charge de travail est l’une des plus grandes différences que les jeunes instits perçoivent entre l’idée qu’ils se faisaient du métier et la réalité (54% contre 33% en 2001 !), avec les implications dans la vie privée (60%, contre 40% en 2001 !). Les écarts importants avec 2001 posent question : la charge de travail et l’impact sur la vie privée sont-ils plus forts qu’il y a 15 ans, ou bien les futurs instits la sous-estiment-ils davantage ?
Les autres désillusions concernent l’hétérogénéité des classes (43%), les moyens matériels (42%). Les différences de niveaux au sein des classes sont également citées comme deuxième principal problème au quotidien (62%, contre 51% en 2001), à mettre en lien avec l’échec persistant de certains élèves (54%) et les comportements violents 43% (26% en 2004). On perçoit ici le sentiment d’impuissance qui peut, comme des autres, s’emparer des jeunes instits.
Il est intéressant de noter que les étudiants se destinant à l’enseignement anticipent des difficultés qui ne sont pas citées en premier par les jeunes instits : la gestion du comportement des élèves en classe arrive largement en tête (30,8%, une seule réponse possible) chez les étudiants, qui sont également travaillés par les relations avec les parents (14%), mais la difficulté à faire progresser tous les élèves, qui constitue l’une des plus grosse désillusion des jeunes instits, est citée par moins d’un étudiant sur cinq, et la charge de travail n’est que peu évoquée (6,3%).
Contre l’échec scolaire, le « retour aux fondamentaux » et le redoublement ?
L’école est de moins en moins perçue par les jeunes instits comme le meilleur moyen d’ascension sociale pour un enfant issu d’un milieu modeste (ne l’est plus : 17% contre 6% en 2001 ; l’est toujours : 30% contre 42% en 2001). Autre signe de pessimisme, 60% d’entre eux pensent que la réussite de tous les élèves est un objectif qui ne peut pas être atteint (54% en 2001), contre 39% qui pensent qu’il peut l’être. Toutefois depuis 2010 la courbe s’inverse, puisqu’ils étaient alors 69% à se déclarer négativement contre 30% positivement.
Cependant 94% des jeunes instits pensent que la réussite de tous serait possible dans une école transformée (85% en 2004). Une manière de dire que l’école doit évoluer, qu’ils en sont conscients mais subissent, eux aussi, cette école qui ne fonctionne qu’imparfaitement.
Parmi les causes identifiées de l’échec scolaire, celles directement relatives au fonctionnement de l’école sont en hausse : 83% citent les effectifs trop importants par classe (63% en 2001), 36% des programmes trop chargés (9% en 2001, mais 51% en 2013). Inversement les causes extérieures à l’école sont en baisse : 47% citent la situation sociale des familles (61% en 2007), 40% l’écart entre les références culturelles de l’école et celles de l’école (50% en 2004), 22% seulement le manque de disponibilité des parents (47% en 2001). L’influence négative de la télévision est en hausse, 5% en 2001, 16% en 2016.
Face à l’échec scolaire, les jeunes instits sont partagés : 48% pensent qu’il faut recentrer l’enseignement sur les fondamentaux, contre 51% qui sont contre. En 2001, ils étaient seulement 16% à appeler de leurs vœux ce retour aux fondamentaux (ici il faut rappeler que la France est le pays de l’OCDE qui accorde le plus de temps hebdomadaire aux fondamentaux en primaire, 58% du temps scolaire y est consacré contre 37% en moyenne dans l’OCDE). De même, la suppression du redoublement ne fait pas recette chez les jeunes instits : 65% d’entre eux ne sont pas favorables à la limitation des redoublements, ils ne sont plus que 32% à penser que c’est au contraire une bonne chose, contre 48% en 2010 (des études comme PISA ont pourtant établi depuis des années que les pays à forts taux de redoublement affichent de moins bonnes performances).
La baisse des effectifs est largement plébiscitée, à 83%, de même le « plus de maitres que de classes » (48%) et le travail en petits groupes d’élèves (47%). Le suivi individualisé des élèves en difficulté recueille moins de suffrages qu’avant (31% contre 52% en 2007), les APC (activités pédagogiques complémentaires) sont insatisfaisantes pour 76%. La nécessité d’innover sur le plan pédagogique est en hausse (26% contre 10% en 2007).
Retour aux fondamentaux et redoublement, mais augmentation de la nécessité d'innover sur le plan pédagogique, on retrouve cette ambivalence dans la vision que les jeunes instits ont de leur manière d'enseigner : 57% d'entre eux cherchent plutôt à utiliser des méthodes innovantes (45% en 2010), 40% font plutôt confiance aux méthodes qui ont fait leurs preuves (49% en 2010).
Les jeunes instits se rassemblent en revanche sur la réforme des rythmes scolaires : ils sont 82% à penser qu'elle n'est pas satisfaisante.
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Le rapport du Cnesco est lisible dans son intégralité ici, mais la synthèse est très complète. L'étude portant sur les étudiants se destinant à l'enseignement a été menée auprès de 1 103 étudiants de troisième année de licence. Ces derniers sont issus de cinq filières d’études différentes : l’Anglais, l’Histoire, les Mathématiques, les Sciences de l’Éducation et les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT). L’enquête a été organisée en septembre 2015 sur six sites (universités Montpellier 1 et 2, universités Rennes 1 et 2, université Paris Ouest et université Paris-Sud).
Le sondage Harris pour le SNUipp a été réalisé en ligne du 19 mai au 13 juin 2016, auprès de 1639 professeurs des écoles ayant cinq ans ou moins d’ancienneté partir d’un fichier de contacts fourni par le SNUipp.