Le papa que je suis s’est trouvé bien embêté cette semaine. Après la classe, je suis rentré dans ma petite ville chercher mon fils à l’école (il est en maternelle, en moyenne section). Il était au goûter, et a sauté dans mes bras en me voyant. Sur le chemin, il m’a dit qu’il avait une surprise pour moi, mais qu’il me la donnerait à la maison.
Une fois rentrés, j’ouvre son cahier et il me montre fièrement sa production : « Regarde, j’ai fait des lettres de couleur sur une feuille ! Comme ça tu pourras amener mon dessin dans ton école et le mettre dans ta classe. »
Je regarde son « dessin », et là, je grimace.
Enfin je grimace dans ma tête, officiellement je m’extasie : « Bravo mon chéri, tu as très bien fait tes lettres, et les couleurs sont magnifiques ! ». Mais en fait, je suis franchement emmerdé : il a tracé des prénoms de sa classe, avec la plus grande concentration, pendant peut-être 15 ou 20 minutes, TOTALEMENT A L’ENVERS ET DE DROITE A GAUCHE ! 31 lettres en tout ! Au moment même où il apprend à lire les lettres et à les distinguer, où il apprend à écrire chacune d’elle, avec ses sens de rotation, ses enchaînements de courbes et de droites ! Au CP et au CE1, et encore au CE2 il n’est pas rare de voir des élèves écrire des lettres à l’envers, alors si le mien s’y met dès la maternelle !...
Je retourne la feuille et comprends ce qui s’est passé.
Il a tout simplement repassé par transparence sur les lettres des prénoms tapés au recto. Selon toute vraisemblance, la maîtresse a mis à disposition des élèves du brouillon pour qu’ils puissent dessiner. Elle n’imaginait sans doute pas que l’un d’eux tracerait les lettres au verso.
Un peu plus tard dans la soirée, je reprendrai la feuille et expliquerai à mon fils que ce qu’il a fait est très bien, que je suis très impressionné, mais qu’il a tracé toutes les lettres à l’envers (« mais ce n’est pas de ta faute »).
Bien sûr, ma première réaction est celle de tout parent : je vais en parler à la maîtresse, non pour l’incriminer, tout le monde peut se tromper, mais pour porter la situation à sa connaissance histoire qu’elle ne se reproduise pas. Sauf que je le sais bien, je ne suis pas tout à fait un parent lambda, je suis moi-même instit. La maîtresse le sait, elle connaît la profession des parents de ses élèves, renseignée sur toute la paperasse de début d’année.
Les parents d’élève qui sont enseignants, ça n’a pas très bonne réputation chez nous. C’est un peu bête et en même temps compréhensible : ils vont avoir tendance à porter sur notre travail un regard pas forcément plus critique (ça, c’est assez répandu), mais plus professionnel et donc plus jugeant. Du coup, on a tendance à se crisper plus facilement, en tant qu’enseignant, quand on a à faire à un parent d’élève lui-même enseignant. J’imagine que c’est à peu près la même chose quand un cuisinier apprend qu’un confrère est attablé dans la salle.
La victime collatérale, malheureusement, est l’enfant qui se trouve au cœur de la question et sur qui peuvent se cristalliser les éventuelles tensions. Bien sûr, comme partout les comportements intelligents ont droit de cité et en présence de deux personnes sensées il n’y a aucune raison que cela se passe mal.
Mais ce n’est pas toujours le cas. Et quand les deux enseignants travaillent dans la même école, les tensions et les enjeux sont exacerbés.
Cette année, une amie instit a la fille d’une collègue dans sa classe. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle a lu dans le cahier de correspondance un mot de la maman collègue portant sur la correction d’une rédaction de sa fille : « Quand on corrige une rédaction, on ne corrige pas seulement les fautes d’orthographe, mais aussi le style et la syntaxe ». Sur le fond il y a matière à discussion, mais elle aurait pu lui en parler, tout simplement. Au lieu de ça, elle s’est contentée de lui dire, quand mon amie a abordé la question avec elle : « On va pas te louper à la réunion de parents ». Ambiance.
Dans mon école aussi c’est tendu cette année : la température commence à monter entre deux collègues, le fils de l’une dans la classe de l’autre. Je les connais bien et je sais que les torts sont partagés : le gamin en question peut être un peu pénible par moment, mais la maîtresse en question peut être un peu rigide, aussi, et la maman n’a peut-être pas conscience que son fils est parfois un peu chiant à gérer.
Je le sais je l’ai eu l’année dernière. Cela s’est bien passé, avec le gamin et avec ma collègue, qui a su parfaitement rester à sa place de maman toute l’année durant. Quand j’ai eu à lui dire que son fils était un peu agité par moment, je lui ai dit sans ambages et elle n’en a pas pris ombrage. Mais ce serait faux de dire que j’étais à l’aise quand ma collègue a assisté à la réunion de parents, par exemple. J’ai dû faire un effort pour en faire abstraction. Et ce n’est pas toujours facile de parler de l’élève en toute tranquillité avec sa collègue.
… Je ne sais pas encore si je vais parler du coup de la feuille avec la maîtresse de mon fils. Mais cette anecdote m’a permis de me rendre compte que, instit exigeant, je serai certainement un parent d’élève doublement exigeant. J’espère juste que je parviendrai à gérer tout ça avec détachement, pour le bien de mon enfant.
df
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