(Crédit AFP/Philippe Desmazes)
Cette semaine, le ministre Hamon a remis sur le tapis, malgré lui, la question des notes à l’école. L’idée est d’éliminer les notes-sanction et de se diriger vers une évaluation plus positive – il est vrai que dans ce domaine de la positive attitude, on a quelques leçons à prendre de nos voisins, notamment anglo-saxons et scandinaves. Bien sûr, toujours en vertu de ce sentiment profondément ancré que « nous, on en est pas mort, alors pourquoi changer », en France on a du mal à imaginer une autre manière de faire que celle qu’on a connue, particulièrement pour les notes, que 75 % des français ne veulent surtout pas voir disparaître. On notera au passage qu’il est souvent reproché aux profs de ne vouloir rien changer, ma foi on voit que ce trait est bien partagé.
Pour ce qui est de bouger les choses, l’historien de l’éducation Claude Lelièvre rappelle sur son excellent blog que ce que Benoit Hamon souhaite faire, dans le sillage de Vincent Peillon, a déjà été mis en place très officiellement dans une circulaire datant… de 1969 ! Mais n’a jamais été appliqué, ce qui devrait tout à la fois ramener les ministres à une certaine humilité et plonger les réformistes dans un peu plus de dépit.
Qu’évalue-t-on, et comment ?
Mais, au-delà de cette question des notes – un vrai sujet, mais elles sont l’arbre et derrière il y a une forêt – il y a la question de l’évaluation, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Au fond, la note est un marqueur, qu’elle soit chiffrée sur 20 ou donnée sous la forme de lettre A-B-C-D-E, ou qu’elle prenne la forme d’une validation, totale, partielle ou pas. Ce qui importe c’est ce qui est évalué, et comment. Evalue-t-on un niveau, un acquis ? Evalue-t-on un savoir, une capacité, une compétence ? A partir de quand exactement estime-t-on ce savoir intégré, où place-t-on le curseur afin de déterminer le niveau d’acquisition d’une compétence ?... Quelques questions parmi d’autres qui me paraissent bien plus importantes que le fait de mettre, ou pas, des notes - garder à l'esprit, aussi, qu'évaluer, c'est s'évaluer...
Cette semaine, trois petites anecdotes personnelles m’ont paru faire lien et sens autour de cette problématique.
Dimanche, les filles de mes amis
Discussion à la fin du repas, avec des amis, dimanche. Les enfants jouent dans la chambre à monter des circuits pour billes.
Elle : « Dis donc, les évaluations, c’est quelque chose ! Cette semaine la maîtresse de Clotilde est venue me voir, embêtée, parce que Clotilde avait "fait son bébé" et n’avait pas voulu répondre à la maîtresse, qui devait l’évaluer. En petite section de maternelle !!! Tu sais ce que m’a dit la maîtresse ? "Elle a fait comme si elle savait pas compter ! Je sais qu’elle sait faire mais j’ai les évaluations à faire passer, je ne peux pas m’arrêter à chaque enfant !"… J’avais envie de lui dire, heu, alors si vous le savez, où est le problème ?... »
Lui : « Et la grande, en CP donc, revient de l’école avec des larmes sur les joues. Je lui demande ce qu’elle a, elle me répond qu’elle s’est trompée et qu’elle a écrit verte au lieu de porte, et une fille de la classe s’est moquée d’elle... Elle pleurait, et elle disait : "en plus elle a tout faux et moi j’ai que des très bien !". Quel stress, cette histoire d’évaluation, la vache ! Ils ont 6 ans et ils sont déjà dans la compétition, la comparaison, la moquerie, les larmes… ».
Mardi, mon fils a son livret
Mon fils Augustin est au CP, cette semaine j’ai eu son livret, qui fonctionne par compétences acquise (A), en cours d’acquisition (CA), non acquise (NA). J’ai été assez surpris de constater la présence d’un NA au beau milieu d’une forêt de A et de rares CA déjà urticants (on se refait pas, quand on est instit on aime que son fils travaille bien, pfff). Etonné, je lis qu’Augustin n’a pas acquis la compétence « utiliser les marques du nombre, le "s" du pluriel des noms ». Je me reporte aussitôt aux évaluations, car la maîtresse a l’excellente habitude de les joindre au livret. Je m’aperçois que, dans l’évaluation de français, Augustin n’a pas fini un exercice, celui sur les marques du pluriel, en fait il l’a à peine commencé… Je l’interroge, il me dit qu’il n’a pas eu le temps de le faire – il est assez rêveur et du coup, un peu lent. Je comprends alors : l’exercice n’étant quasiment pas fait, la maîtresse a simplement reporté sur le livret « non acquis ».
A mon sens, deux choses posent problème : 1. ce qui est « non acquis » n’est pas la compétence d’accord du pluriel (depuis des semaines Augustin marque la plupart des "s") c’est, à la rigueur, la compétence « finir en temps et en heure un exercice d’évaluation sans rêvasser ». 2. L’enseignante a normalement constaté, au quotidien, que l’élève Augustin marque la plupart des pluriels rencontrés. Se fonder sur la seule évaluation ne rend pas compte du niveau réel de compétence de l’élève.
Bien entendu, je me suis gardé de faire ces remarques devant mon fils, je me suis même gardé d’aller voir sa maîtresse à ce sujet : je suis bien placé pour savoir que les parents d’élèves instits sont un peu casse-bonbon, je n’ai pas voulu en être.
Jeudi, les larmes de Léna
Jeudi je croise dans la cour une de mes anciennes élèves, Léna, en larmes. Intrigué, je lui demande ce qui se passe. Elle me répond qu’elle a eu un D sur son livret. Je la console, lui demande combien de A elle a eus, elle me répond qu’elle n’a presque que des A.
Je connais bien cette élève, brillante, l’année dernière elle cartonnait, et D correspond dans notre école à « non acquis », je suis donc très perplexe.
Le midi, autour du plateau cantine, j’amène la conversation sur Léna, racontant que je l’ai vue en larme, et son enseignante, une amie, confirme :
« Oui, dis donc, elle est sacrément triste ! Elle a complètement loupé l’exercice sur les compléments circonstanciels, elle a indiqué les compléments d’objet à la place, parfaitement d'ailleurs, et du coup elle se retrouve avec un D dans l’évaluation, et donc, dans le livret… ».
Ma collègue me confirme alors qu’en temps habituel, Léna réussit systématiquement ces exercices et qu’elle distingue parfaitement les compléments circonstanciels des compléments d’objet. Elle conclut par « c’est pas de chance ! ».
Moi : « Mais alors, si elle sait, si elle a compris, et si tu sais qu’elle sait et qu’elle a compris, pourquoi indiquer sur le livret un D qui signifie le contraire ? ».
Bien sûr, la discussion est restée très amicale, il ne s’agit pas pour moi de dire à ma collègue ce qu’elle doit faire et comment elle doit le faire. Chaque enseignant est souverain. Mais on peut réfléchir ensemble, aussi, dans une équipe.
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