Dans son dernier rapport annuel, le médiateur de l’Education Nationale aborde de front la question des Ressources Humaines dans l’école française. Après le système d’affectation des enseignants, largement interrogé par le médiateur (voir le post de la semaine dernière), voici un deuxième focus, sur la question un peu tabou des « risques psychosociaux », facteurs du mal-être enseignant. La problématique est perçue assez finement par le médiateur, qui pointe les améliorations possibles.
Risques psychosociaux : écouter la souffrance
Le terme de risque psychosocial (RPS) désigne « un ensemble de phénomènes affectant principalement la santé mentale, physique et sociale des personnels, phénomènes engendrés par les conditions de travail et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».
D’emblée, le médiateur insiste sur l’importance du phénomène : « Avec 12 % des requêtes adressées par les personnels traitant de l’organisation du travail et des relations professionnelles, le sujet n’est pas mineur. Comme dans toute organisation structurée, le niveau de cet indicateur clignote comme une alerte et témoigne d’incompréhensions sinon de mal-être. Ceux sur lesquels s’appuie l’École pour faire « grandir » les élèves doivent avoir confiance en elle et se sentir sécurisés. L’École doit savoir écouter la souffrance qu’induit l’exercice d’un métier d’autant plus difficile qu’il subit de profondes mutations, en rupture avec la culture scolaire qui imprègne ceux qui l’exercent. »
L’institution a un devoir de bienveillance envers son personnel, rappelle le médiateur : « La bienveillance que l’École doit à ses élèves, elle la doit aussi à ses agents. En la matière, l’occasion est donnée de rappeler que le médiateur n’est ni procureur ni avocat, mais il appelle tous les niveaux de l’administration scolaire et universitaire à porter une attention particulière à cette problématique, pour agir en prévention plutôt qu’en remédiation. La prévention des risques psycho-sociaux ne peut pas rester au niveau du texte ou à la pose des cadres d’actions. »
Pour le médiateur, le mal-être enseignant reste un sujet sous-traité. « Un rapport d’information rédigé au nom de la commission de la culture de l’éducation et de la communication du Sénat (…) établit le constat que la souffrance ordinaire des enseignants reste largement invisible de l’institution scolaire et de la hiérarchie administrative. Il montre combien les enseignants peuvent être démunis face à la difficulté scolaire, combien l’établissement scolaire s’avère un lieu d’interactions complexes ».
Plus loin, le médiateur explique que, « loin du « sacerdoce » et de la « vocation », le métier d’enseignant s’est profondément modifié au cours de ces dernières années, imposant la définition d’une nouvelle professionnalité. L’hétérogénéité des classes, l’insuffisante préparation à aborder des publics divers, l’introduction d’autres modes de transmission des savoirs brisant un monopole plus que séculaire, des relations tendues avec des parents, une formation qui n’a pas préparé à des pratiques qu’imposent les évolutions pédagogiques nécessaires et une considération négative du métier portée par des citoyens et relayée par des médias, fragilisent de plus en plus d’enseignants. »
A l’administration, le médiateur donne des raisons pragmatiques de s’occuper du bien-être des enseignants : « Ne pas agir pour traiter la souffrance des enseignants c’est s’exposer à donner une image dégradée du métier au risque d’en réduire encore plus son attractivité. Il ne faut également pas perdre de vue que le bien-être des élèves dans un établissement scolaire passe par le bien-être des enseignants. Il faut voir là les conditions qui président à l’élaboration d’un bon climat scolaire. »
Harcèlement, placardisation et burn out
Le médiateur rend compte de la diversité des RPS, du « plus préoccupant aux formes moins visibles ».
Le harcèlement moral, un phénomène qui « peut se traduire par la « placardisation » d’un agent qui voit sa fonction d’encadrement supprimée, ses outils de travail retirés (ordinateur supprimé, bureau déménagé), qui n’est plus convié aux réunions de service. » Le harcèlement sexuel est rare mais il existe, et le médiateur note que de tels faits ont du mal à être portés à connaissance. Il renvoie à des études connues sur le sujet : « En 2013, une enquête sur le climat scolaire dans le second degré a été menée par la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, sous la direction d’Éric Debarbieux (…). 10,5 % des enseignants estimaient avoir souffert de harcèlement dans l’exercice de leurs fonctions durant l’année scolaire et 21,9 % avant cette année scolaire. »
Mais le harcèlement est loin d’être la seule forme de RPS : « Si les cas de harcèlement moral ou sexuel relèvent d’une volonté de nuire ou de faire pression, d’autres risques psychosociaux, peuvent être liés à un excès de travail, un manque de personnel, un management inapproprié, une réforme ou une réorganisation. » Ces risques psychosociaux « peuvent se manifester sous d’autres formes plus souterraines allant du mal-être, du stress, aux agressions physiques ou verbales, voire à l’épuisement professionnel (burn-out). Les conséquences pour la santé peuvent être multiples et plus ou moins graves (neurologiques, psychiatriques, psychosomatiques, cardiovasculaires, digestives et métaboliques, troubles musculo-squelettiques (TMS), addictions, idées suicidaires pouvant aller jusqu’au passage à l’acte ou tout autre trouble). »
Enfin, « sans être véritablement érigées au rang de souffrance au travail, les fins de carrière pour les enseignants peuvent être des moments difficiles. (....) Une réflexion doit être menée sur ce point s’agissant d’un métier dont l’exercice révèle, à côté de grandes satisfactions, des moments difficiles. »
Des Ressources vraiment Humaines ?
Pour le médiateur, il faut d’abord lutter contre la solitude de l’enseignant, notamment dans son rapport aux parents d’élèves. « Le métier d’enseignant, tel qu’il est actuellement, isole trop souvent. Or, si un professeur est seul dans sa classe, construire du collectif au sein de l’établissement en équipes pédagogiques, peut être d’un grand secours pour dialoguer et travailler avec les parents d’élèves. Le dialogue avec les parents d’élèves a tout à y gagner s’il s’appuie sur une approche collégiale, celle de l’équipe pédagogique élargie ».
Le médiateur rappelle également qu’une circulaire sur le harcèlement existe (2007), mais regrette qu’elle soit trop peu connue des personnels et demande à ce que l’information leur soit portée par le ministère : « Ré-expliciter et mettre en œuvre cette circulaire dont le contenu reste parfaitement en cohérence avec l’actualité, apparaît à nouveau nécessaire. »
Il regrette que « l’enseignement scolaire et supérieur reste encore trop exclusivement organisé autour des savoirs, de la prise en charge des élèves et des étudiants. Les problèmes relationnels semblent, quant à eux, relever du monde du « gris », des dossiers que l’on ne sait pas vraiment traiter ou qui sont traités plus par crainte d’une médiatisation. Le manque de formation au management des ressources humaines peut laisser des encadrants démunis pour traiter des conflits relationnels. »
Pour le médiateur, « un phénomène demeure et permet aussi à ces problèmes de perdurer : la trop fréquente solidarité hiérarchique. En effet, l’encadrement supérieur peut avoir tendance à défendre la hiérarchie intermédiaire et à ne pas donner de suite au signalement fait par un agent. Cet immobilisme de la hiérarchie peut s’expliquer par la peur d’entacher la réputation d’un service ou d’un établissement. »
Enfin, concernant notamment des cas de harcèlement moral, le médiateur demande à ce que le traitement ne se limite pas à la victime et soit adapté : « Constat est fait que la mutation du subordonné est souvent la solution proposée par l’administration qui peut faire des propositions de postes. Mais si rien n’est envisagé pour faire changer le comportement du supérieur hiérarchique défaillant, la situation risque de se reproduire pour l’agent qui remplace le partant. »
Et le médiateur de conclure : « Chacun aura bien perçu la difficulté d’aborder ce sujet qui touche la sensibilité des individus, leur santé psychique et morale, leur positionnement et la reconnaissance de leurs actions au sein d’une administration complexe. Le bien-être des enseignants induit le bien-être des élèves ou des étudiants et donc leur réussite, celle du système scolaire et universitaire. Conscience doit être prise et partagée de cette évidence. »
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