(Crédit Mychele Daniau / AFP / Archives)
Depuis maintenant trois semaines l’école est au centre de l’actualité – comme rarement en pleine année scolaire – placée au cœur même de la « réaction républicaine ». L’exécutif met le paquet, les mesures et les annonces et les discours se succèdent, les médias enchaînent les reportages, les plateaux, les débats et les articles et dans leur sillage c’est toute la société qui est invitée à regarder l’école et la somme de rendre des comptes et d’agir : qu’a-t-elle donc fait, pour produire des terroristes, ou plutôt que n’a-t-elle pas fait, et que doit-elle faire pour que cela ne se reproduise plus. Voici l’école toute entière chargée de trouver la solution à un problème complexe qui l’excède pourtant très largement et dans cette injonction, dans cette omniprésence autour d’elle, c’est le regard porté par la société sur son école qui finit par interroger.
L’école, grande remise en question
Il est évident que l’école a sa part à prendre dans le débat, qu’elle a un rôle important à jouer et une vraie réflexion à mener. D’ailleurs elle assume globalement bien son rôle : très vite elle a fait son autocritique, n’a pas hésité à dire ses problèmes et dysfonctionnements, à décrire avec sincérité et désarroi les impasses auxquelles elle est confrontée ici ou là, elle s’est rapidement mise à la recherche, non de solutions simplistes mais de pistes d’actions. Les professeurs, sur le terrain, ont été les premiers à témoigner, à rendre compte, à faire part de leur questionnement, de leurs idées, et les forces vives de l’éducation nationale leur ont emboîté le pas, nombreux sont ceux qui se sont demandé que pouvons-nous faire, tous, chacun, à notre niveau, français, éducation civique, philosophie, histoire, informatique et numérique, éducation aux médias, chaque domaine est questionné et se questionne. Ce grand débat, cette réelle mobilisation, l’école n’a eu besoin de personne pour les mener : c’est que, c’est précisément notre métier d’éduquer, d’instruire, de mener réflexion pour cela, de construire des questionnements et des savoirs, avec les élèves.
Ce travail au cœur même de l’école s’est fait, se fait, continuera à se faire bien longtemps après que les « je suis Charlie » auront disparu des profils et des balcons. Mais malgré cette forte mobilisation, et peut-être en partie à cause d’elle, l’école a été pour ainsi dire placée en position de coupable.
L’école, coupable idéale
En quelques jours, quelques heures presque, dès l’affaire des minutes de silence non respectées (dans 4 ou 5 % des établissements scolaires, peut-être, mais une place considérable conférée par la loupe médiatique), l’école s’est retrouvée au beau milieu de la place publique, pointée du doigt par la Cité entière : si elle ne peut faire respecter le silence, c’est qu’elle ne sait plus se faire respecter, qu’elle ne sait plus former de citoyens, qu’elle ne sait plus transmettre l’esprit et les valeurs de la République. Certains profs ont d’ailleurs pu contribuer involontairement, par la sincérité de leur remise en question, à cette mise en accusation (en se demandant par exemple « comment avons-nous pu laisser nos élèves devenir des assassins »). Puis l’extension du « débat » aux théories du complot a maintenu l’école au cœur de la doxa : si les élèves sont à ce point perméables à ces théories, à leur développement sur le web, c’est que l’école ne sait plus former de jugement critique, ne sait pas poser de garde-fou à l’usage d’Internet.
Les politiques, pour qui l’école fait souvent figure de parfait bouc-émissaire, n’ont pas tardé à crier haro sur le baudet, tout en haut le premier ministre (« on a laissé passer trop de choses dans l’école ») puis la ministre de l’EN (« l’école n’est pas à la hauteur ») – tout en bricolant à la hâte un catalogue de mesures pas toutes sottes (le lien aux familles) mais qui sentent quand même le réchauffé et trahissent un ratissage XXL assez incantatoire. L’opposition n’est pas en reste, elle s’est empressé de demander la création d’une commission d’enquête sur « le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires ».
On trouve bien quelques médias pour noter, tout de même, que le procès fait à l’école est un peu facile mais globalement, la grande majorité pense qu’elle est responsable, et que c’est à elle de trouver des solutions.
L’école, la solution aux problèmes (bien pratique quand on veut faire l’autruche)
A un journaliste qui m’interrogeait sur tout ceci, je faisais remarquer que si, par exemple, certains jeunes accordent du crédit aux théories du complot, vécues comme des théories alternatives, c’est précisément qu’ils ne croient plus à l’information officielle, à la communication médiatique prévalente, aux événements tels que décrits par les médias, lesquels devraient donc se poser des questions à leur tour. Le journaliste m’a répondu, oui, peut-être, mais là on parle de l’école, vous avez raison le problème est vaste, mais bon il faut bien commencer quelque part et l’école c’est très bien, on se dit qu’on va pouvoir agir concrètement d’ailleurs que pensez-vous faire dans votre classe.
On commence toujours par l’école. C’est dommage qu’on n’aille pas plus loin, qu’on ne regarde pas ailleurs, et qu’on finisse là, souvent.
Personne ne semble s’étonner que « la grande mobilisation pour les valeurs de la République » ne concerne que l’école ! L’armée, la police, les renseignements ont aussi été mis à contribution, le renforcement sécuritaire a bien eu lieu, mais au-delà ?
Tout se passe en fait comme si les problèmes constatés à l’école étaient circonscrits à l’école, comme si l’école, symbolisant et synthétisant les maux de la société, les contenait tout entiers.
Il semblait pourtant qu’une évaluation diagnostique de la situation aurait pu mener à des mesures dans des champs aussi variés que les affaires sociales, les affaires familiales, la politique de la ville et l’aménagement urbain, le logement, notamment social et la mixité urbaine, le chômage et l’insertion des jeunes, la prison, le suivi et la réinsertion des anciens prisonniers, l’intégration et l’inclusion, mais on n’a pas beaucoup entendu sur ce sujet les ministres de la Ville, de la Jeunesse, du Logement, de l’Egalité des territoires, des Affaires sociales, du Travail, de l’Emploi, de la formation professionnelle et du Dialogue Social…
On nous répond : il y a le temps court de la réaction et le temps long de la réflexion, on constate une fois de plus que le temps court concerne l’école (alors que…) et on craint que le temps long, comme souvent, rime avec calendes grecques.
Il faut arrêter de jouer l’école comme arbre cachant la forêt.
La réalité, c’est que l’école est peut-être le dernier endroit où un peu de mixité subsiste, c’est le dernier endroit où les dysfonctionnements de la société sont visibles : partout ailleurs ils existent mais ne se montrent pas, qu’on les ghettoïse où qu’on feigne de les ignorer. Sur les murs de l’école, n'est que l’ombre portée de problèmes que la société ne veut pas voir ailleurs.
La société croit encore dans le pouvoir de l’école
Cela dit, il y a aussi une manière positive, optimiste, de considérer ce regard posé par la société sur son école : pour la charger de tant de responsabilités, la penser coupable de tant de manquements, c’est que la société croit encore en son pouvoir d’action, pour l’accuser d’en faire si peu et si mal, c’est qu’elle la pense capable de beaucoup et de bien mieux ! Pour l’investir, la mandater ainsi, s’en remettre à elle avec tant d’exclusivité, comme on met tous ses œufs dans le même panier, la société doit la porter, ô surprise, en bien haute estime, et lui conférer des pouvoirs à la limite du merveilleux ! Nous n’avons plus que toi, ô Ecole, pour nous sortir de là ! Nous n’avons plus que vous, ô enseignants démiurges, pour sauver notre jeunesse du dévoiement total et nous prémunir de la fin de civilisation qui menace !
Et qui sait si, derrière cette envolée euphorique, il n’y a pas un peu de vrai…
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