Après les attentats de janvier, l’école avait été l’objet de toutes les attentions et de toutes les critiques, et une commission d’enquête avait même été mise en place. Cette semaine, tout s’est bien passé à l’école mais personne ne l’a noté, surtout pas les députés, occupés à ne pas montrer l’exemple à l’Assemblée.
Charlie ou l’école coupable
On ne s’en souvient peut-être plus car le temps se charge toujours de faire le tri parmi ce qui est essentiel et ce qui n’était que périphérique, mais après Charlie, le débat s’était très vite et massivement centré sur l’école, en raison notamment de la minute de silence qui avait été troublée dans certains établissements. Deux ou trois cents situations relevées, ce n’était pas rien certes, mais ce chiffre était à rapporter au nombre d’écoliers français : 12 millions. Il faut se souvenir de la réaction causée par ces troubles, c'est toute l'école qui avait été pointée du doigt, et même davantage, par un gouvernement en quête de crédibilité sécuritaire (« on a laissé passer trop de choses à l’école », « l’école n’est pas à la hauteur »), et plus généralement par l’ensemble de la classe politique, toujours plus prompte à donner des leçons qu’à se remettre en cause.
L’école ne savait plus faire respecter l’ordre, les principes de laïcité y étaient bafoués, ceux de la République menacés, l’école n’était plus capable d’enseigner le vivre-ensemble, d’assurer la cohésion du commun, plus capable de forger des esprits critiques, de se poser en rempart à la désinformation et au complotisme. Ecole responsable, sinon coupable, sommée de trouver des solutions et de se mobiliser pour les valeurs de la République ; il fallait tout revoir, changer l’école en profondeur, elle devait faire son autocritique, pointer ses propres dysfonctionnements, identifier ses failles et ses faillites. Ce qu’elle fit, d’ailleurs, en de multiples endroits (car l’école n’attend pas qu’on la regarde pour réfléchir, se remettre en question, voir où et comment elle peut agir), participant même à la curée en allant jusqu’à se demander « comment avons-nous pu laisser nos élèves devenir des assassins ?».
Rares furent ceux qui se levèrent pour dire, quand même, que « le procès fait à l’école était trop facile », plus rares encore à dire « non, l’école n’a pas failli ». Ailleurs le ton était accusateur, sentencieux, moralisateur. L’école, elle, assistait un peu abasourdie à son propre procès, dans le même temps elle avait à faire face sur le terrain, et l’action est toujours plus difficile et complexe que le discours.
Par un curieux effet de glissement, la minute de silence du 8 janvier avait aspiré et vampirisé la tuerie de Charlie, l’on s’était tourné vers l’école comme on regarde le doigt qui montre la lune.
Commission d’enquête sur l’école
Remontés comme des coucous, les sénateurs de l’opposition demandèrent la création d’une mission chargée d’enquêter sur la « perte des repères républicains » à l’école. Une commission fut mise en place, présidée par le sénateur Jacques Grosperrin, qui convoqua à la barre un certain nombre de personnalités publiques et même quelques professeurs, afin de recueillir leurs témoignages.
Plusieurs de ces professeurs ont raconté leur passage devant la commission. Ils ont dit comme il leur avait semblé que les questions allaient toutes dans le même sens, que tout se passait à charge, leurs réponses étaient à peine écoutées, fréquemment coupées, l’affaire était entendue, jouée d’avance, les audiences se déroulaient dans une atmosphère d’inquisition. Ils ont dit le regard sévère et jugeant de commissionnaires cassants, leur attitude de censeurs, ils ont dit aussi la cuistrerie de ces juges, leur ignorance complète de l’école qui n’empêchait pas l’arrogance, leur certitude de savoir pourtant. Ils ont dit aussi les sièges vides lors de leur audition, les absences des commissionnaires, d’autres qui étaient là mais scotchés à leur smartphone, ne daignant lever le regard que pour vanter les mérites de l’école privée.
Ainsi fut jugée l’école pour, on le rappelle, quelques centaines de fauteurs de trouble en janvier, sur 12 millions. Le rapport de la commission est paru en juillet, il s’agit d’un catalogue rétrograde de propositions de pacotille inadaptées trahissant, une fois encore, la totale méconnaissance de l’école et de sa complexité, de l’enseignement, et pire, des jeunes de ce pays.
Sans doute, la commission Grosperrin fut-elle à la fois l’acmé et le symbole de cette défiance de l’école et de sa mise en accusation, le symbole aussi d’une société qui cherche à lutter contre les symptômes pour mieux ne pas réfléchir aux causes.
Novembre : silence radio
Lundi, dans toutes les écoles de France, la minute de silence a été respectée – à peine quelques récalcitrants, immédiatement identifiés. Partout les enfants et les jeunes de ce pays ont montré un respect et une dignité en tout point exemplaires. Plus encore que le silence, intense, poignant, ce sont les échanges, dans les classes, qui ont marqué tout le monde, élèves et professeurs. La richesse des débats, l’intelligence des réflexions, la qualité d’écoute, la pertinence des points de vue, mais aussi l’émotion, la capacité de compassion et d’empathie des élèves, ont nourri des moments de partage très forts – Marseillaise spontanées incluses.
Il faut lire ces témoignages de professeurs émus et fiers, racontant leurs élèves.
Pourtant personne, et surtout pas les hommes politiques, ne s’est félicité de cette attitude générale, personne n’a jugé bon de mettre en avant les jeunes, les profs, l’école tout entière. On aurait pu s’attendre à ce que, symétriquement à l’indignation générale de janvier, réponde un satisfecit tout aussi général, qu’à la condamnation de l’après Charlie, fasse écho une forme de reconnaissance envers l’école et la jeunesse de ce pays. Mais non, rien. Cela en dit long sur un certain rapport à l’école, coupable dans sa globalité quand ça va mal à la marge, ignorée quand tout se déroule bien.
Au fond, l’école n’a pas besoin qu’on la félicite. Mais elle n’avait pas besoin non plus d’être à ce point malmenée, en janvier.
Au fond, les profs n’ont pas besoin d’être félicités, ils savent ce qu’ils ont fait pour leurs élèves. Au matin du samedi 14 novembre, après une courte nuit traversée de cauchemars, le cœur dévasté, des milliers de profs échangeaient, partageaient, réfléchissaient sur les réseaux sociaux, sur les blogs, par mail ou texto, créaient des sites ; les larmes coulaient encore sur les joues mais il fallait préparer la journée de lundi, déjà, et trouver comment accueillir les élèves, chercher la meilleure façon de les entourer de bienveillance, en fonction des âges et des sensibilités, en espérant qu’on parviendrait à mettre sa propre émotion à distance.
De la même manière, toute l’année, au quotidien, sur le terrain, l’école (c’est-à-dire les profs, qui sont ce qui reste de l’école quand l’actualité s’en détourne) n’a pas cessé de travailler sur elle-même, de poursuivre sa mission titanesque de fourmi travailleuse. Durant tous ces mois, nous travaillions, à apprendre à nos élèves à lire, écrire, compter, bien sûr, mais aussi à réfléchir, à exercer leur esprit critique, à vivre ensemble, malgré tout. Malgré tout.
Que mes élèves ne ressemblent pas aux députés
A cette permanence des personnels d’éducation, il faut opposer l’inconséquence de nos députés ; à la magnifique réaction de l’école, tous acteurs compris, lundi, il faut opposer ce pitoyable comportement parlementaire, mardi, une centaine d’heures à peine après les attentats, lors des questions au gouvernement. En voyant ce pathétique spectacle, ces députés se comportant comme des sauvageons, invective à la bouche, sifflet aux lèvres, jabot de petit coq gonflé, ergots dehors, j’ai revu toute l’année défiler, de janvier à novembre.
Ecoute, respect, argumentation, échange, débat, voilà ce qu’on tente d’apprendre à nos élèves, et pas seulement en « instruction civique », devenue « éducation morale et civique » depuis janvier, mais en toute occasion. En sortant de l’école, ce sont ces mêmes élèves qui ont pu voir, chez eux ce mardi, comment les plus hauts représentants élus de la France s’arrangent de ces notions, eux qui ne se sont pas gênés pour faire la leçon à l’école depuis janvier.
Quand je voudrai montrer à mes élèves ce qu’il ne faut pas faire, ce que je ne veux pas voir dans la classe ni ailleurs, le contre-exemple de tout ce qu’on essaie de mettre en place, je pourrai leur montrer la vidéo de l’Assemblée Nationale, mardi.
Nota : sur cet épisode lamentable de mardi, lire l'impeccable billet de Mara Goyet, "Aux députés qui n'ont pas été sages".
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